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09/01/2014 | FRANCE | N°13NC00207

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 09 janvier 2014, 13NC00207


Vu I, la requête enregistrée le 4 février 2013 sous le n° 13NC00207, présentée pour la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, ayant son siège 16 rue de Lausanne à Strasbourg Cedex (67090), représentée par son directeur en exercice, par la SCP Alexandre Levy et Kahn ;

La caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0903699 du 18 décembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Sarreguemines à lui rembourser le montan

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Vu I, la requête enregistrée le 4 février 2013 sous le n° 13NC00207, présentée pour la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, ayant son siège 16 rue de Lausanne à Strasbourg Cedex (67090), représentée par son directeur en exercice, par la SCP Alexandre Levy et Kahn ;

La caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0903699 du 18 décembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Sarreguemines à lui rembourser le montant des prestations versées à Mme C...B...et à lui verser l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Sarreguemines à lui verser la somme de 1 595 808,57 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter la décision à intervenir, en remboursement de ses débours à la date du 26 novembre 2012, et de réserver ses droits à remboursement pour les prestations qui seront versées postérieurement à cette date ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Sarreguemines à lui verser la somme de 1 015 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

4°) de condamner le centre hospitalier de Sarreguemines à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Sarreguemines est engagée dès lors qu'un retard fautif lui est imputable dans le diagnostic et le traitement de la thrombose de MmeB... ;

- la faute de l'établissement hospitalier est à l'origine d'une perte de chance pour l'intéressée d'éviter les conséquences de cette thrombose ;

- elle est fondée en conséquence à demander le remboursement des prestations servies à MmeB... ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 15 mai 2013 à Me E..., en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2013, présenté pour le centre hospitalier de Sarreguemines, par MeE..., qui conclut au rejet de la requête et, dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé, à ce que la Cour ordonne une expertise complémentaire ;

Le centre hospitalier de Sarreguemines fait valoir que :

- aucune faute ne lui est imputable dans le retard de diagnostic de la thrombose de Mme B... ;

- à supposer que cette pathologie ait été diagnostiquée à l'arrivée de la patiente dans l'établissement hospitalier, aucun traitement n'aurait permis d'éviter les conséquences de la thrombose ;

- le tribunal administratif pouvait se fonder sur les rapports critiques des docteurs Poullain et Rougemont, produits à l'instance par le défendeur ;

- à titre subsidiaire, la perte de chance subie par la victime ne saurait excéder 10 %, l'évaluation de ce taux pouvant donner lieu à une expertise complémentaire ;

- la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas fondée à obtenir le remboursement, par anticipation, des frais futurs qui ne sont pas certains ;

Vu le mémoire, enregistré le 29 novembre 2013, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin qui conclut aux mêmes fins en portant le montant de ses débours à 1 770 193,27 euros ;

Vu II, la requête enregistrée le 18 février 2013 sous le n° 13NC00269, présentée pour M. A... B...et Mme C...B..., demeurant..., par Me D... ;

M. et Mme B... demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0903699 du 18 décembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Sarreguemines à leur verser les sommes, respectivement, de 164 000 euros et 533 600 euros, ainsi qu'une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à ce qu'une expertise soit ordonnée pour l'évaluation de leurs préjudices ;

2°) d'ordonner une expertise en vue d'évaluer l'ampleur de la chance perdue par Mme B..., ainsi que le montant des différents postes de préjudices ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Sarreguemines à leur verser, à titre provisionnel, les sommes respectives de 20 000 euros et de 100 000 euros ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale complète ;

Ils soutiennent que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Sarreguemines est engagée pour faute dès lors que Mme B...a été prise en charge tardivement et n'a pas bénéficié d'investigations et de soins médicaux réalisés dans les règles de l'art ;

- ce retard de diagnostic et de prise en charge adaptée est à l'origine d'une perte de chance pour Mme B...d'échapper à l'aggravation de son état, ainsi qu'il ressort du rapport d'expertise du docteur Schlesser, qui a été établi contradictoirement et est seul opposable aux parties ;

- si le tribunal administratif n'a pas tenu compte des conclusions du rapport d'expertise du docteur Pottecher, lesquelles reposent sur des présupposés erronés, il ne pouvait pas pour autant se fonder sur des expertises partiales et non contradictoires, produites à l'instance par le centre hospitalier de Sarreguemines et son assureur, pour écarter tout lien de causalité entre la faute et la perte de chance ;

- les conclusions des experts du centre hospitalier de Sarreguemines sont erronées ;

