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30/06/2016 | FRANCE | N°15NC02258

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 30 juin 2016, 15NC02258


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 9 avril 2014 par lequel le préfet de la Meuse l'a partiellement autorisé à procéder à des retournements de prairies situées en zone Natura 2000 ainsi que la décision du 20 juin 2014 par laquelle ledit préfet a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 1402291 du 31 juillet 2015, le tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions du 9 avril 2014 et du 20 juin 2014 et a enjoint au préfet de la Meuse de d

élivrer à M. C...une autorisation de retournement des prairies sur les îlots 7 A, B ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 9 avril 2014 par lequel le préfet de la Meuse l'a partiellement autorisé à procéder à des retournements de prairies situées en zone Natura 2000 ainsi que la décision du 20 juin 2014 par laquelle ledit préfet a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 1402291 du 31 juillet 2015, le tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions du 9 avril 2014 et du 20 juin 2014 et a enjoint au préfet de la Meuse de délivrer à M. C...une autorisation de retournement des prairies sur les îlots 7 A, B et 8 dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par un recours enregistré le 6 novembre 2015, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1402291 du 31 juillet 2015 ;

2°) de rejeter la demande de M.C....

Le ministre soutient que les motifs retenus par le tribunal pour annuler la décision du préfet de la Meuse sont erronés dès lors notamment que la réalisation du retournement des prairies pour lequel le refus a été opposé porte atteinte à l'intégrité du site Natura 2000 " Forêts et zones humides du pays de Spincourt " et à l'objectif de sa conservation.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 mai 2016, M.C..., représenté par Me A... conclut au rejet du recours.

M. C...soutient que les moyens du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ne sont pas fondés.

Par une ordonnance 9 mai 2016, l'instruction a été close au 26 mai 2016.

Vu l'arrêt n° 15NC02259 du 10 mars 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a prononcé le sursis à l'exécution du jugement n° 1402291 du 31 juillet 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n°2009/147/CE du 30 novembre 2009 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Richard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M.C..., exploitant agricole sur le territoire de la commune d'Azannes et Soumazannes, a déposé auprès des services de la direction départementale des territoires de la Meuse un dossier relatif au retournement de prairies permanentes, d'une superficie de 23 ha 54 a, situées dans le périmètre d'une zone Natura 2000. Cette demande portait précisément sur 7,04 ha sur la parcelle 7A, 10,35 ha sur la parcelle 7B et 6,15 ha sur la parcelle 8. Par un arrêté du 9 avril 2014, le préfet de la Meuse s'est partiellement opposé à la demande et n'a validé que le retournement de la parcelle 8 à raison d'une superficie limitée à 3 ha 72 a

2. Par une décision du 20 juin 2014, le préfet a rejeté le recours gracieux formé par M. C...sollicitant l'autorisation de procéder au retournement de l'ensemble de la superficie visée dans sa demande.

3. Par un jugement n° 1402291 du 31 juillet 2015, le tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions du 9 avril 2014 et du 20 juin 2014.

4. Le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relève appel du jugement n° 1402291 du 31 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions du 9 avril 2014 et du 20 juin 2014 et a enjoint au préfet de la Meuse de délivrer à M. C...une autorisation de retournement des prairies sur les îlots 7 A, B et 8 dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Sur le motif d'annulation retenu :

5. Pour annuler l'arrêté du 9 avril 2014 et la décision portant rejet du recours gracieux, le tribunal administratif de Nancy a retenu le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement compte tenu de l'absence d'impact significatif du projet de M. C...sur le site Natura 2000 " Forêts Humides du pays de Spincourt ".

6. Le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie soutient que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le préfet de la Meuse n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement en s'opposant partiellement à la demande de M. C... tendant au retournement de prairies permanentes situées dans la zone de protection spéciale " Forêts et zones humides du Pays de Spincourt " référencée FR4112001 comme site Natura 2000 dès lors que le retournement de prairies envisagé était de nature à porter une atteinte aux objectifs de conservation de ce site en raison de son impact sur les habitats naturels qu'il comprend.

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

7. Les articles L. 414-1 et suivants et R. 414-1 et suivants du code de l'environnement ont eu pour objet de transposer la directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, désormais remplacée par la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive "oiseaux", ainsi que la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive "habitats".

8. A cet effet, les zones spéciales de conservation prévues par la directive "habitats" (ZSC) et les zones de protection spéciales prévues par la directive "Oiseaux" (ZPS), sont désignées par décision de l'autorité administrative et concourent, sous l'appellation commune de "sites Natura 2000", à la formation du réseau écologique européen Natura 2000. Elles font l'objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation.

