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13/11/2014 | FRANCE | N°14NC00727

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 13 novembre 2014, 14NC00727


Vu la requête, enregistrée le 24 avril 2014, présentée pour la société Tata Steel France Rail, dont le siège est 164 rue Foch à Hayange (57700), par la société d'avocats Landwell et associés ;

La société Tata Steel France Rail demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1005848 du 27 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 924 886 euros, en réparation du préjudice subi, pour la période du 1er janvier 2004 au 31 mars 2008, du fait de la tra

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Vu la requête, enregistrée le 24 avril 2014, présentée pour la société Tata Steel France Rail, dont le siège est 164 rue Foch à Hayange (57700), par la société d'avocats Landwell et associés ;

La société Tata Steel France Rail demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1005848 du 27 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 924 886 euros, en réparation du préjudice subi, pour la période du 1er janvier 2004 au 31 mars 2008, du fait de la transposition tardive de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 924 886 euros, assortie des intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société requérante soutient que :

- la France aurait dû adapter son système d'imposition applicable aux produits énergétiques pour le rendre compatible avec le nouveau dispositif fiscal communautaire, en précisant notamment le régime de taxation des nouvelles catégories d'usages définies par la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 ;

- l'exonération des " produits à double usage " était obligatoire, dès lors que la directive n'entendait faire entrer les produits énergétiques dans le champ d'application de l'accise qu'en raison de leur usage comme combustible ou carburant ;

- en transposant tardivement la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003, l'Etat a commis une faute qui engage sa responsabilité ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne sur lequel s'est fondé le tribunal n'est pas transposable dès lors que les produits à double usage n'étaient pas expressément visés par la réglementation nationale ;

- le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime imposait au législateur national de prendre en compte les nouvelles catégories d'usage du gaz créées par la directive ;

- cette absence de transposition méconnait l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en écartant ce moyen d'office sans examiner les circonstances invoquées, le tribunal a insuffisamment motivé sa décision et a commis une erreur de droit ;

- alors que le gaz à " double usage " a été exonéré de la taxe intérieure à la consommation à compter du 1er avril 2008, la société a supporté un surcoût lié au maintien de cette taxe lors de l'acquisition du gaz naturel destiné aux procédés métallurgiques entre le 1er janvier 2004 et le 31 mars 2008 ;

- son préjudice est justifié pour un montant de 924 888 euros ;

- le point de départ de l'action indemnitaire correspond à la date à laquelle la société a pu prendre connaissance par l'arrêt de la Cour de justice de l'absence de transposition du dispositif, à savoir le 29 mars 2007 ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 août 2014, présenté par le ministre des finances et des comptes publics qui conclut au rejet de la requête ;

Le ministre soutient que :

- la requête est portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

- les produits énergétiques utilisés dans un procédé à double usage, étant exclus du champ d'application de la directive 2003/96/CEE, ont été taxés en vertu d'une législation nationale respectant le droit communautaire ;

- l'absence de transposition de la directive 2003/96/CE est sans effet sur la situation de la requérante ;

- par son arrêt du 5 juillet 2007, la Cour de justice de l'Union européenne a clairement affirmé que les produits à double usage sont exclus du champ d'application de la directive et restent soumis à la réglementation nationale ;

- les travaux parlementaires ne peuvent interpréter un acte communautaire ;

- le délai de transposition de la directive ayant été fixé au 1er janvier 2004, l'action en responsabilité est prescrite, la société ne pouvant former sa réclamation indemnitaire que jusqu'au 1er janvier 2009;

- le préjudice allégué n'est pas établi ;

- si la société soutient que 100% du gaz qui lui a été livré est utilisé dans le cadre de ses activités métallurgiques, elle ne fournit aucun document technique qui permettrait de justifier ce taux ;

- le préjudice ne saurait correspondre au montant de la taxe indûment supportée, dès lors que la société ne justifie pas d'une baisse de son chiffre d'affaire ou d'une compression de son bénéfice ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité ;

Vu la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 ;

Vu le code des douanes ;

Vu l'arrêt du 5 juillet 2007 rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires jointes C-145/06 et C-146/06 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 octobre 2014 :

- le rapport de Mme Bonifacj, président,

- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;

1. Considérant que la société la société Tata Steel France Rail relève appel du jugement du 27 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 924 886 euros, en réparation du préjudice subi, pour la période du 1er janvier 2004 au 31 mars 2008, du fait de la transposition tardive de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 357 bis du code des douanes : " Les tribunaux de grande instance connaissent des contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l'administration des douanes et des autres affaires de douane n'entrant pas dans la compétence des juridictions répressives. " ; qu'il résulte de ces dispositions que ces tribunaux sont toujours compétents pour connaître des contestations engagées par les redevables et relatives à l'assiette des contributions indirectes, notamment des accises ; qu'en revanche, lorsque le redevable choisit de rechercher la responsabilité de l'Etat du fait de la méconnaissance de l'obligation qui incombe au législateur d'assurer le respect des conventions internationales, notamment faute d'avoir réalisé la transposition, dans les délais qu'elles ont prescrits, des directives communautaires, une telle action relève du régime de la responsabilité de l'Etat du fait de son activité législative ; que la juridiction administrative est seule compétente pour en connaître ;

