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30/06/2016 | FRANCE | N°15NC01460

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 30 juin 2016, 15NC01460


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Econocom Products and Solutions SAS a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler le marché attribué à la société Computacenter par le département du Jura en vue de la fourniture et la maintenance de tablettes numériques destinées aux collégiens, de condamner le département du Jura à lui payer, d'une part, le manque à gagner subi pour un montant de 751 393,35 euros hors taxe, d'autre part, les frais de soumission inutilement engagés pour un montant de 27 976,96 euros hors tax

e, enfin, une somme de 50 000 euros à titre de préjudice moral et commercial, c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Econocom Products and Solutions SAS a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler le marché attribué à la société Computacenter par le département du Jura en vue de la fourniture et la maintenance de tablettes numériques destinées aux collégiens, de condamner le département du Jura à lui payer, d'une part, le manque à gagner subi pour un montant de 751 393,35 euros hors taxe, d'autre part, les frais de soumission inutilement engagés pour un montant de 27 976,96 euros hors taxe, enfin, une somme de 50 000 euros à titre de préjudice moral et commercial, ces sommes devant être assorties des intérêts de droit à compter du 6 janvier 2014.

Par un jugement n° 1400016 du 30 avril 2015, le tribunal administratif de Besançon, après avoir annulé le marché public conclu entre la société Computacenter et le département du Jura, a condamné le département du Jura à verser à la société Econom Products and Solutions SAS la somme de 27 976,96 euros assortie des intérêts à compter du 6 janvier 2014 et capitalisation des intérêts à compter du 6 janvier 2015 et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 juin 2015, la société Econocom Products and Solutions SAS, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 140016 du 30 avril 2015 en tant que le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande de condamnation du département du Jura à lui verser une somme de 751 393,35 euros hors taxe à raison du manque à gagner subi, assortie des intérêts de droit à compter du 6 janvier 2014 et a omis de se prononcer sur le préjudice moral subi ;

2°) de condamner le département du Jura à lui verser la somme de 751 393,35 euros hors taxes, assortie des intérêts de droit à compter de l'enregistrement de la requête d'appel ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner, un expert avec pour mission de déterminer le montant du bénéfice net auquel elle aurait pu prétendre si elle avait obtenu le marché ;

4°) de condamner le département du Jura à lui verser la somme de 50 000 euros hors taxe, à titre de préjudice moral et commercial, assortie des intérêts de droit à compter de l'enregistrement de la requête d'appel ;

5°) de mettre à la charge du département du Jura une somme de 6 000 euros à lui verser au titre des dispositions des l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier, les premiers juges ayant omis de se prononcer sur le préjudice moral ;

- elle avait des chances sérieuses d'emporter le marché en raison de l'irrégularité de l'offre de la société Computacenter ainsi que de celle de la société Germont ;

- elle a droit à être indemnisée du manque à gagner subi dont elle justifie le montant.

Par un mémoire enregistré le 26 novembre 2015, le département du Jura, représenté par MeC..., conclut :

- au rejet de la requête,

- par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il a prononcé l'annulation du marché et l'a condamné à verser la somme de 27 976,96 euros au titre des frais de présentation de l'offre par la société Econocom Products and Solutions SAS ;

- à ce que soit mise à la charge de la société Econocom Products and Solutions SAS une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne l'appel principal :

- la société n'a subi aucun préjudice moral et commercial, et la somme demandée n'est pas justifiée dans son quantum ;

- la société n'avait pas de chance sérieuse de remporter le marché ;

- la candidature de la société Econocom était irrégulière ;

- le caractère irrégulier de l'offre de la société Computacenter est sans incidence dès lors que la candidature de la société Econocom aurait été classée deuxième ;

- la candidature de la société Germond était régulière.

En ce qui concerne l'appel incident :

- le recours à la procédure de dialogue compétitif est régulier et ce moyen est inopérant dès lors que la société a été attributaire ;

- l'irrégularité commise, à la supposer établie, ne pouvait conduire à l'annulation du marché dès lors qu'elle n'a pas été de nature à affecter le consentement du département et le bien-fondé du contrat ;

- la société n'a pas droit à être indemnisée dès lors qu'elle était dépourvue de toute chance de remporter le marché et qu'elle ne démontre pas son préjudice.

