Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
MeD..., mandataire judiciaire de la société Euromat, et M. A...E...ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'agence de services et de paiement à leur verser respectivement les sommes de 6 525 000 euros et 2 700 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la suppression des aides communautaires auxquelles la société Euromat était éligible.
Par un jugement n° 1201997 et 1202178 du 14 octobre 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la Cour :
I- Par une requête, enregistrée sous le n° 14NC02249 le 15 décembre 2014, MeD..., mandataire judiciaire de la société Euromat, représenté par la société civile professionnelle d'avocats ACG, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1201997 et 1202178 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 14 octobre 2014 en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire ;
2°) de condamner l'agence de services et de paiement à lui verser la somme de 5 000 000 euros en réparation du préjudice économique subi du fait de la liquidation judiciaire de la société, ainsi qu'une indemnité de 1 525 000 euros correspondant au montant des aides indûment supprimées ;
3°) de mettre à la charge de l'agence de services et de paiement les entiers dépens ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal lui a opposé la prescription dès lors, d'une part, que le fait générateur de la responsabilité de l'agence de services et de paiement ne s'est trouvé établi que le 10 juillet 2008, date de la décision de la Cour de cassation et, d'autre part, que la société Euromat et son liquidateur étaient dans l'ignorance des motifs de la décision du 16 juin 1997 lui retirant le bénéfice des aides communautaires ;
- la décision du 16 juin 1997 retirant à la société Euromat l'agrément pour l'attribution des aides communautaires auxquelles elle pouvait prétendre est illégale en raison, d'une part, d'une méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense et, d'autre part, des conditions irrégulières dans lesquelles le contrôle s'est déroulé ; cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'agence de services et de paiement ;
- le défaut de versement des aides auxquelles la société Euromat pouvait prétendre au titre de la période allant de février 1997 à mars 1998, d'un montant de 2 591 633 euros, lui a fait perdre une chance de poursuivre son activité, qui doit être évaluée à la somme de 5 000 000 euros ;
- la société est fondée à demander le versement d'une indemnité de 1 525 000 euros correspondant au montant des aides indûment supprimées pour la période antérieure à l'ouverture du redressement judiciaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2015, l'agence de services et de paiement, représentée par Me C...et MeF..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Me D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de Me D...est irrecevable en tant qu'elle porte sur le préjudice économique résultant de la mise en liquidation judiciaire ;
- le fait générateur de la créance alléguée est la décision de retrait d'agrément du 16 juin 1997 et la prescription quadriennale, qui n'a été interrompue ni par la procédure pénale engagée contre M. E...ni par la procédure civile qui concernait les aides déjà versées, a commencé à courir le 1er janvier 1998 ; en outre, la société Euromat puis son liquidateur, qui avaient été informés de la décision de retrait d'agrément, disposaient d'une connaissance suffisante du fait générateur de la créance et avaient la faculté de présenter une réclamation dans le délai de prescription quadriennale ;
- les autres moyens soulevés par Me D...ne sont pas fondés.
II- Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés sous le n° 14NC02250 les 12 décembre 2014, 4 mars 2016 et 25 mars 2016, M. A...E..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1201997 et 1202178 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 14 octobre 2014 en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire ;
2°) de condamner l'agence de services et de paiement à lui verser la somme de 2 500 000 euros en réparation de son préjudice économique, ainsi que la somme de 200 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de l'agence de services et de paiement les entiers dépens ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- ni la décision du 16 juin 1997 retirant à la société Euromat son agrément pour le bénéfice des aides communautaires, ni la décision confirmative du 23 mars 1998 n'ont pu faire courir le délai de prescription dès lors que ces décisions ne comportent pas la mention des voies et délais de recours ; l'agence de services et de paiement ne justifie pas que la décision du 16 juin 1997 a été régulièrement notifiée à la société Euromat ;
- le fait générateur de la responsabilité de l'agence de services et de paiement ne s'est trouvé établi que le 10 juillet 2008, date de la décision de la Cour de cassation à laquelle il a été définitivement acquis que la suppression des aides communautaires à la société Euromat était sans fondement ;
- à supposer que la date du 16 juin 1997 puisse constituer le point de départ de la prescription, celle-ci a été interrompue par les actions pénale et civile qui étaient relatives au même fait générateur ;
