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16/10/2014 | FRANCE | N°13NC01759

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 16 octobre 2014, 13NC01759


Vu la requête, enregistrée le 27 septembre 2013, présentée pour le centre hospitalier universitaire de Nancy, ayant son siège 29 avenue de Lattre de Tassigny, C.O. n° 34, à Nancy Cedex (54035), représenté par son directeur général, par la société d'avocats D...- Carle - Lengagne ;

Le centre hospitalier universitaire de Nancy demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0900542 du 31 juillet 2013 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser à M. B...E..., ayant droit de sa mère, Mme C...E..., la somme de 93 539,

30 euros au titre des frais engagés pour l'hébergement et l'entretien de celle-c...

Vu la requête, enregistrée le 27 septembre 2013, présentée pour le centre hospitalier universitaire de Nancy, ayant son siège 29 avenue de Lattre de Tassigny, C.O. n° 34, à Nancy Cedex (54035), représenté par son directeur général, par la société d'avocats D...- Carle - Lengagne ;

Le centre hospitalier universitaire de Nancy demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0900542 du 31 juillet 2013 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser à M. B...E..., ayant droit de sa mère, Mme C...E..., la somme de 93 539,30 euros au titre des frais engagés pour l'hébergement et l'entretien de celle-ci et la somme de 76 000 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis par l'intéressée ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande de M. E...tendant à l'indemnisation des frais engagés pour l'hébergement et l'entretien de sa mère ou, à titre subsidiaire, de ramener le montant de cette indemnisation de 93 539,30 euros à 46 769,65 euros ;

3°) de ramener de 76 000 euros à 35 000 euros le montant de l'indemnisation accordée en réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis par MmeE... ;

4°) d'ordonner, le cas échéant, la compensation entre le montant des indemnités au versement desquelles il pourrait être condamné et la créance qu'il détient à l'égard de M.E... ;

Il soutient que :

- indépendamment de la faute imputable à l'établissement hospitalier, à l'origine du coma de Mme E...et de son hospitalisation prolongée du 19 juillet 2002 au 23 janvier 2009, date de son décès, l'intéressée aurait dû, en tout état de cause, être admise dans un centre de long séjour en raison de son état de santé antérieur ;

- dans l'hypothèse où l'établissement hospitalier serait condamné à supporter les frais d'hébergement et d'entretien de MmeE..., le juge devra ordonner une compensation entre le montant de cette condamnation et la créance détenue par l'établissement à son égard ;

- le montant des réparations allouées au titre des préjudices extrapatrimoniaux de la victime est surévalué ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2013, présenté pour M. B... E...et M. A... E..., par MeF..., qui concluent au rejet de la requête et demandent à la Cour :

1°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à verser à M. B...E..., en sa qualité d'ayant droit de sa mère Mme C...E..., la somme totale de 265 650 euros, assortie des intérêts au taux légal, à compter du 17 octobre 2008, et de la capitalisation de ces intérêts ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à verser à M. B...E...la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

3°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à verser à M. A...E...la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

4°) de mettre les entiers dépens à la charge du centre hospitalier universitaire de Nancy, ainsi qu'une somme de 4 000 euros à partager entre les deux intimés ;

MM. E...font valoir que :

- le coma de Mme E...et son hospitalisation du 19 juillet 2002 au 23 janvier 2009, date de son décès, sont directement imputables à l'erreur de posologie commise par l'établissement hospitalier à la suite de l'intervention chirurgicale pratiquée le 17 juillet 2002 ;

- en l'absence de faute, et compte tenu du succès de cette intervention et de l'état de santé initial de MmeE..., celle-ci aurait pu regagner son domicile ;

- l'état de MmeE..., consécutif à la faute commise par l'établissement hospitalier, a nécessité des soins particuliers de type " nursing " ;

- les préjudices extrapatrimoniaux subis par Mme E...s'établissent, compte tenu de la perte de chance fixée à 95 %, à une somme de 265 650 euros ;

- le préjudice moral subi par son fils et son petit-fils doit être évalué, respectivement, à 30 000 et 10 000 euros ;

Vu la mise en demeure, adressée le 28 janvier 2014 à la caisse d'assurance maladie du régime social des indépendants d'Ile-de-France, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu les pièces, dont il résulte que la requête a été communiquée à la caisse d'assurance maladie du régime social des indépendants d'Ile-de-France, qui n'a pas présenté de mémoire en défense ;

