Vu le recours, enregistré le 19 décembre 2013, complété par un mémoire enregistré le 15 juillet 2014, présenté par le ministre chargé du budget ;
Le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°1101620 du 5 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à la charge de l'Eurl Pénélope au titre de l'année 2007 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 26 avril 2006 au 30 juin 2007 ;
2°) de remettre intégralement à la charge de l'Eurl Pénélope les impositions dont le tribunal a prononcé la décharge ;
Le ministre soutient que :
- le principe du contradictoire a été respecté au cours de la procédure d'imposition ;
- la comptabilité de l'Eurl Pénélope n'a pas été tenue régulièrement au cours de la période vérifiée et c'est à bon droit que le service a mis en cause son caractère probant ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires n'est pas viciée ; la charge de la preuve du caractère exagéré des rappels d'imposition pèse sur l'Eurl Pénélope ;
- le recours du ministre est recevable ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 25 mars 2014, complété par un mémoire en défense enregistré le 23 mai 2014, présenté pour Me E...agissant en qualité de liquidateur judiciaire de l'Eurl Pénélope par la Selarl Octav qui conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
L'Eurl Pénélope soutient que :
- le recours du ministre est irrecevable ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a prononcé la décharge des impositions en litige ;
- subsidiairement, la procédure de vérification est irrégulière en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire et la prorogation irrégulière de la durée de la vérification ;
- le rejet de la comptabilité n'est pas justifié ;
- la méthode de reconstitution des recettes est viciée ;
Vu la lettre du 18 décembre2014 par laquelle les parties ont été informées qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience du 5 février 2015 et que l'instruction pourrait être close à partir du 15 janvier 2015 sans information préalable ;
Vu l'avis d'audience portant clôture de l'instruction immédiate pris le 19 janvier 2015 en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 février 2015 :
- le rapport de Mme Guidi, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Goujon-Fischer, rapporteur public ;
Sur la fin de non recevoir opposée par l'Eurl Pénélope :
1. Considérant que l'Eurl Pénélope ayant été placée en liquidation judiciaire le 10 mai 2011, elle a été représentée à compter de cette date par Me B...mandataire liquidateur jusqu'au 25 décembre 2012, date à laquelle il a été remplacé par MeE... ; que la circonstance que le ministre interjette appel du jugement rendu par le tribunal administratif le 19 décembre 2013 " contre MeB... " est sans incidence sur la recevabilité de son recours, dès lors qu'il est constant que le jugement a été notifié à Me E...et que le recours du ministre lui a été communiqué ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée par l'Eurl Pénélope doit être écartée ;
Sur le motif de décharge retenu par le jugement attaqué à propos de la méthode de reconstitution des recettes :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 59 du LPF : " Lorsque le désaccord persiste sur les redressements notifiés, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue par l'article 1651 du CGI (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...) " ;
3. Considérant qu'après une vérification de comptabilité de l'Eurl Pénélope, qui exploite une discothèque à Reims, portant sur l'exercice clos le 30 juin 2007, l'administration a constaté que le brouillard de caisse n'individualisait pas les recettes journalières et n'était pas cohérent avec les autres documents comptables ; qu'elle a relevé que les tickets Z ne portaient que sur les ventes d'alcool au bar et étaient incomplets, que les bandes de caisses étaient également incomplètes et ne permettaient pas d'identifier le détail des ventes, que la billetterie ne respectait pas l'obligation de numérotation et que les inventaires des stocks de tickets d'entrée et de cartons n'ont pas été présentés au vérificateur et, enfin, qu'aucun document ne permettait d'identifier le montant des recettes des soirées étudiantes ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a estimé que la comptabilité de la société était entachée de graves irrégularités et l'a écartée pour procéder à une reconstitution du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice vérifié ; que les impositions contestées ayant été établies conformément à l'avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires le 16 novembre 2009, l'Eurl Pénélope supporte la charge d'établir l'exagération des bases d'imposition retenues ;
4. Considérant que pour procéder à cette reconstitution, à partir de la méthode dite " comptabilité matière ", consistant notamment à déterminer les achats revendus par catégorie, l'administration s'est fondée sur les tickets Z pour déterminer le nombre total des ventes d'alcools à la bouteille ou servis au verre ; qu'il résulte de l'instruction que certains alcools, tels que les champagnes de certaines marques ou bien les bouteilles d'une certaine contenance, n'étaient vendus qu'à la bouteille et que d'autres alcools pouvaient être vendus servis au verre ou à la bouteille ; que le vérificateur a établi les ventes de boissons en retenant un ratio de 13 % pour les consommations à la bouteille et de 87 % pour les consommations au verre ; que, contrairement à ce que soutient l'Eurl Pénélope, le ratio de 13% n'a pas été appliqué aux alcools exclusivement vendus à la bouteille mais seulement aux alcools vendus à la fois à la bouteille et au verre ; que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, ce ratio de 13 % qui résulte de la seule exploitation objective des tickets Z, n'a pas été obtenu en divisant le nombre de ces ventes à la bouteille apparaissant sur les tickets Z par le nombre de consommations vendues au verre ; qu'enfin, l'administration, qui a dressé, par périodes, la liste des bouteilles achetées et vendues en distinguant les marques et les contenances, a effectivement distingué les différentes catégories d'alcool selon leurs modalités de vente pour reconstituer le chiffre d'affaires résultant de leur vente ; que dans ces conditions, la société, qui n'établit pas que ce ratio de 13% ne correspondrait pas aux informations contenues dans les tickets Z, n'est pas fondée à soutenir que la méthode de reconstitution de recettes mise en oeuvre par le service serait entachée d'une telle imprécision qu'elle se trouverait viciée dans son principe ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est fondé sur l'imprécision de la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de l'exercice clos en 2007 mise en oeuvre par l'administration pour décharger l'Eurl Pénélope des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée mises à sa charge ;
6. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le ministre chargé du budget et par l'Eurl Pénélope devant le tribunal administratif et, le cas échéant, devant la Cour ;
Sur la procédure d'imposition :
7. Considérant, en premier lieu, que, dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une société commerciale a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat, soit avec les mandataires sociaux, soit avec leurs conseils, préposés ou mandataires de droit ou de fait ;
8. Considérant que M.A..., gérant de l'Eurl Pénélope au cours de l'exercice clos en 2007, ayant été mis en examen pour des faits d'abus de biens sociaux et de travail dissimulé, un administrateur judiciaire a été nommé le 18 décembre 2007 par le tribunal de commerce de Reims jusqu'au 30 juin 2008 ; que la société a ensuite été placée en redressement judiciaire le 8 juin 2010 puis en liquidation judiciaire le 10 mai 2011 ; que pour procéder aux opérations de vérification de comptabilité qui se sont déroulées du 24 avril au 16 octobre 2010, l'administration s'est d'abord adressée à MeD..., alors administrateur judiciaire de la société, puis à M.C..., nommé gérant de la société par un vote de l'assemblée générale extraordinaire du 3 juillet 2007 ; qu'ainsi, la procédure a été régulièrement suivie avec les représentants légaux de la société en fonction du 24 avril au 16 octobre 2010 ; qu'à la supposer établie, la circonstance que le placement sous contrôle judiciaire de M.A..., qui a été invité par le service à rencontrer le vérificateur et a été destinataire d'une copie de tous les courriers adressés à l'Eurl au cours de la vérification de comptabilité, lui aurait interdit de s'entretenir avec les services fiscaux est sans incidence sur la régularité de la procédure ;
9. Considérant en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " I.-Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois (...) II.-Par dérogation au I, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration : (...) 4° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois " ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la vérification de comptabilité de l'Eurl Pénélope a débuté le 23 avril 2008, jour de la première visite du vérificateur au cabinet de MeD..., administrateur judiciaire de la société à cette date ; que par un courrier du 15 juillet 2008, le service a informé la société du rejet de sa comptabilité et de la prolongation de la vérification de comptabilité, soit avant l'expiration du délai de trois mois prévu par les dispositions précitées de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales ; que la circonstance que le service a, dès le 11 juillet, adressé un courrier à M. C...fixant un rendez-vous pour un entretien le 29 juillet suivant, soit avant même le rejet de la comptabilité de l'Eurl, est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors qu'à la date de cet entretien la vérification de comptabilité avait été valablement prolongée ;
11. Considérant en troisième lieu que si la société soutient que le service a utilisé de manière sélective des extraits des procès-verbaux des auditions de M. A...menées dans le cadre de la procédure pénale dont il a été l'objet, cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition dès lors qu'il ressort des termes mêmes de la proposition de rectification que les redressements sont seulement fondés sur les éléments recueillis au cours des opérations de vérification de comptabilité effectuées au sein du cabinet de l'expert comptable ; que les pièces comptables saisies dans le cadre de la procédure pénale concernant une période d'exploitation postérieure à l'exercice vérifié, l'Eurl Pénélope n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait dû exercer son droit de communication pour les obtenir ;
Sur le bien fondé de l'imposition :
12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient l'Eurl Pénélope, l'administration n'a pas reconstitué les recettes de l'établissement au cours de la période vérifiée à partir d'un sondage qui n'aurait été effectué qu'au cours d'une seule soirée, mais a tenu compte des différentes catégories de soirées organisées au sein de la discothèque à compter du démarrage de son exploitation le 18 mai 2006 en tenant compte de leurs spécificités tarifaires ; que si la société soutient que le service a artificiellement rehaussé le chiffre d'affaires en comptabilisant les boissons dites " energy drinks " comme des boissons vendus individuellement alors qu'elles ne sont servies qu'en accompagnement d'autres boissons alcoolisées, qu'en raison de sa politique commerciale de fidélisation des clients, le taux de perte réel est supérieur aux 15% retenus par le service et que l'administration a commis des erreurs dans la comptabilisation des entrées et des cartons, elle n'apporte cependant aucun élément justifiant ces allégations ; qu'ainsi, la société n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'exagération des bases d'imposition au titre de l'exercice clos en 2007 ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé du budget est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fait droit à la demande de l'Eurl Pénélope tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignées au titre de l'exercice clos en 2007 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à que l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 5 novembre 2013 est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles l'Eurl Pénélope a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2007 sont remises à sa charge.
Article 3 : Les conclusions de l'Eurl Pénélope au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié l'Eurl Pénélope et au ministre chargé du budget.
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13NC02191