Par un mémoire enregistré le 17 mai 2016, complété par un mémoire en production du 1er juin 2016, la société Econcom Products and Solutions SAS soutient en outre que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du recours à la procédure de dialogue compétitif est opérant à raison de l'arrêt du CE du 5 février 2016 n° 383149 ;

- le département ne pouvait être considéré dans l'incapacité objective de définir lui-même les solutions techniques propres à satisfaire ses besoins ;

- le département ne conteste pas le caractère irrégulier de l'offre de la société Computacenter ;

- la demande d'annulation du marché est appropriée aux vices l'entachant.

Le département du Jura a produit le 3 juin 2016 un mémoire qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Steinmetz-Schies, premier conseiller,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour la société Econocom Products and solutions SAS et Me C...pour le département du Jura.

La société Econocom Products and solutions SAS a produit une note en délibéré le 10 juin 2016.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 juillet 2012, la commission permanente du conseil général du Jura a autorisé le lancement d'une consultation pour la fourniture de tablettes numériques et les prestations de maintenance, afin d'équiper progressivement les collégiens et les enseignants jurassiens. Il a été décidé de recourir, par un avis d'appel public à la concurrence, publié le 25 juillet 2012, à la procédure de dialogue compétitif prévue à l'article 36 du code des marchés publics.

2. Sur les sept candidatures reçues le 4 septembre 2012, la commission d'appel d'offres a autorisé cinq candidats à participer au dialogue compétitif. Un dialogue a ensuite été engagé avec ces candidats, en trois phases successives entre janvier et avril 2013, dialogue qui a permis d'élaborer un règlement de consultation qui a été transmis aux cinq candidats retenus le 14 juin 2013. Quatre de ces cinq candidats ont adressé une offre.

3. Le 27 septembre 2013, le département du Jura a informé du rejet de son offre la société Econocom, classée en troisième position (sur quatre) et lui a indiqué que le marché avait été attribué à la société Computacenter. Le 2 janvier 2014, la société Econocom a demandé au département du Jura réparation du préjudice que lui aurait causé son éviction irrégulière du marché.

4. La société Econocom Products and Solutions SAS relève appel du jugement du 30 avril 2015 en tant que le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande de condamnation du département du Jura à l'indemniser du manque à gagner subi pour un montant de 751 393,35 euros hors taxe assorti des intérêts de droit à compter du 6 janvier 2014 et a omis de se prononcer sur son préjudice moral.

5. Le département du Jura forme pour sa part, un appel incident dirigé non seulement contre la condamnation prononcée par le jugement attaqué, mais aussi contre l'article 1er du dispositif qui prononce l'annulation du marché litigieux.

Sur la régularité du jugement :

6. La société requérante soutient que les premiers juges ont omis de se prononcer sur ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice moral et commercial subi, ce qui entache d'irrégularité le jugement.

7. Dès lors que le tribunal administratif a estimé " qu'il n'était pas établi que la société, eu égard à la nature de l'irrégularité qui a conduit à annuler le marché, aurait eu, dans le cadre d'une autre procédure, des chances sérieuses de remporter le marché ", les droits à indemnité qui étaient ouverts à la société Econocom Products and Solutions SAS en tant qu'acquéreur évincé ne portaient au mieux, eu égard à la jurisprudence applicable en la matière, que sur le remboursement des frais engagés pour soumissionner. En conséquence, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement qui rejette d'ailleurs le surplus de conclusions indemnitaires, est entaché d'une omission à statuer.

Sur la validité du contrat :

8. Au terme d'un appel incident qui ne soulève pas de litige distinct de l'appel du concurrent évincé portant sur la réparation du préjudice résultant de son éviction, le département du Jura soutient que le moyen tiré du caractère irrégulier du recours à la procédure de dialogue compétitif n'est pas opérant dès lors que cette prétendue irrégularité n'a pas empêché la société Econocom d'être au nombre des candidats admis à participer à la procédure de dialogue compétitif et n'a pas de lien direct avec son intérêt lésé.

9. Toutefois par un arrêt du 4 avril 2014 (n° 358994), le Conseil d'Etat a rappelé que les autres tiers, dont le concurrent évincé, ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office, mais a décidé que ce recours de plein contentieux ouvert aux tiers ne trouve à s'appliquer qu'à l'encontre des contrats signés à compter du 4 avril 2014.

