Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a refusé d'abroger la décision du 25 janvier 2012 prononçant son licenciement et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 300 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis.
Par un jugement n° 1201064 du 28 janvier 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à lui verser les salaires qu'il aurait dû percevoir au titre des mois de février et mars 2010 et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 mars 2014, M. B..., représentée par la SELARL Antoine et BM Associés, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 28 janvier 2014 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 265 350 euros ;
3°) d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante de son préjudice ;
- il est fondé à solliciter la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral que lui a causé l'absence d'entretien préalable à son licenciement ;
- l'administration n'a pas rempli son obligation de reclassement ;
- il n'avait pas été informé qu'il serait licencié en cas de refus du poste qui lui avait été proposé trois ans auparavant ;
- son licenciement était irrégulier ;
- son licenciement n'est fondé sur aucun motif sérieux, le ministre n'ayant pas justifié les motifs pour lesquels il n'était pas possible de lui confier une mission de conseiller technique auprès de la fédération de hockey sur glace ;
- ses compétences professionnelles ont été reconnues par ses supérieurs hiérarchique durant 30 ans ;
- il a subi, du fait de son éviction illégale, une perte de revenu de 103 350 euros et une perte de droits à la retraite évaluée à 52 000 euros ;
- il a également perdu une chance d'intégrer la fonction publique après 30 ans de services, qui sera indemnisée par une somme de 100 000 euros ;
- il a été écarté sans motif par le président de la fédération française de hockey sur glace.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2015, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- l'administration n'a pas méconnu le délai de préavis, le requérant ayant été informé dès le 4 novembre 2009 de la décision de le licencier ;
- par le même courrier, auquel le requérant n'a pas donné suite, il lui avait été demandé de prendre contact avec l'administration pour fixer la date de l'entretien préalable et de la consultation de son dossier ;
- la responsabilité de l'administration n'étant pas engagée, la demande d'indemnisation présentée par l'intéressé ne peut être satisfaite ;
- l'indemnité à laquelle peut prétendre le requérant ne peut, en tout état de cause, pas être supérieure à la somme qui lui a été allouée en première instance ;
- le licenciement de l'intéressé pouvait être fondé sur la perte de confiance ;
- le requérant a refusé la proposition de reclassement auprès de la fédération française des sports de glace ;
- aucune disposition du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat n'impose de reclasser un agent contractuel licencié ;
- la décision de licenciement est fondée, le profil du requérant ne correspondant plus aux projets de la fédération française de hockey sur glace, laquelle avait demandé, par un courrier du 24 octobre 2006, que M. B...soit affecté sur d'autres fonctions ;
- la décision ne peut être regardée comme une sanction disciplinaire déguisée ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code du sport ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bonifacj, président,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public.
1. Considérant que M. B...a été recruté par le ministre de la jeunesse, des sports et des loisirs le 10 janvier 1979 en qualité de conseiller technique et pédagogique chargé d'activités sportives et affecté à la direction régionale de la jeunesse et des sports et des loisirs de Reims pour exercer les fonctions de conseiller technique régional des sports de glace ; que son contrat a été renouvelé, à compter du 15 décembre 1980, pour une durée indéterminée ; que le requérant a exercé principalement des fonctions de conseiller technique régional auprès des instances fédérales de la fédération française des sports de glace, notamment en qualité d'entraîneur d'équipes nationales de hockey sur glace ; qu'après la création de la fédération française de hockey sur glace, le 29 avril 2006, le président de cette nouvelle fédération a demandé au ministre, par un courrier du 24 octobre 2006, qu'il soit mis fin aux fonctions de conseiller technique régional de hockey sur glace de M. B... au motif que son profil professionnel ne correspondait plus aux projets développés par la direction technique nationale ; qu'il a été licencié à compter du 31 janvier 2010, par une décision du ministre de la santé et des sports datée du 25 janvier 2010 ; que M. B...qui estime que ce licenciement a été prononcé dans des conditions irrégulières a recherché la responsabilité pour faute de l'Etat devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ; qu'il relève appel du jugement du 28 janvier 2014, en tant que les premiers juges ont limité l'indemnité qui lui a été accordée au montant des salaires qu'il aurait dû percevoir pour les mois de février et mars 2010 et ont rejeté le surplus de sa demande ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Considérant, en premier lieu, que selon l'article 47 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le licenciement ne peut intervenir qu'à l'issue d'un entretien préalable. " ; que si l'administration fait valoir que, par un courrier du 4 novembre 2009, elle avait demandé à M. B...de prendre contact avec ses services pour fixer une date pour l'entretien préalable à son licenciement, elle n'établit ni même n'allègue l'avoir régulièrement convoqué à un tel entretien ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 46 du décret du 17 janvier 1986, dans sa rédaction applicable au litige : " L'agent recruté pour une durée indéterminée ainsi que l'agent qui, engagé à terme fixe, est licencié avant le temps fixé, a droit à un préavis qui est de : (...)