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09/12/2014 | FRANCE | N°13NC02071

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 09 décembre 2014, 13NC02071


Vu la requête, enregistrée le 28 novembre 2013, présentée pour M. C... B..., demeurant au..., par Me A...;

M. B... demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1303491 du 21 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 3 juillet 2013 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire

dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mett...

Vu la requête, enregistrée le 28 novembre 2013, présentée pour M. C... B..., demeurant au..., par Me A...;

M. B... demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1303491 du 21 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 3 juillet 2013 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé dès lors que sa motivation est stéréotypée et qu'elle ne mentionne pas les dispositions législatives permettant d'assortir ce refus d'une procédure de réadmission en Espagne ;

- dès lors qu'il est titulaire d'une carte de résident délivrée par les autorités espagnoles, il aurait dû être remis à ces autorités ;

- le préfet a commis une erreur de fait en considérant qu'il ne justifiait que de deux années et demie de présence sur le territoire alors qu'il est en réalité présent depuis au moins trois ans ;

- ses enfants sont scolarisés ;

- la décision porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2014, présenté par le préfet du Haut-Rhin, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que M. B...n'apporte pas d'élément nouveau par rapport à sa requête de première instance ;

Vu les pièces dont il résulte que, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement en ce que le tribunal a omis de soulever d'office un moyen d'ordre public ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'accord franco-marocain en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 novembre 2014 :

- le rapport de Mme Kohler, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Laubriat, rapporteur public ;

1. Considérant que M.B..., ressortissant marocain entré en France en 2008 selon ses déclarations, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié ; que, par arrêté du 3 juillet 2013, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ; que M. B... relève appel du jugement du 21 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) " ; que l'article 3 du même accord stipule que : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention "salarié" (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 (...) " ;

3. Considérant que le tribunal administratif de Strasbourg n'a pas soulevé d'office le moyen d'ordre public, qui ressortait des pièces du dossier, tiré de ce que le préfet du Haut-Rhin ne pouvait, sans méconnaître le champ d'application de la loi, rejeter la demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée par M. B...en se fondant sur la circonstance que ce dernier ne remplissait pas les conditions mentionnées par les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'un ressortissant marocain ne peut utilement invoquer les dispositions de cet article à l'appui d'une telle demande d'admission au séjour, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, au sens de l'article 9 de cet accord ; que par suite, le jugement attaqué doit être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg ;

Sur la légalité de l'arrêté du 3 juillet 2013 :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

S'agissant de la légalité externe :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision " ; que contrairement à ce que soutient M.B..., l'arrêté en litige mentionne des éléments de fait propres à sa situation ainsi que les considérations de droit sur lesquelles il se fonde ; qu'il est ainsi suffisamment motivé, sans que la circonstance que cette motivation comporte des affirmations erronées, relative à la capacité de M. B... de subvenir aux besoins de sa famille, ait une incidence ;

S'agissant de la légalité interne :

6. Considérant que, portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée ; que, dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, au sens de l'article 9 de cet accord ; que, toutefois, les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation à un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet du Haut-Rhin ne pouvait légalement fonder sa décision portant refus de délivrer à M. B...un titre de séjour en qualité de salarié sur les seules dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain susvisé prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée ;

8. Considérant que la décision attaquée, prise à tort sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et motivée par la circonstance qu'aucun motif exceptionnel ne justifiait la délivrance à M. B... d'une carte de travail en qualité de salarié, trouve un fondement légal dans l'exercice par le préfet du pouvoir de régularisation discrétionnaire dont il dispose, ainsi qu'il a été dit au point 6 ci-dessus ; que ce fondement légal peut être substitué au fondement erroné retenu par le préfet ainsi qu'il a été dit au point 7 ;

9. Considérant que si M. B...soutient que le préfet a commis une erreur de fait en considérant qu'il ne résidait en France que depuis deux ans et demi, les éléments qu'il produit, à savoir un courrier d'une entreprise, des récapitulatifs d'achats dans une pharmacie et une copie d'une réclamation auprès de la SNCF, ne permettent pas, en tout état de cause, d'établir sa présence effective en France depuis plus de trois ans ; que le moyen tiré de l'erreur de fait doit, par suite, être écarté ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. 11 ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

11. Considérant que M. B...fait valoir que son épouse et ses enfants l'ont rejoint en France où ses filles poursuivent leur scolarité et que sa troisième fille est née en France ; que ces éléments, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour, ne sont pas de nature à caractériser l'existence de liens personnels et familiaux en France tels que le refus de titre de séjour en litige puisse être regardé comme portant une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale ni, par suite, comme méconnaissant les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors d'ailleurs que sa demande de titre de séjour n'a pas été présentée sur ce dernier fondement ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

12. Considérant que M.B..., qui était titulaire d'une carte de résident délivrée par les autorités espagnoles, soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne vise pas l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

13. Considérant qu'aux termes de cet article L. 531-1 : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne (...) " ; qu'en vertu de l'article L. 511-2 du même code, une mesure d'obligation de quitter le territoire français peut être décidée à l'égard d'un étranger qui, en provenance directe d'un Etat partie à la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, ne justifie pas être entré sur le territoire français ou s'y être maintenu conformément aux stipulations de cette convention ;

14. Considérant qu'il ressort de ces dispositions que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre ; que, par suite, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1 ;

15. Considérant qu'en l'espèce, le préfet a choisi de prononcer une mesure d'obligation de quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1 ; que, dans ces conditions, il n'était pas tenu de viser l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il n'a pas fait application ;

16. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 14, contrairement à ce que soutient M. B..., qui n'a d'ailleurs pas présenté de demande en ce sens, le préfet du Haut-Rhin, n'était pas tenu de le remettre aux autorités espagnoles ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

17. Considérant que la décision du 3 juillet 2013 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a décidé que " M. C...B...pourra être reconduit à la frontière à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout pays pour lequel il établit être légalement admissible " qui cite notamment l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que par suite, elle est suffisamment motivée au regard des exigences de la loi du 11 juillet 1979 ;

18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 3 juillet 2013 ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1303491 du 21 octobre 2013 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Strasbourg ainsi que ses conclusions devant la Cour à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

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N° 13NC02071


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13NC02071
Date de la décision : 09/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-01-02 Étrangers. Séjour des étrangers. Textes applicables. Conventions internationales.


Composition du Tribunal
Président : M. COUVERT-CASTERA
Rapporteur ?: Mme Julie KOHLER
Rapporteur public ?: M. LAUBRIAT
Avocat(s) : TENESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2014-12-09;13nc02071 ?
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