10. Le contrat en cause ayant été conclu avant le 4 avril 2014, il en résulte que la requête de la société Econocom Products and Solutions SAS formée à l'encontre du contrat conclu par le département du Jura en septembre 2013 doit être appréciée au regard des règles applicables avant ladite décision, qui permettaient à tout requérant qui aurait eu un intérêt à conclure un contrat administratif d'invoquer tout moyen à l'appui de son recours contre le contrat. Par suite, les premiers juges n'ont pas commis d'erreur de droit en retenant, pour annuler le marché en litige, un moyen tiré du caractère irrégulier du recours à la procédure de dialogue compétitif, sans s'interroger sur le lien entre l'irrégularité invoquée et l'intérêt lésé de la société requérante. La fin de non recevoir opposée par le département du Jura ne peut donc qu'être rejetée.

Sur le bien fondé du jugement :

11. Aux termes de l'article 36 du code des marchés publics : " La procédure de dialogue compétitif est une procédure dans laquelle le pouvoir adjudicateur conduit un dialogue avec les candidats admis à y participer en vue de définir ou de développer une ou plusieurs solutions de nature à répondre à ses besoins et sur la base de laquelle ou desquelles les participants au dialogue seront invités à remettre une offre. / Le recours à la procédure de dialogue compétitif est possible lorsqu'un marché public est considéré comme complexe, c'est-à-dire lorsque l'une au moins des conditions suivantes est remplie : / 1° Le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure de définir seul et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ; / 2° Le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure d'établir le montage juridique ou financier d'un projet. ".

12. Pour juger que le département du Jura ne pouvait recourir à la procédure de dialogue compétitif, le tribunal administratif de Besançon a relevé qu'avant de lancer la consultation litigieuse, le département du Jura avait élaboré un " programme fonctionnel " de dix pages, accompagné de plusieurs annexes et notamment de deux schémas fonctionnels, dans lequel sont décrits avec précision l'objet du marché, à savoir, selon un calendrier prévisionnel précis en plusieurs phases, la fourniture à chaque collégien entrant en 6ème et à chaque enseignant d'une tablette numérique multifonctions, censée les accompagner pendant toute la durée de leur scolarité au collège. Les premiers juges ont relevé que ce document détaillait également les fonctions caractéristiques du matériel, les fonctions qui devaient être proposées aux utilisateurs, ainsi que les différentes prestations attendues en matière d'assistance, de maintenance et de formation, et présentait également l'ensemble des contraintes liées au contexte opérationnel, en termes de compatibilité avec l'espace de travail numérique et les infrastructures réseaux des collèges, ainsi que d'interface avec l'ensemble des équipements informatiques en place ou en projet. Le tribunal a considéré, en conséquence, que le département du Jura n'était pas dans l'incapacité objective de définir lui-même les solutions techniques propres à satisfaire ses besoins.

13. Il résulte des dispositions précitées de l'article 36 du code des marchés publics que c'est dans le seul cas où la collectivité publique n'est objectivement pas en mesure de déterminer à l'avance, avec une précision suffisante, les solutions techniques ou financières propres à satisfaire ses besoins, qu'elle peut engager, avant même le dépôt des offres, une procédure de dialogue compétitif permettant aux candidats qu'elle a préalablement désignés, d'élaborer eux-mêmes de telles solutions pour engager ensuite avec eux une discussion conduisant, sur ces bases, à l'élaboration des documents servant de support à la phase de mise en concurrence.