- il est resté dans l'ignorance de sa créance dès lors qu'il n'a pas eu communication du rapport de contrôle ayant précédé le retrait des aides, qu'il n'a eu connaissance des illégalités entachant ce contrôle que lors de l'instruction pénale et que l'agence de services et de paiement a contesté l'illégalité de sa décision jusqu'à la décision de la Cour de cassation du 10 juillet 2008 ;
- la décision du 16 juin 1997 supprimant à la société Euromat les aides communautaires auxquelles elle pouvait prétendre est illégale en raison, d'une part, d'une méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense et, d'autre part, des conditions irrégulières dans lesquelles le contrôle s'est déroulé ; cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'agence de services et de paiement ;
- il a subi un préjudice économique personnel du fait de la liquidation de la société Euromat dont il était le dirigeant, qui doit être évalué à 2 500 000 euros ;
- il a également subi un préjudice moral, notamment une atteinte à sa réputation, dont la réparation ne peut être inférieure à 200 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 mars 2015 et 13 mars 2016, l'agence de services et de paiement, représentée par Me C...et MeF..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le fait générateur de la créance alléguée est la décision de retrait d'agrément du 16 juin 1997, qui a été reçue au plus tard le 15 juillet 1997, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que ce courrier ne comporte pas la mention des voies et délais de recours ; la prescription quadriennale, qui n'a été interrompue ni par la procédure pénale engagée contre M. E...ni par la procédure civile qui concernait les aides déjà versées, a commencé à courir le 1er janvier 1998 ; en outre, M. E... disposait d'une connaissance suffisante du fait générateur de la créance et avait la faculté de présenter une réclamation dans le délai de prescription quadriennale ;
- les autres moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dhiver,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., pour M. E...et de MeC..., pour l'agence de services et de paiement.
1. Considérant que les requêtes de MeD..., mandataire judiciaire de la société Euromat, et de M. E...sont dirigées contre le même jugement, présentent les mêmes questions à juger et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt ;
2. Considérant que la société MichelE..., devenue société Euromat le 27 mars 1998, qui était dirigée par M.E..., exerçait une activité de fabrication de granulés et de fourrages et était éligible, à raison de cette activité, au bénéfice des aides communautaires prévues par le règlement (CE) n° 603/95 du Conseil du 21 février 1995 ; que, par une décision du 16 juin 1997, la société interprofessionnelle des oléagineux, protéagineux et cultures textiles (SIDO), alors chargée de la mise en oeuvre du régime d'aides, a retiré à la société Euromat l'agrément dont celle-ci bénéficiait pour l'attribution de ces aides ; que ce retrait a été confirmé à la société par une lettre du 23 mars 1998 lui demandant également de reverser les aides déjà perçues au titre de la campagne précédente 1996/1997, d'un montant de 1 216 188 euros ; que la société Euromat a été placée en redressement judiciaire le 27 avril 1998, puis en liquidation judiciaire le 7 juillet 1998, et Me D... a été désigné en qualité de mandataire judiciaire ; que la SIDO a déclaré la créance de 1 216 188 euros correspondant au montant des aides déjà versées dans le cadre de la procédure collective ; que cette déclaration a été rejetée comme irrecevable par ordonnance du juge commissaire à la liquidation judiciaire du 21 novembre 2005, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Reims du 14 mai 2007 ; que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt par une décision du 10 juillet 2008 ; que M. E...et la société Euromat, représentée par son mandataire judiciaire, MeD..., qui considèrent que le retrait des aides communautaires a provoqué la liquidation judiciaire de la société, ont chacun adressé une demande indemnitaire à l'agence de services et de paiement, établissement public auquel sont désormais confiés la gestion et le versement des aides européennes en cause ; que, par deux décisions des 4 septembre 2012 et 1er octobre 2012, l'agence de services et de paiement a rejeté ces demandes préalables en opposant, à titre principal, la prescription quadriennale ;
3. Considérant que Me D...et M. E... relèvent appel du jugement du 14 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a retenu l'exception de prescription quadriennale opposée en défense et rejeté, pour ce motif, les demandes dont il était saisi tendant à la condamnation de l'agence de services et de paiement à verser aux requérants respectivement les sommes de 6 525 000 euros et 2 700 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la suppression des aides communautaires ;
Sur la prescription :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...), sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...) " ; que l'article 3 de la même loi dispose : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement " ;
