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11/12/2014 | FRANCE | N°13NC01113

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 11 décembre 2014, 13NC01113


Vu la requête, enregistrée le 14 juin 2013, présentée pour M. E... F..., demeurant..., par Me D...;

M. F... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100140 du 16 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la directrice des ressources humaines de la société France Télécom du 26 janvier 2012 refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et à la condamnation de cette société à réparer les préjudices y afférents ;

2°) d'annuler cette décision et

de condamner la société France Télécom à lui verser les sommes de 2 704,09 et 10 000 euros...

Vu la requête, enregistrée le 14 juin 2013, présentée pour M. E... F..., demeurant..., par Me D...;

M. F... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100140 du 16 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la directrice des ressources humaines de la société France Télécom du 26 janvier 2012 refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et à la condamnation de cette société à réparer les préjudices y afférents ;

2°) d'annuler cette décision et de condamner la société France Télécom à lui verser les sommes de 2 704,09 et 10 000 euros en réparation du préjudice financier et moral résultant de son assignation devant le tribunal de police de Nancy ;

3°) de mettre à la charge de la société France Télécom la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- il pouvait bénéficier des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, dès lors que les faits qui ont donné lieu au dépôt d'une plainte pénale à son encontre se sont déroulés alors qu'il exerçait son mandat de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et étaient ainsi en lien direct avec l'exercice de ses fonctions ;

- la lecture d'une déclaration préalable à la tenue du CHSCT n'a pas le caractère d'une faute personnelle ;

- il a été relaxé par un jugement du tribunal de police de Nancy du 16 juillet 2010 des faits de diffamation non publique qui lui étaient reprochés ;

- ses frais d'avocat, qui s'élèvent à la somme de 2 704,09 euros, seront mis à la charge de la société France Télécom ;

- les poursuites pénales injustifiées dont il a été l'objet lui ont causé un préjudice moral pour lequel une indemnité de 10 000 euros lui sera accordée ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2013, présenté pour la S.A. Orange, anciennement France Télécom SA, par MeB..., qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. F...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société Orange soutient que :

- le jugement est irrégulier ;

- les propos incriminés tenus à l'encontre du directeur de l'unité étant en lien avec l'activité syndicale du requérant et non de son activité professionnelle, la société était tenue de rejeter sa demande de protection ;

- la relaxe de M. F...ayant été rendue au bénéfice du doute, l'administration pouvait retenir l'existence d'une faute personnelle pour rejeter sa demande ;

- la demande de protection présentée par M. F...après l'intervention de la décision de la cour d'appel de Nancy était tardive, toutes les instances l'opposant à M. A...étant terminées à la date de sa demande ;

- les frais d'avocats dont le requérant demande le remboursement, ont été pris en charge par le syndicat SUD ;

- la demande relative au préjudice moral se heurte à l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Nancy ;

- la discrimination syndicale alléguée n'est pas établie ;

Vu le mémoire, enregistrée le 14 mai 2014, présentée pour M. F... qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;

Il soutient, en outre, que :

- il va supporter la charge des frais d'avocat pour lesquels le syndicat lui a simplement consenti une avance ;

- la cour d'appel, qui s'est bornée à rappeler que le tribunal de police n'avait pas compétence en la matière, ne s'est pas prononcée sur son préjudice moral ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2014, présenté pour la S.A. Orange, anciennement France Télécom SA, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens ; cette société soutient, en outre, que :

- le requérant, en tenant des propos incriminant son supérieur hiérarchique, a manqué à son obligation de réserve ;

- l'intéressé a commis une faute en établissant un lien entre la direction de M. A...et l'existence d'un suicide qui n'a jamais eu lieu dans l'unité d'intervention de Corse ;

Vu le mémoire, enregistrée le 30 octobre 2014, présentée pour M. F... qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, que les frais d'avocat et d'huissier qu'il s'est engagé à rembourser au syndicat SUD s'élèvent à la somme de 3 732,32 euros ;

Vu l'ordonnance du 16 avril 2014 fixant la clôture de l'instruction au 15 mai 2014, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, et l'ordonnance du 20 mai 2014 portant réouverture de l'instruction, en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 novembre 2014 :

- le rapport de Mme Bonifacj, président,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour la société Orange ;

1. Considérant que M. F... relève appel du jugement du 16 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la directrice des ressources humaines de la société France Télécom, devenue la société Orange, du 26 janvier 2012 refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et à la condamnation de cette société à réparer les préjudices y afférents ;