14. Il résulte de l'instruction que le département du Jura entendait, à l'occasion de la passation de ce marché, proposer un développement des pratiques pédagogiques les plus innovantes en accompagnement de celles initiées par le rectorat dès lors qu'il ne maitrisait pas le schéma fonctionnel technique réalisé par la cellule technologie de l'information et de la communication pour l'enseignement (TICE) du rectorat décrivant les modalités techniques de connexion des tablettes à l'espace numérique de travail (ENT) de l'académie. Par ailleurs, les caractéristiques techniques des tablettes numériques étaient difficilement identifiables dans la mesure où l'ensemble des collèges publics faisaient l'objet d'une importante évolution en matière informatique (le site ENT était mis en place progressivement dans les collèges publics de Besançon) et que certains collèges publics faisaient alors l'objet d'une restructuration progressive de l'ensemble des infrastructures réseaux. La seule circonstance que le département ait diffusé préalablement au choix de ladite procédure un " programme fonctionnel " décrivant l'objet du marché n'établit pas que le département était en mesure de définir avec une précision suffisante les solutions techniques et financières propres à satisfaire ses besoins. Par suite, le département du Jura est fondé à soutenir que c'est à tort que pour annuler le marché litigieux, les premiers juges ont estimé que le recours à la passation du marché selon la procédure de l'article 36 du code précité n'était pas, en l'espèce, justifié.

15. A ce stade de l'examen de la requête, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Econocom Products tant devant la cour que devant le tribunal administratif de Besançon.

Sur la demande de substitution de motifs du Département du Jura :

16. Le département du Jura soutient que la candidature de la société requérante, qui ne comportait pas de déclaration de chiffre d'affaires réalisé dans le domaine d'activité propre au marché, était irrégulière et il y a lieu de substituer ce motif de rejet à celui qui lui a été opposé.

17. A supposer que le département ait douté de la capacité de la société requérante lorsqu'il a examiné son dossier, il lui était loisible soit de rejeter sa candidature, en application des dispositions de l'article 52 du code des marchés publics, soit de solliciter une régularisation sur ce point. Ainsi, à défaut de l'avoir rejetée comme irrecevable, le département ne saurait utilement se prévaloir, du seul caractère incomplet du dossier de candidature de la société requérante pour soutenir que son argumentation tirée des manquements invoqués serait inopérante.

S'agissant des moyens dirigés contre la passation du marché avec la société Computacenter:

18. En premier lieu, si la société requérante soutient que la candidature de la société Computacenter aurait dû être déclarée irrecevable faute de comporter le formulaire DC1 signé par cette société et dont l'exigence procédait de l'avis d'appel public à candidature, un tel moyen manque en fait et doit être écarté.

19. En deuxième lieu, la société requérante soutient que l'offre de la société Computacenter était irrégulière en ce que son acte d'engagement comportait une clause contraire aux dispositions du cahier des clauses administratives particulières relatives aux pénalités.

20. Le règlement de la consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. L'administration ne peut en conséquence attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le cahier des clauses administratives particulières.

21. L'article 11 du cahier des clauses administratives particulières prévoit des pénalités de retard (11.1), des pénalités d'indisponibilité (11.2), des pénalités pour travail dissimulé (11.3), des autres pénalités (11.4). Or, la société Computacenter a précisé dans son acte d'engagement que " le titulaire n'acceptait pas les pénalités des articles 11. 1 (2.4.5.6.) et 11. 2 (1.2). Le département a ainsi attribué le marché à un candidat qui ne respectait pas une des prescriptions imposées par le cahier des clauses administratives particulières, ce que reconnait le département dans ses mémoires de première instance et d'appel. La collectivité reconnait d'ailleurs avoir signé le 22 janvier 2014 un avenant au marché afin de plafonner la clause relative aux pénalités de retard à 5 % du montant du bon de commande. Par suite, la société Econocom Products est fondée à soutenir que le département a irrégulièrement conclu le marché litigieux avec la société Computacenter.

22. En troisième lieu, la société requérante fait valoir que la société Computacenter a présenté une offre anormalement basse et reproche ainsi au pouvoir adjudicateur de ne pas avoir mis en oeuvre la procédure de vérification qu'il lui appartenait de mener en vertu de l'article 55 du code des marchés publics relatif aux offres anormalement basses.

23. Aux termes de l'article 55 du code des marchés publics : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies (...) ".

24. Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Par ailleurs, le seul écart de prix avec une offre concurrente ne signifie pas qu'une offre était anormalement basse, le juge devant seulement rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

25. Il résulte de l'instruction que l'offre de la société Computacenter s'est élevée à 9 746 352,90 euros alors que les offres des sociétés Germont, Econocom et Distri Matic se sont élevées respectivement à 10 770 985 euros, 13 897 637 euros et 13 579 078 euros. Le seul écart de prix existant entre celui proposé par la société attributaire et ceux proposés par les autres candidats à l'attribution du marché, notamment par la société requérante, n'était pas tel qu'il incombait au pouvoir adjudicateur de mettre en oeuvre la procédure prévue par l'article 55 précité du code des marchés publics. Il ne résulte pas de l'instruction que le prix proposé par la société Computacenter aurait été manifestement sous-évalué et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'offre retenue aurait été anormalement basse, doit être écarté.