9. En application de ces dispositions, un arrêté ministériel du 21 août 2003 a défini la zone de Protection Spéciale (ZPS) des " Forêts Humides du pays de Spincourt " ainsi que la liste des espèces d'oiseaux justifiant la désignation de cette ZPS.

10. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement fixent les modalités retenues pour l'"évaluation des incidences Natura 2000". Dans ce cadre, le paragraphe IV de cet article prévoit que " tout projet ainsi que toute manifestation ou intervention qui ne relève pas d'un régime administratif d'autorisation, d'approbation ou de déclaration au titre d'une législation ou d'une réglementation distincte de Natura 2000 peut être soumis à autorisation et fait alors l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 " et qu'une liste locale des documents de planification, programmes ou projets ainsi que des manifestations ou interventions concernés est arrêtée par l'autorité administrative compétente parmi ceux figurant sur une liste nationale de référence établie par décret en Conseil d'Etat.

11. En application de ces dispositions, le préfet de la Meuse a inscrit le retournement de prairie sur la liste locale aux termes d'un arrêté du 22 août 2012.

12. Enfin, le paragraphe VI de l'article L. 414-4 du code de l'environnement prévoit que " l'autorité chargée d'autoriser, d'approuver ou de recevoir la déclaration s'oppose à tout (...) projet, manifestation ou intervention si l'évaluation des incidences requise en application du IV n'a pas été réalisée, si elle se révèle insuffisante ou s'il en résulte que leur réalisation porterait atteinte aux objectifs de conservation d'un site Natura 2000 (...) ".

13. Eu égard à ces dispositions, l'autorité administrative compétente pour statuer sur un projet de retournement de prairie inscrit sur la liste visée à l'article L. 414-4 du code de l'environnement doit s'y opposer dès lors que le projet est de nature, compte tenu de sa situation, de ses modalités de mises en oeuvre et nonobstant ses dimensions réduites, de porter atteinte aux objectifs de conservation d'un site Natura 2000.

En ce qui concerne l'application à l'espèce :

14. Il ressort des pièces du dossier, notamment du document d'étude des incidences du projet sur le site Natura 2000 réalisé par la chambre d'agriculture de la Meuse à la demande de M.C..., que les parcelles 7 A et 7 B se situent dans une zone prioritaire à enjeu de niveau 2 identifiée par le document d'objectif élaboré pour cette zone de protection spéciale et que les parcelles concernées sont situées dans une zone d'hivernage potentielle de la grue cendrée, des individus de grande aigrette ayant déjà également été identifiés dans le cadre de recensements antérieurs effectués.

15. L'étude d'incidence indique par ailleurs que " du fait de sa proximité avec l'étang du Haut-Fourneau et de massifs boisés, ces parcelles en prairie peuvent présenter un intérêt en tant que zone d'alimentation pour certaines espèces patrimoniales nichant au niveau de ces milieux. Il s'agit entre autres du busard des roseaux (...) de la pie grièche écorcheur, de la cigogne blanche, de la bondrée apivore, du milan noir (...). Des espèces bocagères (pie grièche écorcheur, milan noir) inscrites à l'annexe I de la directive Oiseaux peuvent être présentes temporairement lors des phases d'alimentation au sein de ces deux ilots ". Le ministre soutient également sans être sérieusement contredit que, d'une part, "les milieux prairiaux" permanents constituent l'habitat de nombreuses espèces (zone de reproduction, d'alimentation et de repos) et que, d'autre part, ces milieux préservent la qualité des masses d'eau tandis que leur réduction conduirait à terme à la dégradation des milieux aquatiques, ce qui générerait un impact supplémentaire sur l'avifaune fréquentant ces milieux, notamment sur les nombreuses espèces migratrices qui fréquentent les étangs durant la période sensible de la migration hivernale.

16. Il ressort, en outre, des pièces du dossier qu'entre 2009 et 2013, 149 ha de prairies ont été retournés, notamment au bénéfice de l'absence de toute réglementation antérieure à l'arrêté du 22 août 2012 précité et que ces surfaces essentiellement situées dans la ZPS " Forêts et zones humides de Spincourt " ont été remplacées par des cultures de labour (céréales, colza, maïs) diminuant à due proportion l'intérêt écologique du site. Ce phénomène est d'ailleurs également mis en exergue par le conservatoire d'espaces naturels de Lorraine dans le cadre de son avis émis sur la demande de M.C.... Cet organisme rappelle que la ZPS qui abrite plus de 150 espèces d'oiseaux dont 46 figurent à l'annexe I de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, a déjà été fortement affectée, depuis son classement, par de nombreuses mises en culture et que tout nouveau retournement de prairie serait dommageable pour la biodiversité.