- deux mois pour ceux qui ont au moins deux ans de services. " ; qu'aux termes de l'article 47 du même texte: " (...) La décision de licenciement est notifiée à l'intéressé par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette lettre précise le ou les motifs du licenciement et la date à laquelle celui-ci doit intervenir compte tenu des droits à congés annuels restant à courir et de la durée du préavis ". ; qu'il résulte des dispositions précitées que le point de départ du préavis est fixé par la lettre de licenciement ; que, par suite, l'administration ne peut utilement soutenir que le courrier en date du 9 novembre 2009 par lequel elle a informé M. B...de l'engagement d'une procédure de licenciement à son encontre vaudrait préavis de licenciement ; qu'il est constant que le requérant, qui avait droit à un préavis de deux mois, a été licencié par une décision du 25 janvier 2010 qui a pris effet à compter du 31 janvier 2010, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 46 du décret du 17 janvier 1986 ;
4. Considérant, enfin, que si en application de l'article R.131-18 du code des sports, le ministre peut mettre fin à tout moment aux missions des conseillers techniques sportifs auprès des fédérations sportives, de sa propre initiative ou, le cas échéant, à la demande de l'agent ou du président de la fédération, il lui appartient toutefois, dans ce cas, de chercher à reclasser l'intéressé avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée ; qu'en l'espèce, l'administration fait valoir qu'un poste de coordination du pôle espoir de " short-track " de la fédération française des sports de glace a été proposé à M. B...à deux reprises en octobre et décembre 2007 et qu'il a refusé ce poste le 7 décembre 2007 ; que, toutefois, compte tenu du délai de 2 ans qui s'est écoulé entre cette proposition de poste et l'engagement de la procédure de licenciement, alors qu'il n'est pas contesté que le requérant n'a pas été informé qu'il serait licencié en cas de refus, cette proposition ne peut être regardée comme constituant une réelle tentative de reclassement préalable à son licenciement ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les illégalités fautives entachant la décision du 25 janvier 2010 prononçant le licenciement de M. B...engagent la responsabilité de l'Etat et sont susceptibles d'ouvrir un droit à indemnité ;
Sur l'évaluation du préjudice subi par M.B... :
6. Considérant qu'en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité ; que, pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doivent être prises en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions ; qu'enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction ;
7. Considérant, en premier lieu, que M. B...a droit, au titre de sa perte de rémunération pour la période comprise entre les mois de février 2010, date de son licenciement, et avril 2013, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite, à une indemnité correspondant à la différence entre, d'une part, le montant des salaires nets calculé sur la base de l'indice prévu à son contrat ainsi que les indemnités qui en constituent l'accessoire, et, d'autre part, les allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues pendant la même période et toutes autres rémunérations qu'il a pu se procurer par son travail, au cours de cette même période ; que l'état du dossier ne permettant pas au juge de déterminer le montant des sommes dues à ce titre à M.B..., il y a lieu de renvoyer celui-ci devant l'administration, pour qu'il soit procédé à la liquidation de sa créance ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que M. B...qui se borne à soutenir que sa perte de droits à la retraite s'élève à 52 000 euros n'établit pas ainsi l'étendue de ce préjudice ; que, par suite, cette demande ne peut qu'être rejetée ;
9. Considérant, en troisième lieu, que le requérant, agent contractuel depuis 1979, n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il aurait, en raison de l'illégalité dont est entaché son licenciement, perdu une chance d'intégrer la fonction publique ;
10. Considérant, enfin, que, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce et des conditions dans lesquelles le requérant a fait l'objet d'une mesure de licenciement, en l'absence d'entretien préalable et de préavis alors qu'il exerçait ses fonctions depuis 1979, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'intéressé en le fixant à la somme de 3 000 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. Considérant que M. B... a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 22 juin 2012, date d'enregistrement de sa requête de première instance ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 18 mars 2014 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a limité la réparation de son préjudice aux traitements qu'il aurait dû percevoir pour les mois de février et mars 2010 ; qu'il y a donc lieu de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a de contraire au présent arrêt ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. B... une indemnité au titre du préjudice résultant de la perte de ses traitements durant la période du 1er février 2010 au 30 avril 2013.
Article 2 : M. B... est renvoyé devant l'administration pour le calcul de l'indemnité à laquelle il peut prétendre, conformément aux éléments fixés par les motifs du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. B... une somme de 3 000 (trois mille) euros en réparation de son préjudice moral.
Article 4 : Les sommes dues à M. B... porteront intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2012. Les intérêts échus à la date du 18 mars 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n° 1201064 du 28 janvier 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
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N° 14NC00613