Sur les conséquences de l'irrégularité :

26. Il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.

27. L'irrégularité constatée au point 21, portant sur les pénalités mentionnées est d'une gravité relative et n'a pas vicié le consentement de la personne publique, ni affecté la bonne réalisation des prestations de service objet de ce contrat. En l'absence de toutes circonstances particulières révélant notamment une volonté de la personne publique de favoriser un candidat, elle n'est pas d'une gravité telle qu'elle justifierait que soit prononcée l'annulation du marché.

28. Le département a lancé le 16 mai 2014 une nouvelle procédure d'appel d'offres ouvert ayant le même objet et manifestant clairement l'intention de ne pas renouveler le marché précédent. Par suite, le marché étant désormais achevé, il n'y a pas lieu de s'interroger sur les autres conséquences à tirer de l'irrégularité commise.

29. Par suite, les conclusions à fin d'annulation du marché présentées par la société Econocom Products and Solutions SAS doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

30. La société requérante demande à être indemnisée de la totalité du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière.

31. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter ce marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit, en principe, au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché.

32. En premier lieu, il ressort de la comparaison des différentes offres que la société Econocom a été classée en troisième position avec un total de points de 71,04 alors que la société Germond a été classée en deuxième position avec un total de 73,65 points. Par suite, l'irrégularité commise par la société Computacenter lui permet d'être seulement classée en deuxième position, derrière la société Germond.

33. En deuxième lieu, la société Econocom soutient qu'elle avait des chances sérieuses de remporter le marché dès lors que la candidature de la société Germond, classée deuxième, était elle-même irrecevable dès lors que le département n'a pas vérifié les capacités techniques, professionnelles et financières de la société, qui, selon un extrait Kbis, ne serait qu'une entreprise distributeur de fournitures de bureaux et de commerce de gros.

34. Le département du Jura soutient, sans être utilement contredit, que la société Germond a fourni une liste de référence en matière de déploiement de matériel informatique au sens large, à défaut de référence pour des tablettes numériques, à l'instar des autres sociétés candidates, qu'elle a fourni son chiffre d'affaires en lien avec l'objet du marché au cours des trois dernières années et qu'elle a déjà été attributaire d'un marché avec le département en 2011. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que si la société Germond a pour activité principale le négoce de fournitures, matériels, équipements de bureau, elle a aussi pour activité les prestations de service s'y rapportant. En conséquence, la candidature de la société Germond était recevable.

35. Il résulte de ce qui précède que la société requérante, spécialisée dans les activités de fourniture et de maintenance des tablettes numériques, disposait des qualifications et du matériel nécessaire et a fait acte de candidature dans des conditions conformes aux règles posées par le règlement de consultation. Par suite, si elle n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché public en cause, il résulte de ce qui précède que la société n'avait pas de chances sérieuses de remporter le marché.

36. Il en résulte qu'elle est seulement fondée à demander à être indemnisée d'une somme de 27 976,96 euros pour les frais qu'elle a engagés pour répondre à l'objet de ce marché et dont, contrairement à ce que soutient le département du Jura, elle justifie suffisamment par un état détaillé ne démontrant pas que le nombre de jours retenu est excessif.

37. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de désigner un expert, que la société Econocom Products and Solutions SAS n'est pas fondée à demander la réformation du jugement du 30 avril 2015, en ce qu'il condamne le département du Jura à lui verser d'une somme de 27 976,96 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

38. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".

39. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des parties les sommes demandées au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Besançon du 30 avril 2015 est annulé.

Article 2 : La requête de la société Econocom Products and Solutions SAS et le surplus des conclusions du département du Jura sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Econocom Products and Solutions SAS et au département du Jura.

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N° 15NC01460


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC01460
Date de la décision : 30/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme MONCHAMBERT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre STEINMETZ-SCHIES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : CLL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-06-30;15nc01460 ?
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