Vu les courriers du 13 mai 2014 informant les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour est susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office tirés de l'irrecevabilité des conclusions du centre hospitalier universitaire de Nancy tendant à la compensation entre le montant de sa condamnation et celui de sa créance sur M. B... E..., ces conclusions étant nouvelles en appel, et de l'irrecevabilité des conclusions présentées par M. A...E..., lesquelles soulèvent un litige distinct de celui de l'appel principal du centre hospitalier universitaire de Nancy dirigé contre M. B...E...;

Vu le mémoire, enregistré le 21 mai 2014, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Nancy qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Il soutient, en outre, que ses conclusions tendant à obtenir une compensation ne sont pas distinctes de l'objet du litige soumis au tribunal administratif ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 septembre 2014 :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, premier conseiller,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., pour le centre hospitalier universitaire de Nancy, et de MeF..., pour MM.E... ;

1. Considérant que Mme C...E..., alors âgée de 73 ans, a été admise le 25 juin 2002 au service des urgences du centre hospitalier universitaire de Nancy, à la suite d'un malaise survenu à son domicile, en lien avec l'hydrocéphalie dont elle était atteinte ; qu'elle a fait l'objet d'une intervention chirurgicale, le 17 juillet 2002, destinée à poser un système de dérivation du liquide céphalo-rachidien ; que si la patiente a repris conscience à la suite de cette opération, elle a été victime d'une hémorragie cérébrale dans la nuit du 18 au 19 juillet 2002, et a sombré dans un coma irréversible à compter du 31 juillet suivant, jusqu'à son décès survenu le 23 janvier 2009 ; que, par deux jugements des 8 mars 2011 et 31 juillet 2013, le Tribunal administratif de Nancy a jugé que le centre hospitalier universitaire de Nancy avait commis une faute en prescrivant à MmeE..., après l'intervention chirurgicale pratiquée le 17 juillet 2002, une dose excessive d'anticoagulants, qui est à l'origine, pour l'intéressée, d'une perte de chance, évaluée à 95 %, d'échapper à l'hémorragie cérébrale dont elle a été victime ; que le tribunal a condamné l'établissement hospitalier à verser la somme totale de 169 539,30 euros en réparation des préjudices personnels subis par l'intéressée, dont les droits sont entrés dans le patrimoine de son fils, M. B...E..., et la somme de 15 250 euros en réparation du préjudice moral subi par ce dernier et le petit-fils de la victime, M. A...E... ; que le centre hospitalier universitaire de Nancy fait appel de ce jugement en tant que, par ce jugement, il a été condamné à verser la somme totale de 169 539,30 euros au fils de Mme E...en sa qualité d'ayant-droit de sa mère ; que, par la voie d'un recours incident, MM. E...demandent une réévaluation des indemnités qui leur ont été accordées en première instance ;

Sur les conclusions tendant à ce que la Cour ordonne une compensation :

2. Considérant que le centre hospitalier universitaire de Nancy demande à la Cour d'ordonner une compensation entre le montant de sa condamnation et les sommes dont le fils de Mme E... lui serait redevable au titre de l'hébergement de l'intéressée et des soins qui lui ont été prodigués du 15 juillet 2003 au 23 janvier 2009 ; que ces conclusions nouvelles présentées directement devant la Cour ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables ;

Sur les conclusions présentées par M. A...E...:

3. Considérant que, par la voie d'un recours incident, M. A...E...demande que le montant de la condamnation du centre hospitalier universitaire de Nancy à réparer son préjudice moral soit porté de 1 900 euros à 10 000 euros ; que ces conclusions soulèvent un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal formé par l'établissement hospitalier, lequel ne conteste que sa condamnation, par le jugement attaqué, à indemniser M. B...E...; que, par suite, les conclusions incidentes présentées par M. A...E...le 16 décembre 2013, après l'expiration du délai d'appel, sont irrecevables ;

Sur le surplus des conclusions des parties :

