Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Axa France IARD a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 94 558,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande, à raison des indemnités qu'elle a versées à la victime de faits de vol avec violences commis par un mineur dans la nuit du 27 au 28 juillet 2003 à Montaulin (Aube).
Par un jugement n° 1300199 du 9 juin 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a accordé la somme demandée à la société Axa France IARD.
Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 7 août 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 9 juin 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Axa France IARD devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- la circonstance que l'administration a proposé à la société Axa France IARD de conclure un protocole transactionnel n'est pas de nature à établir la responsabilité de la personne publique ;
- le jugement du tribunal pour enfants de Troyes du 12 mars 2003 concernant le mineur à raison duquel la société a recherché la responsabilité de l'Etat ne comporte aucune des mesures de liberté surveillée prévues par l'ordonnance du 2 février 1945 ;
- ce jugement se borne à fixer la résidence de l'intéressé au foyer Argence, dépendant des services de la protection judiciaire de la jeunesse, sans en confier la garde à l'Etat ;
- la société Axa France IARD ne saurait obtenir le remboursement des sommes versées à la victime en réparation des préjudices qu'elle a subis dans son intégrité physique dès lors que le mineur a été condamné pour les seuls faits de vol avec violences ayant entraîné la mort d'une autre personne également présente sur les lieux de l'agression.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2016, la société Axa France IARD, représentée par MeA..., conclut au rejet du recours au motif qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas, eu égard à la circonstance que les dommages indemnisés par la société Axa France IARD ont été provoqués par cinq personnes, dont une seule est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code civil ;
- l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la société Axa France IARD.
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans la nuit du 27 au 28 juillet 2003, cinq personnes se sont introduites par effraction au domicile de M.B..., à Montaulin (Aube), l'ont violemment agressé, ainsi que sa compagne qui est décédée de ses blessures, et ont dérobé divers biens mobiliers appartenant aux deux victimes ; que par deux arrêts des 23 février 2007 et 16 octobre 2009 statuant sur les intérêts civils des victimes, la cour d'assises des Ardennes a condamné solidairement trois des cinq agresseurs à réparer les préjudices subis par M. B...à raison de l'atteinte portée à son intégrité physique, pour un montant total de 324 480,83 euros ; qu'en application de ces décisions de justice, ainsi qu'au titre d'une procédure amiable au terme de laquelle M. B... a reçu une somme de 53 754 euros en réparation des biens volés ou détériorés, la société Axa France IARD, assureur de l'une des personnes condamnées, a saisi le garde des sceaux, ministre de la justice, d'une demande tendant à obtenir le remboursement d'un quart des sommes versées à l'intéressé, à raison de la participation d'un mineur aux faits de vol et de violences commis les 27 et 28 juillet 2003 ; que le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel du jugement du 9 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a alloué à la société Axa France IARD la somme qu'elle demandait, soit 94 558,71 euros ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, que la décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil, à l'une des personnes mentionnées à l'article 375-3 du même code, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur ; qu'en raison des pouvoirs dont l'Etat se trouve ainsi investi lorsque le mineur a été confié à un service ou établissement qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ; que cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du projet de protocole d'accord proposé à la société Axa France IARD par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui avait initialement accepté de prendre en charge une partie de la somme de 53 754 euros versée en réparation du préjudice matériel subi par la victime, que l'un des cinq participants aux faits de vol et de violences précités était un mineur qui, au moment de ces faits, était placé, en vertu d'une ordonnance prononcée le 17 octobre 2002 par le juge des enfants près la cour d'appel de Reims, auprès du foyer Argence de Troyes, lequel relève des services de la protection judiciaire de la jeunesse ; que cette ordonnance, prise en application de l'article 375 du code civil, a eu pour effet de transférer à l'Etat la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur dont s'agit ; que le jugement du tribunal pour enfants de Troyes du 12 mars 2003 qui condamne ledit mineur pour des faits de vol avec violences commis le 11 mars 2001 à une peine de douze mois avec sursis, se borne à fixer la résidence de l'intéressé, pendant sa mise à l'épreuve, au foyer Argence auprès duquel il se trouvait placé en exécution de l'ordonnance du 17 octobre 2002 ; qu'ainsi, la responsabilité de l'Etat est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment de l'ordonnance de mise en accusation du 11 avril 2006 que cinq personnes, dont le mineur placé sous la responsabilité de l'Etat, se sont introduits par effraction au domicile de M. B...dans la nuit du 27 au 28 juillet 2003, ont commis des actes de violences sur la personne de ce dernier et sur celle de sa compagne, laquelle est décédée de ses blessures, ont dévasté la résidence et ont dérobé divers biens mobiliers aux deux victimes ; qu'il ressort notamment de cet acte d'accusation que ledit mineur a directement participé aux violences commises sur la personne du propriétaire ; que si ce mineur, condamné par un arrêt de la cour d'assises de l'Aube du 2 juillet 2006 à une peine de treize ans de réclusion pour des faits de vol avec la circonstance que ces faits se sont accompagnés de violences ayant entraîné la mort de la compagne de M. B...et pour des faits de violences sur la personne de ce dernier, a vu sa peine réduite à dix ans par un arrêt rendu en appel le 23 février 2007 par la cour d'assises des Ardennes, laquelle n'a pas retenu les faits de violences commis à l'encontre de M. B..., cet arrêt n'est pas motivé et ne comporte aucune mention déniant l'exactitude des faits rappelés dans l'acte de mise en accusation ; que les arrêts rendus sur les intérêts civils par la cour d'assises des Ardennes les 23 février 2007 et 16 octobre 2009 ne comportent, en tout état de cause, aucune mention qui viendrait contredire la participation du mineur placé aux violences dont M. B...a été victime ; que par suite, la société Axa France IARD est fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat aux fins d'obtenir le remboursement tant des sommes versées à M. B...en dédommagement des biens volés ou dégradés à la suite de l'effraction que les sommes qui lui ont été allouées en réparation de l'atteinte à son intégrité physique ;
5. Considérant, en dernier lieu, que lorsque l'un des coauteurs d'un dommage a indemnisé intégralement la victime des préjudices qu'elle a subis, il ne peut, par la voie de l'action subrogatoire, se retourner contre un autre coauteur que dans la limite de la responsabilité encourue individuellement par ce dernier ; qu'il résulte de l'instruction que les faits au titre desquels la société Axa France IARD recherche la responsabilité de l'Etat ont été commis par cinq personnes, dont le mineur placé auprès des services de la protection judiciaire de la jeunesse en vertu des articles 375 et suivants du code civil ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, la responsabilité de la puissance publique ne saurait être effectivement engagée qu'à hauteur d'un cinquième des dommages indemnisés par la société intimée ; qu'il s'ensuit que la somme mise à la charge de l'Etat doit être fixée à 75 646,97 euros ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fixé à 94 558,71 euros la somme mise à sa charge, qu'il y a lieu de ramener à 75 646,97 euros ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme dont la société Axa France IARD demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à la société Axa France IARD par le jugement n° 1300199 du 9 juin 2015 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est ramenée de 94 558,71 euros à 75 646,97 euros (soixante-quinze mille six cent quarante-six euros quatre-vingt dix-sept centimes).
Article 2 : Le jugement n° 1300199 du 9 juin 2015 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions du garde des sceaux, ministre de la justice, et les conclusions de la société Axa France IARD tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à la société Axa France IARD.
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N° 15NC01784