Sur la légalité de la décision du 26 janvier 2012 :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. (...) La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle... " ; que ces dispositions législatives établissent au profit des fonctionnaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques relatives au comportement qu'ils ont eu dans l'exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ;

3. Considérant que M. F..., fonctionnaire de la société France Télécom, membre titulaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'unité d'intervention Alsace - Lorraine Sud, désigné par le collège constitué par les membres élus du comité d'entreprise et les délégués du personnel conformément à l'article L. 4613-1 du code du travail a été l'objet d'une plainte déposée par son supérieur hiérarchique, président du CHSCT, pour des faits de diffamation non publique en raison de propos tenus lors d'une réunion de cette instance le 18 décembre 2009 ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que si ces propos ont été exprimés dans le cadre d'une déclaration préalable à cette réunion du CHSCT, lue par l'intéressé au nom du syndicat SUD, leur objet portait sur le phénomène des suicides observé au sein de cette société et n'était donc pas étranger aux missions dévolues à cette instance ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, les poursuites pénales exercées à l'encontre de M. F...à la suite de cette déclaration doivent être regardées comme étant en lien avec l'exercice de ses fonctions au sens de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;

5. Considérant, en second lieu, que si la déclaration lue par M.F..., membre du CHSCT, comporte une critique virulente des méthodes de gestion mises en oeuvre au sein de la société France Telecom, tant au niveau national qu'au niveau local, et évoque des cas de suicide, sa lecture, dans le contexte dans lequel elle est intervenue, ne présente pas le caractère d'une faute personnelle ; qu'au demeurant, le tribunal de police de Nancy, par un jugement du 16 juillet 2010, puis la cour d'appel de Nancy, par un arrêt 29 septembre 2010, ont relaxé l'intéressé des poursuites pénales engagées à son encontre ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. F... remplissait les conditions fixées par les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 pour obtenir le bénéfice de la protection fonctionnelle ; qu'il est dès lors fondé à soutenir que, c'est à tort que le tribunal a, pour le motif contraire, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la directrice des ressources humaines de la société France Télécom du 26 janvier 2012 lui refusant le bénéfice de cette protection, ainsi que par voie de conséquence ses conclusions indemnitaires ;

7. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen de défense soulevé par la société Orange devant le tribunal administratif ;

8. Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose aux fonctionnaires un délai pour demander la protection prévue par les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 janvier 1983, ni ne leur interdit de demander, sur le fondement de ces dispositions, la prise en charge par l'Etat de frais liés à une procédure postérieurement au jugement ayant clos cette procédure ; qu'ainsi, la demande de M.F..., présentée après la confirmation par la cour d'appel de Nancy de la relaxe prononcée par le tribunal de police, ne saurait être regardée comme tardive ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens de régularité invoqués par la société Orange, que M. F...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions en annulation et ses conclusions indemnitaires ;

Sur les conclusions indemnitaires :

10. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le refus de protection est entaché d'excès de pouvoir ; que l'illégalité ainsi commise est de nature à engager la responsabilité de la société France Telecom ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi de ce chef par le requérant, qui est sans lien avec l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Nancy, en lui allouant une indemnité de 1 000 euros ;

11. Considérant, en revanche, que si M. F... fait en outre valoir qu'il s'est engagé à rembourser au syndicat SUD les frais engagés pour sa défense, les deux " reconnaissances de dette " datées du 19 avril 2011 qu'il a versées au dossier comportent des montants différents ; qu'en raison de cette contradiction entachant ces documents et en l'absence de tout autre justificatif probant, le requérant ne peut être regardé comme établissant la réalité et l'étendue des frais qu'il aurait supportés ; que cette demande d'indemnisation doit dès lors être rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. F..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Orange demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de cette société une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. F... et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 avril 2013 et la décision de la directrice des ressources humaines de la société France Télécom, devenue la société Orange, du 26 janvier 2012 sont annulés.

Article 2 : La société Orange est condamnée à verser à M. F... une indemnité de 1 000 (mille) euros en réparation de son préjudice.

Article 3 : La société Orange est condamnée à verser à M. F... la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. F... est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la société Orange présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F...et à la société Orange.

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N° 13NC01113


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13NC01113
Date de la décision : 11/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Garanties et avantages divers. Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Julienne BONIFACJ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : TASSIGNY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2014-12-11;13nc01113 ?
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