En ce qui concerne les frais d'hébergement et de dépendance :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...E...s'est vu notifier un titre exécutoire d'un montant de 98 462,41 euros correspondant aux frais d'hébergement et de dépendance, non remboursés par la caisse de sécurité sociale, engagés pour la prise en charge de sa mère du 15 juillet 2003 au 23 janvier 2009, date de son décès ; que si Mme E...présentait, avant son hospitalisation, un état de santé très fragile et, notamment, un déficit fonctionnel permanent évalué à 60 % par l'expert désigné par les premiers juges, il ressort du rapport établi par ce dernier que l'intéressée disposait encore d'une certaine autonomie, sous réserve d'une aide à domicile pour les soins médicaux et la toilette ; que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier universitaire de Nancy, il ne ressort pas de ce même rapport que, compte tenu de l'évolution prévisible de l'état de santé de Mme E...à l'issue de l'intervention pratiquée le 17 juillet 2002, cette dernière aurait dû, en tout état de cause, être prise en charge dans un centre de long séjour ; que la prise en charge de l'intéressée dans un centre de soins spécialisés a été rendue nécessaire par l'état végétatif dans lequel elle a été placée en raison de la faute imputable à l'établissement hospitalier ; que les frais relatifs à son hébergement et aux soins adaptés, qui lui ont été prodigués dans ce centre, sont directement liés à la faute commise par le centre hospitalier universitaire de Nancy ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont mis le montant de ces frais à la charge de l'établissement hospitalier, dans la limite du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue par la victime ;

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux de la victime :

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme E... présentait, avant d'être hospitalisée le 25 juin 2002, des troubles de la marche, une incontinence urinaire, des troubles des fonctions supérieures et un ulcère variqueux persistant, traduisant un déficit fonctionnel permanent évalué à 60 % ; que, du fait de la faute imputable au centre hospitalier universitaire de Nancy, Mme E...a été plongée dans un coma irréversible entraînant une incapacité permanente de 100 % ; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à l'âge de la victime et à son état de santé initial, il sera fait une juste appréciation des troubles qu'elle a subis dans ses conditions d'existence, depuis le 19 juillet 2002 jusqu'au 23 janvier 2009, date de son décès, en les évaluant à 67 000 euros ; que les souffrances endurées par l'intéressée, son préjudice d'agrément et son préjudice esthétique, incluant les ulcérations présentées aux deux mains, peuvent être évalués, dans les circonstances de l'espèce, à 13 000 euros ; que, par suite, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de l'ensemble des préjudices personnels de Mme E... en arrêtant leur montant à la somme globale de 80 000 euros et en allouant à M. B... E..., compte tenu de l'ampleur de la chance perdue, la somme de 76 000 euros ;

En ce qui concerne le préjudice moral de M. B...E... :

6. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient sous-évalué le préjudice moral subi par M. E...en le chiffrant à 15 000 euros et en allouant à ce dernier, compte tenu de l'ampleur de la chance perdue, la somme de 14 250 euros ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de Nancy n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser la somme totale de 169 539,30 euros à M. B...E...en sa qualité d'ayant-droit de Mme C...E... ; que ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a limité à 76 000 euros le montant de la condamnation prononcée au titre des préjudices extrapatrimoniaux subis par sa mère, et à 14 250 euros celui de la condamnation prononcée en réparation de son préjudice moral ;

Sur les frais d'expertise :

8. Considérant que les frais d'expertise, liquidés et taxés par les ordonnances des 7 décembre 2006 et 18 avril 2013 à la somme totale de 1 700 euros, ont été mis à la charge définitive du centre hospitalier universitaire de Nancy par le Tribunal administratif de Nancy ; que, par suite, en l'absence de contestation sur ce point, la demande présentée en appel par M. B...E...tendant à ce que les entiers dépens soient mis à la charge de l'établissement hospitalier ne peut qu'être rejetée ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire droit aux conclusions de M. B...E...présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de lui accorder à ce titre la somme de 1 500 euros ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête du centre hospitalier universitaire de Nancy et les conclusions incidentes présentées par MM. E...sont rejetées.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Nancy versera à M. B...E...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par MM. E...est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Nancy, à M. B... E..., à M. A... E...et à la caisse d'assurance maladie du régime social des indépendants d'Ile-de-France.

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N° 13NC01759


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13NC01759
Date de la décision : 16/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice. Absence ou existence du préjudice. Existence.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : POLESE-PERSON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2014-10-16;13nc01759 ?
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