3. Considérant que la société Tata Steel France Rail demande réparation du préjudice que lui aurait causé une transposition tardive et inadéquate de la directive 2003/96/CE du Conseil de l'Union européenne du 27 octobre 2003 ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'une telle action relève de la compétence de la juridiction administrative ; que l'exception d'incompétence opposée par le ministre de l'économie et des finances doit dès lors être écartée ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité : " Les États membres taxent les produits énergétiques et l'électricité conformément à la présente directive " ; qu'aux termes de son article 2 : " 4. La présente directive ne s'applique pas : (...) b) aux utilisations ci-après des produits énergétiques et de l'électricité : / - produits énergétiques destinés à des usages autres que ceux de carburant ou de combustible, / - produits énergétiques à double usage. / Un produit énergétique est à double usage lorsqu'il est destiné à être utilisé à la fois comme combustible et pour des usages autres que ceux de carburant ou de combustible. L'utilisation de produits énergétiques pour la réduction chimique et l'électrolyse ainsi que dans les procédés métallurgiques est considérée comme un double usage (...) " ; que selon les articles 14, 15 et 16 de cette même directive, les Etats membres peuvent, dans les cas qu'ils énoncent, prévoir des exonérations ou réductions de taxation ; qu'enfin, aux termes de l'article 28 : " 1. Les États membres adoptent et publient les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 2003. Ils en informent immédiatement la Commission. 2. Ils appliquent les présentes dispositions à partir du 1er janvier 2004 (...) " ;

5. Considérant que le gaz naturel, utilisé en particulier pour la métallurgie, était en application de l'article 266 quinquies du code des douanes et sous réserve des cas d'exonérations, assujetti à une taxe intérieure de consommation lors de sa livraison par un fournisseur à un utilisateur final, qui était répercutée dans le prix d'achat, jusqu'à l'entrée en vigueur, le 1er avril 2008, de l'article 23 de la loi de finances rectificative du 25 décembre 2007 portant transposition de la directive susvisée ; que la société la société Tata Steel France Rail soutient que la responsabilité de l'Etat est engagée dans la mesure où, en l'absence de transposition de cette directive dans le délai prévu à l'article 28 de celle-ci, elle a indûment supporté cette taxe du 1er janvier 2004 au 31 mars 2008 ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions du paragraphe 4 b) de l'article 2 de cette directive que ce texte ne s'applique pas aux produits énergétiques à double usage ou utilisés autrement que comme combustibles ou carburants ; que d'ailleurs, la Cour de justice des communautés européennes, saisie d'une question préjudicielle, a par un arrêt du 5 juillet 2007 Fendt Italiana Srl c/ Agenzia Dogane - Ufficio Dogane di Trento, estimé que cette directive ne s'opposait pas à ce qu'une législation nationale prévoit la perception d'une taxe frappant les huiles lubrifiantes lorsqu'elles sont destinées, mises en vente ou employées à des usages autres que ceux de carburant ou de combustible, dès lors que le paragraphe 4 b) de l'article 2 avait placé ce type d'utilisation en dehors de son champ d'application ; que, contrairement à ce que fait valoir la société requérante, cette solution est transposable aux produits énergétiques à double usage ; que la circonstance que le législateur a décidé, lors de la transposition de la directive en cause par la loi du 25 décembre 2007 portant loi de finances rectificative pour 2007, d'exclure de la taxe intérieure de consommation les produits énergétiques à double usage, est sans incidence sur la portée à donner aux dispositions de la directive et ne saurait être regardée comme révélant l'incompatibilité du dispositif fiscal qui était en vigueur jusqu'au 1er avril 2008 ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 266 quinquies du code des douanes, dans leurs rédactions antérieures au 1er avril 2008, sur le fondement desquelles la société a indirectement supporté, pour la période en litige, la taxe intérieure de consommation du gaz naturel utilisé dans le cadre de procédés métallurgiques, étaient incompatibles avec la directive communautaire, ni donc à se prévaloir d'une transposition tardive pour mettre en jeu la responsabilité de l'Etat ;

7. Considérant, en second lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, que le paragraphe 4 b) de l'article 2 de la directive du 27 octobre 2003 exclut expressément de son champ d'application les produits énergétiques à double usage, les Etats membres conservant la faculté d'en déterminer le régime d'imposition ; que, par suite, la société requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime pour reprocher au législateur national de ne pas avoir pris en compte les nouvelles catégories d'usage du gaz créées par la directive ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Protection de la propriété. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; que les produits énergétiques à double usage étant expressément exclus du champ d'application de la directive susmentionnée, la société requérante ne peut utilement se prévaloir d'une transposition tardive pour invoquer l'atteinte à une espérance légitime d'obtenir une somme d'argent constitutive d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription opposée par le ministre de l'économie et des finances, que la société Tata Steel France Rail n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Tata Steel France Rail est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Tata Steel France Rail et au ministre des finances et des comptes publics.

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N° 14NC00727


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