Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser une somme de 35 000 euros en réparation des préjudices découlant des conditions dans lesquelles il a été incarcéré.
Par un jugement n° 1301673 du 20 octobre 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à verser à M. B...une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice découlant de ses conditions d'incarcération et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2015, M. E...B..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1301673 du 20 octobre 2015 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 35 000 euros en réparation du préjudice découlant de ses conditions de détention ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros à lui verser au titre des dispositions des l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conditions de détention étaient inadaptées à sa situation de handicap en méconnaissance de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ;
- l'administration pénitentiaire a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'administration pénitentiaire a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'indemnisation accordée par les premiers juges est particulièrement insuffisante, dès lors qu'eu égard aux conditions de détention qui engage la responsabilité de l'Etat et de leurs conséquences sur son état de santé, il est en droit de solliciter une somme de 35 000 euros correspondant à l'allocation d'une somme de 5000 euros par mois de détention.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 avril 2016, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés et s'en rapporte à ses écritures de première instance en soulignant que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée à raison des périodes d'hospitalisation.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- l'arrêté du 24 août 2000 relatif à la création des unités hospitalières sécurisées interrégionales destinées à l'accueil des personnes incarcérées ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., pour M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., né le 26 juin 1986, a été incarcéré le 1er avril 2011 en exécution d'une condamnation de trois ans d'emprisonnement pour violences sur fonctionnaire de police. Affecté d'une incapacité permanente fixée à 70% depuis 2005, il est paraplégique, ne peut se déplacer qu'en fauteuil roulant, et est astreint à des soins paramédicaux quotidiens. Après avoir été incarcéré à.... Il a ensuite été incarcéré du 20 mai au 2 juin 2011 à Villenauxe-la-Grande avant de rejoindre l'UHSI de Nancy du 3 juin au 11 août 2011, puis l'établissement public de santé national de Fresnes jusqu'au 21 octobre 2011, date à laquelle le juge d'application des peines de Nancy a décidé de le placer sous surveillance électronique.
2. M. B...estimant que ses conditions de détention étaient contraires au respect de la dignité humaine, tant en ce qui concerne les modalités matérielles de détention, l'accès aux soins médicaux exigés par son état de santé que la confidentialité des soins qui lui ont été prodigués, a demandé à l'Etat réparation des préjudices subis à raison desdites conditions de détention.
3. M. B...relève appel du jugement du 20 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice découlant des conditions dans lesquelles il a été incarcéré, et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " et de l'article 8 de la même convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Il résulte de l'article D. 189 du code de procédure pénale qu'" à l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " et aux termes de l'article D. 349 du même code : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ".
5. Il découle de ces dispositions que toute personne détenue doit l'être dans des conditions conformes à la dignité humaine de sorte que les mesures d'exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. L'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de la vulnérabilité des intéressés, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes. Des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale révèleraient l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique.
6. En vertu de l'article L. 6112-1 du code de la santé publique : " Les établissements de santé peuvent être appelés à assurer, en tout ou partie, une ou plusieurs des missions de service public suivantes : ( ... ) / 12° Les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, dans des conditions définies par décret ". L'article 46 de la loi susvisée du 24 novembre 2009 dispose que : " La prise en charge de la santé des personnes détenues est assurée par les établissements de santé exerçant la mission de service public définie au 12° de l'article L. 6112-1 du code de la santé publique dans les conditions prévues par ce code. / La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population / (...). Elle assure un hébergement, un accès à l'hygiène, une alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques ".
7. Il résulte de ces dispositions, combinées avec celles issues des articles D. 391 à D. 397 du code de procédure pénale et de l'arrêté susvisé du 24 août 2000, que les détenus admis en unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) demeurent.... Il en est de même d'un détenu séjournant au sein de l'établissement public de santé de Fresnes, lequel est destiné à l'accueil des personnes incarcérées ou des personnes faisant l'objet d'une rétention de sûreté en application de l'article L. 6141-5 du code de la santé publique. Ainsi, un détenu admis dans une unité hospitalière sécurisée interrégionale ou à l'établissement public de santé de Fresnes est fondé, à l'appui de son action en responsabilité, à invoquer, une faute de ces structures médicales contribuant à une faute du service public pénitentiaire.
En ce qui concerne les conditions matérielles de détention :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la maison d'arrêt de Reims, où il a été placé dans une cellule réservée aux personnes à mobilité réduite, M. B...n'a pu disposer, pendant une durée de sept jours, d'un lit médicalisé, alors même qu'il présentait, dès son arrivée, d'importantes escarres infectées, ce qui a conduit à une hospitalisation d'urgence. En revanche, la cellule dans laquelle il a ensuite été placé disposait de douches et de sanitaires accessibles aux personnes à mobilité réduite et comportait en particulier des barres d'appui et de transfert.
9. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'au centre de détention de Villenauxe-la-Grande, où il a également été placé dans une cellule réservée aux personnes à mobilité réduite, le requérant a pu disposer d'un lit médicalisé. Toutefois, ainsi que le montre notamment le certificat médical établi par le médecin en charge de l'unité de consultations et de soins ambulatoires, sa cellule réservée était dépourvue d'équipements lui permettant de se doucher seul et de matériel adapté à son état.
10. En troisième lieu, si M. B...soutient comme en première instance que lors de son hospitalisation à l'unité hospitalière sécurisée interrégionale de Nancy du 12 avril au 20 mai 2011, il ne pouvait accéder à des douches et sanitaires ou disposer d'un fauteuil roulant, ces allégations ne sont pas corroborées par les pièces du dossier, le requérant se bornant à faire valoir en appel que l'administration n'apporte pas la preuve contraire.
11. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que l'intéressé a pu, contrairement à ce qu'il allègue, disposer d'un fauteuil roulant anti-escarres lors de sa détention à l'établissement public de santé national de Fresnes. M. B...soutient que le mobilier de sa cellule dans cet établissement n'était pas adapté à une personne en fauteuil roulant et que la fenêtre ne lui était pas accessible, mais il ressort notamment de l'attestation du 18 juin 2013 d'un médecin, dont les termes ne sont pas sérieusement contestés, que l'établissement de Fresnes dispose de locaux accessibles aux personnes handicapées. Si la vue depuis les ouvertures donnait sur des immeubles, ni cette circonstance, ni celle tenant à ce que les étagères de rangement n'auraient pas été adaptées à une personne en fauteuil roulant, à la supposer établie, ne sont, eu égard notamment à la durée du séjour de l'intéressé dans cet établissement (38 jours), de nature à engager la responsabilité de l'administration. Enfin, le requérant soutient que la douche était inaccessible et qu'il ne disposait pas de matériel nécessaire à son état, mais à nouveau, il se borne à indiquer que l'administration n'apporte pas la preuve contraire, sans apporter lui-même le moindre élément probant à l'appui de ses affirmations.
12. En conséquence, M. B...n'est fondé à soutenir que l'inadaptation de ses conditions matérielles de détention à raison de son état de santé révèle une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat qu'en ce qui concerne l'absence de lit médicalisé à Reims du 1er au 7 avril 2011 et l'impossibilité d'accéder à des sanitaires et des douches lors de sa détention au centre pénitentiaire de Villenauxe-la-Grande du 20 mai au 2 juin 2011.
En ce qui concerne la confidentialité des soins médicaux :
13. Aux termes de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique : " Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations le concernant (...) " et aux termes de l'article D. 397 du code de procédure pénale : " Lors des hospitalisations et des consultations ou examens prévus à l'article D. 396, les mesures de sécurité adéquates doivent être prises dans le respect de la confidentialité des soins. ". Il découle de ces dispositions que les mesures de sécurité mises en oeuvre par l'administration pénitentiaire lors du séjour dans un établissement hospitalier d'un détenu doivent, d'une part, être adaptées et proportionnées à la dangerosité du détenu et au risque d'évasion que présente chaque cas particulier et, d'autre part, assurer en toute hypothèse, la confidentialité des relations entre les détenus et les médecins qu'ils consultent. Les moyens de contrainte et de surveillance doivent ainsi être définis en fonction des dangers résultant de la personnalité et du comportement du détenu concerné.
14. Il ressort des attestations circonstanciées émanant des responsables de l'UHSI de Nancy et de l'établissement de Fresnes, en date respectivement des 24 et 27 mars 2014, que le personnel pénitentiaire non soignant n'était pas présent dans la cellule lorsque des soins étaient donnés à M.B..., celui-ci ne présentant pas de dangerosité particulière pour le personnel soignant. Au demeurant il n'est pas établi, ni même d'ailleurs allégué, que les équipes soignantes successives auraient présenté une demande tendant à ce qu'une personne demeure à proximité immédiate en raison des risques encourus pour leur sécurité.
15. En revanche, le certificat médical, établi le 23 mai 2011, au moment des faits litigieux, fait état de ce que la confidentialité des soins n'était pas assurée au centre de détention de Villenauxe-la-Grande. L'attestation médicale du 25 mars 2014, eu égard notamment à sa date de rédaction, n'est pas de nature à remettre sérieusement en cause les constatations ainsi faites au moment de la détention du requérant.
16. En conséquence, le requérant est fondé à soutenir qu'il a été porté atteinte à sa dignité lors des soins qui lui ont été donnés pendant vingt trois jours à Villenauxe-la-Grande.
En ce qui concerne l'accès aux soins :
17. M. B...a été transféré de la maison d'arrêt de Reims à l'UHSI de Nancy, le 7 avril 2011, soit le jour même où la demande en a été formulée par l'équipe soignante. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'administration pénitentiaire a négligé de prendre les mesures propres à permettre une prise en charge médicale adaptée à son état.
18. Si l'intéressé fait, en outre, valoir que sa prise en charge dans cette unité hospitalière a été tardive et qu'il a dû subir deux interventions chirurgicales en raison d'une carence dans les soins qui lui avaient été dispensés, il n'apporte au soutien de ses allégations aucun élément précis propre à permettre d'en établir la matérialité.
Sur le préjudice :
19. Les atteintes à la dignité inhérente à la personne humaine causées à M. C...à raison des conditions de détention au cours des périodes de détention défectueuses mentionnées ci-dessus, entraînent, par elle-même, un préjudice justifiant qu'une indemnisation soit accordée à ce titre.
20. Compte tenu de la durée de sept jours de l'incarcération de M. B...dans des conditions inappropriées à la maison d'arrêt de Reims du fait de l'absence de lit médicalisé, de l'impossibilité d'accéder à des sanitaires et des douches adaptés au centre de détention de Villenauxe-la-Grande durant neuf jours et du manque de confidentialité des soins dispensés dans ce centre de détention pendant une période de deux semaines, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice subi par le requérant en mettant à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des souffrances endurées et du préjudice moral.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice découlant de ses conditions d'incarcération et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".
23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B...demande au titre des frais exposés par lui en appel et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...B...et au ministre de la justice.
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N° 15NC02515