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19/02/2015 | FRANCE | N°14NC01485

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 19 février 2015, 14NC01485


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 19 mars 2014 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant deux ans et l'a informée qu'elle ferait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 1401368 du 18 juillet 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté d

u 19 mars 2014 du préfet du Haut-Rhin en tant qu'il interdit à Mme B... de retour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 19 mars 2014 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant deux ans et l'a informée qu'elle ferait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 1401368 du 18 juillet 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 19 mars 2014 du préfet du Haut-Rhin en tant qu'il interdit à Mme B... de retourner sur le territoire français pendant un délai de deux ans en signalant son identité aux fins de non admission dans le système d'information Schengen et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 juillet 2014, complétée par un mémoire du 12 décembre 2014, MmeB..., représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1401368 du tribunal administratif de Strasbourg en date du 18 juillet 2014 ;

2°) d'annuler les décisions contenues dans l'arrêté du préfet du Haut-Rhin en date du 19 mars 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme B...soutient que :

- l'exécution des mesures litigieuses ne prive pas d'objet le présent litige ;

- elle aurait dû, en application de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, être mise à même de présenter ses observations avant que ne soit prise l'obligation de quitter le territoire français ; elle n'a pas été informée de ce qu'une décision lui faisant grief allait être prise à son encontre ;

- l'obligation de quitter le territoire français est stéréotypée et insuffisamment motivée ;

- le préfet a commis une erreur de fait et une erreur de droit en fondant l'obligation de quitter le territoire français sur l'article L. 511-1 I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont les conditions n'étaient pas remplies ;

- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté en tant qu'il n'a pas accordé un délai de départ volontaire est illégal en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français et le signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen sont illégales en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- les conditions n'étaient pas réunies pour la substitution de base légale opérée par le tribunal administratif, le préfet ayant un pouvoir d'appréciation différent et la portée des deux mesures n'étant pas la même.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2014, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'il n'y a plus lieu de statuer et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Stefanski, président,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de M.C..., représentant le préfet du Haut-Rhin.

Considérant ce qui suit :

1. MmeB..., ressortissante australienne, a été interpellée le 18 mars 2014 par les services de la gendarmerie nationale, alors qu'elle avait pénétré dans l'enceinte de la centrale nucléaire de Fessenheim. Par un arrêté du 19 mars 2014 pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 511-1 I 1° et II 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Haut-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant deux ans et l'a informée qu'elle ferait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Mme B...relève appel du jugement en date du 18 juillet 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a procédé à la substitution de base légale demandée par le préfet, annulé les décisions portant interdiction de retour et signalement au système d'information Schengen et rejeté le surplus de la demande.

Sur les conclusions à fin de non-lieu présentées par le préfet du Haut-Rhin :

2. La circonstance que Mme B...a été éloignée le 19 mars 2014 à destination de son pays d'origine ne rend pas sans objet la requête dirigée contre l'arrêté contesté. Il s'ensuit que les conclusions à fin de non-lieu à statuer présentées par le préfet du Haut-Rhin doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ".

4. Lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile issues de la transposition en droit national de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que celui-ci, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative en cause aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.

5. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal d'interrogatoire que MmeB..., interrogée durant sa garde à vue, a refusé de s'exprimer précisément sur sa situation personnelle comme sur les motifs et modalités de l'action collective à laquelle elle avait participé. Il ne ressort pas de ce procès-verbal qu'elle aurait été informée qu'une obligation de quitter le territoire français sans délai était susceptible d'être prise à son encontre à l'issue de sa garde à vue. Toutefois, elle ne justifie, y compris devant le juge, d'aucun élément propre à sa situation qu'elle aurait ainsi été privée de mettre en valeur et qui, si elle l'avait été, aurait été de nature à influer sur le sens de la décision prise par le préfet. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu, que Mme B...tient notamment de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.

6. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient MmeB..., l'arrêté litigieux, qui comporte le visa des textes dont il fait application, énonce les considérations de fait relatives à sa situation, notamment la circonstance qu'elle a été interpellée alors qu'elle avait pénétré dans l'enceinte de la centrale nucléaire de Fessenheim. Cette motivation n'est pas stéréotypée et démontre que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation de la requérante conformément aux exigences du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, pour obliger la requérante à quitter sans délai le territoire français, le préfet du Haut-Rhin s'est fondé, d'une part, sur les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux termes desquelles : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) " et, d'autre part, sur celles du deuxième alinéa du II de ce même article aux termes desquelles : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public (...) ".

8. Mme B...ayant démontré devant le juge être entrée régulièrement sur le territoire français, le tribunal administratif de Strasbourg a, à la demande du préfet, substitué au fondement de l'arrêté l'article L. 533-I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui dispose : " L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger, sauf s'il est au nombre de ceux visés à l'article L. 121-4, doit être reconduit à la frontière : 1° Si son comportement constitue une menace pour l'ordre public. / La menace pour l'ordre public peut s'apprécier au regard de la commission des faits passibles de poursuites pénales sur le fondement des articles du code pénal cités au premier alinéa de l'article L. 313-5 du présent code, ainsi que des 1°, 4°, 6° et 8° de l'article 311-4, de l'article 322-4-1 et des articles 222-14, 224-1 et 227-4-2 à 227-7 du code pénal (...) Le présent article ne s'applique pas à l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de trois mois (...) ".

9. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.

10. Si une obligation de quitter le territoire français peut être prononcée, en application de l'article L. 511-1 I 1°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile contre tout étranger en situation irrégulière, le préfet s'est également fondé en l'espèce, pour assortir cette obligation d'un refus de tout délai de départ volontaire, ce qui lui donnait les mêmes effets qu'une reconduite à la frontière prise sur le fondement de l'article L. 533-1, sur le 1° du deuxième alinéa du II du même article et la circonstance que Mme B...représentait une menace pour l'ordre public. Même si l'article L. 533-1 comporte une liste d'infractions pénales pouvant justifier une reconduite à la frontière, cette liste n'a qu'un caractère indicatif. Le préfet, qui devait dans les deux cas motiver sa décision, disposait du même pouvoir d'appréciation pour apprécier la menace à l'ordre public mentionnée par le II de l'article L. 511-1 et par l'article L. 533-1. La substitution de base légale n'a pas eu pour effet de priver l'intéressée des garanties de procédure qui lui sont offertes par la loi. Ainsi, le tribunal administratif a pu légalement substituer, comme fondement des décisions litigieuses, les dispositions de l'article L. 533-1 à celles de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les moyens tirés de ce que le préfet a commis une erreur de fait en estimant que Mme B...était entrée de façon irrégulière en France et une erreur de droit en décidant de l'obliger à quitter le territoire sans délai sur le fondement de l'article L. 511-1 (I 1° et II 1°) ne peuvent en conséquence qu'être écartés, ainsi que celui tiré de ce que le refus de lui accorder un délai de départ volontaire devrait être annulé en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.

11. La requérante, qui a participé, le 18 mars 2014, à une opération au cours de laquelle cinquante-cinq militants de l'organisation " Greenpeace international " ont pénétré en masse, et de force, dans l'enceinte du centre national de production de Fessenheim, certains d'entre eux ayant pris place sur les toits des bâtiments " réacteur " et " combustibles " de l'installation nucléaire, ne conteste plus en appel que son comportement constituait une menace pour l'ordre public.

Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions portant interdiction de retour et signalement au système d'information Schengen :

12. Ces décisions ont été annulées par le tribunal administratif. Mme B...est irrecevable à en demander l'annulation.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus de sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au versement d'une somme au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

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14NC01485


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14NC01485
Date de la décision : 19/02/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Colette STEFANSKI
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : FARO et GOZLAN

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2015-02-19;14nc01485 ?
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