17. Le ministre fait enfin valoir, sans être contesté de façon probante par M. C..., que le retournement des parcelles 7 A et 7 B qui sont situées à proximité de l'étang du haut-fourneau et présentent donc un intérêt pour l'alimentation de l'avifaune, a été refusé en ce qu'il aurait des conséquences dommageables sur les objectifs de conservation du site. La situation de l'ilot n° 8, situé de l'autre côté de la route départementale 66 qui crée une barrière physique, a en revanche, conduit le préfet à autoriser un retournement partiel pour une surface de 3,72 ha et à demander le maintien en prairie de 2,43 ha de cet ilot.

18. Il résulte de ce qui précède que même si la surface concernée par le refus de retournement est minime au regard de la surface globale du site Natura 2000 de 12 678 hectares et si des mesures compensatoires étaient prévues afin de préserver quelques zones d'alimentation au sein des prairies visées par la demande de retournement et y développer quelques éléments fixes de paysage favorables tels que des haies, le retournement des prairies visé par le refus litigieux, compte tenu de son impact et de son caractère difficilement réversible, est de nature à porter atteinte aux objectifs de conservation du site Natura 2000.

19. Le ministre est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement pour annuler l'arrêté du 9 avril 2014 en ce qu'il s'oppose partiellement au projet présenté par M.C....

20. A ce stade de l'examen du litige, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...devant le tribunal administratif de Nancy.

Sur les autres moyens de M.C... :

21. En premier lieu, l'arrêté du 9 avril 2014 expose les motifs de droit et de fait qui justifient l'opposition à la demande de retournement de prairie permanente notamment la circonstance que le projet de M. C...est susceptible d'affecter de manière significative le site Natura 2000 concerné compte tenu de l'atteinte aux zones d'hivernage d'oiseaux appartenant aux espèces protégées visées à l'article 4 de la directive du 30 novembre 2009. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté litigieux doit, par suite, être écarté.

22. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que contrairement à ce que soutient M.C..., le préfet a pris en compte les éléments figurant dans le document d'incidence qu'il a produit le 11 février 2014 à l'appui de sa demande, qui est visé par l'arrêté. Il s'ensuit que même si le préfet tire des conclusions différentes de celles qui sont énoncées dans le document d'incidence réalisé par la chambre d'agriculture de la Meuse, le moyen tiré de ce que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier et complet du projet qui lui était soumis doit être écarté.

23. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet ait entendu prendre une mesure discriminatoire à l'égard de M. C...dès lors que les décisions portant refus ou autorisation de retournement de prairie et concernant le secteur visé par la demande de M. C...n'ont pas été prises en fonction de l'identité des demandeurs ou plus généralement de considérations étrangères à la détermination de l'intérêt respectif des surfaces concernées pour la conservation des espèces compte tenu de la configuration des lieux. Le moyen tiré du caractère discriminatoire de l'arrêté du 9 avril 2014 doit ainsi être écarté.

24. En dernier lieu, M. C...soutient que le préfet lui a appliqué à tort des mesures issues de la politique agricole commune et que l'arrêté méconnaît ainsi le principe d'indépendance des législations.

25. Il ressort des termes de l'arrêté litigieux que si le préfet a fait référence à des " ilots PAC 7 A, 7 B et 8 ", l'utilisation de cette terminologie usuelle à la place de la référence aux parcelles cadastrales n'est pas par elle-même de nature à entacher l'arrêté litigieux d'illégalité dès lors que le préfet de la Meuse ne s'est pas fondé sur des dispositions issues de la politique agricole pour s'opposer au projet présenté par M.C....

26. Le moyen tiré de ce que le préfet a méconnu le principe de l'indépendance des législations doit, dès lors, être écarté.

27. En conclusion de tout ce qui précède, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 9 avril 2014 en tant que le préfet de la Meuse s'est opposé au projet de retournement de prairie à M. C... ainsi que la décision portant rejet du recours gracieux formé par l'intéressé.

Par ces motifs,

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 31 juillet 2015 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer et à M.C....

Copie en sera adressée au préfet de la Meuse.

2

N° 15NC02258


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC02258
Date de la décision : 30/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-045 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme MONCHAMBERT
Rapporteur ?: M. Michel RICHARD
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : DUBAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-06-30;15nc02258 ?
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