5. Considérant, en premier lieu, que la société Euromat et M. E...soutiennent que le fait générateur de leurs créances est constitué par la décision de la Cour de cassation du 10 juillet 2008 dans la mesure où ce n'est qu'à compter de cette décision que l'établissement public aurait admis le principe de l'existence des créances ;
6. Considérant, toutefois, que lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché à l'exercice au cours duquel la décision a été valablement notifiée ; qu'il résulte de l'instruction que les créances dont se prévalent la société Euromat et M. E... trouvent leur source dans la décision du 16 juin 1997 retirant à la société Euromat l'agrément lui ouvrant droit au bénéfice des aides communautaires pour son activité de transformation dans le secteur des fourrages séchés au soleil ; que la société Euromat a reçu notification de cette décision au plus tard le 15 juillet 1997, date du courrier qu'elle a adressé à la SIDO par lequel elle accuse réception de ladite décision du 16 juin 1997 ; que la circonstance que cette décision n'était pas accompagnée de la mention des voies et délais de recours est sans incidence pour l'application de la loi du 31 décembre 1968 ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que M. E...entend se prévaloir des procédures pénale et civile qui, selon lui, auraient interrompu le cours de la prescription ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la constitution de partie civile de la SIDO dans le cadre de la procédure pénale engagée contre M. E...et la procédure civile résultant de la déclaration de créance par la SIDO au mandataire judiciaire de la société Euromat tendaient au reversement des aides déjà allouées à la société Euromat pour la campagne 1996/1997, d'un montant de 1 216 188 euros, dont l'établissement public lui avait demandé le remboursement par lettre du 23 mars 1998 ; que ces actions ont trait à une créance et à un fait générateur distinct de celui auquel se rattachent les demandes indemnitaires de Me D...et M. E... qui, ainsi qu'il a été dit au point 6, trouvent leur origine dans la décision du 16 juin 1997 de suppression pour le futur des aides communautaires ; qu'il s'ensuit que ces actions n'ont pas interrompu le cours de la prescription quadriennale ;
9. Considérant, en troisième lieu, que la société Euromat et M. E...soutiennent que la prescription n'a pu commencer à courir le 1er janvier 1998 dès lors qu'ils ignoraient les motifs d'illégalité de la décision du 16 juin 1997 ;
10. Considérant, toutefois, que si les requérants font valoir que ce n'est qu'au cours de l'instruction pénale qu'ils ont eu connaissance des conditions précises dans lesquelles a été rédigé le rapport du contrôle ayant conduit au retrait des aides communautaires, la société Euromat avait la faculté de contester la légalité de la décision du 16 juin 1997 dès notification de cette décision en soulevant notamment à l'appui de ses conclusions une méconnaissance du contradictoire dans le déroulement du contrôle ; qu'il était également loisible à la société, puis après elle, à Me D...et à M. E... de présenter, avant l'instruction pénale, des demandes indemnitaires à la SIDO et d'en contester un éventuel refus devant le juge administratif ; que, dès lors, Me D...et M.E..., qui ne sauraient être regardés comme ayant été dans l'ignorance du préjudice dont ils demandent réparation, ne sont pas fondés à invoquer les dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, ainsi que l'a jugé le tribunal, le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 1998, premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision du 16 juin 1997 a été notifiée à la société Euromat, et s'est achevé le 31 décembre 2001 ; qu'il s'ensuit que les indemnités dont MeD..., agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Euromat, et M. E...demandent le versement étaient prescrites à la date à laquelle ils ont adressé une réclamation préalable à l'agence de services et de paiement ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir soulevée par l'agence de services et de paiement, que MeD..., agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Euromat, et M. E...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant, d'une part, que la présente instance n'a donné lieu à aucun dépens au sens des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ; que, par suite, les conclusions présentées par Me D...et M.E..., tendant à ce que l'agence de services et de paiement soit condamnée aux dépens, ne peuvent qu'être rejetées ;
14. Considérant, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'agence de services et de paiement, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que Me D...et M. E...demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de MeD..., mandataire judiciaire de la société Euromat, et de M. E... une somme de 1 000 euros chacun à verser à l'agence de services et de paiement sur le fondement des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de MeD..., agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Euromat, et de M. E...sont rejetées.
Article 2 : Me D...et M. E...verseront, chacun, à l'agence de services et de paiement une somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à MeD..., mandataire judiciaire de la société Euromat, à M. A... E...et à l'agence de services et de paiement.
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