- l'expert désigné par la Cour devra évaluer le pourcentage de la chance perdue par Mme B..., ainsi que le montant de ses pertes de gains professionnels, de son préjudice professionnel, de l'assistance à tierce personne, et des travaux d'aménagement rendus nécessaires par son handicap ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 5 mars 2013, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, par la SCP Alexandre Levy et Kahn, qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans sa requête susvisée, enregistrée le 4 février 2013, sous le n° 13NC00207 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2013, présenté pour le centre hospitalier de Sarreguemines, par MeE..., qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans son mémoire susvisé enregistré le 14 juin 2013 sous le n° 13NC00207 ;

Vu les pièces dont il résulte que la requête a été communiquée à la caisse mutuelle ACM, qui n'a pas présenté de mémoire en défense ;

Vu le mémoire, enregistré le 29 novembre 2013, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin qui conclut aux mêmes fins en portant le montant de ses débours à 1 770 193,27 euros ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 décembre 2013 :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 décembre 2013, présentée par M. B...dans le dossier n° 13NC00269 ;

1. Considérant que Mme B...a été hospitalisée au service des urgences du centre hospitalier de Sarreguemines le 22 août 2002, à 20 heures, en raison de vives douleurs abdominales, accompagnées de troubles digestifs et de vomissements ; que son état s'étant progressivement dégradé au cours de la nuit du 22 au 23 août 2002, elle a été transférée dans un état comateux le 23 août 2002 vers 11 heures au service de réanimation de l'hôpital Pasteur de Strasbourg ; que les examens subis par Mme B...dans cet établissement ont permis de diagnostiquer un infarctus mésentérique distal, ainsi que des accidents vasculaires ischémiques récents au niveau cérébral ; qu'après plusieurs mois de coma, Mme B...est restée atteinte d'une tétraplégie et d'un syndrome de l'emmurement, qui ne lui permet de communiquer que de façon très limitée ; que Mme B...et son époux, qui imputent les graves séquelles dont l'intéressée est restée atteinte aux conditions dans lesquelles elle a été prise en charge au centre hospitalier de Sarreguemines, ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Lorraine en vue d'obtenir la réparation de leurs préjudices ; que cette demande ayant été rejetée par la commission, ils ont ensuite saisi le Tribunal administratif de Strasbourg lequel a rejeté leur demande par un jugement du 18 décembre 2012 ; que M. et MmeB..., ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, font appel de ce jugement ;

Sur la jonction :

2. Considérant que les requêtes présentées par M. et Mme B...et par la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin sont dirigées contre le même jugement, portent sur les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant que M. et Mme B...soutiennent que les premiers juges se seraient fondés sur les expertises partiales et non contradictoires produites à l'instance par le centre hospitalier de Sarreguemines et son assureur ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que le rapport d'expertise établi par le docteur Schlesser produit devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, a été établi contradictoirement entre les parties, et comporte l'ensemble des éléments pris en compte par le tribunal administratif pour statuer sur le caractère fautif des conditions de prise en charge de MmeB... ; que si l'expert indique dans son rapport que cette faute est selon lui à l'origine d'une perte de chance, il considère être dans l'incapacité d'évaluer la proportion de cette perte eu égard aux incertitudes tenant à la disponibilité d'un véhicule du SAMU et à la réalisation d'une IRM au cours de la nuit ; que, par suite, les premiers juges ne se sont pas fondés sur des éléments non contradictoires pour estimer que, malgré la faute imputable à l'établissement hospitalier, l'intéressée n'avait aucune chance d'éviter la thrombose dont résultent ses séquelles ;

Sur la responsabilité :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que MmeB..., qui a été hospitalisée au centre hospitalier de Sarreguemines, le 22 août 2002 à 20 heures, en raison de douleurs abdominales, présentait vers 21 heures 30 des yeux révulsés, des troubles de l'élocution, une mâchoire désaxée et une déviation du regard vers la droite ; que si ces symptômes ont été interprétés par le médecin de garde comme des effets secondaires du médicament " primpéran ", qui avait été administré à la patiente lors de son arrivée à l'hôpital, il résulte du rapport de l'expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux que les résultats du dosage des D-Dimères, demandés à 21 heures et disponibles peu avant 22 heures, mettaient en évidence un taux de 3540 ng/ml, ce qui, hors de tout contexte infectieux ou chirurgical récent, aurait dû attirer l'attention du médecin sur la constitution d'une thrombose au niveau cérébral ; que si le scanner cérébral réalisé vers 22 heures ne révélait aucune anomalie, l'expert ajoute qu'un tel examen ne permet pas de déceler une ischémie cérébrale en stade précoce ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les résultats de l'examen biologique des D-Dimères aient suscité une réaction particulière du corps médical, notamment par la consultation de praticiens spécialisés en chirurgie ou en neurologie ; que Mme B...n'a été placée en réanimation que plusieurs heures après l'établissement de ces résultats, le 23 août 2002 entre 3 et 4 heures du matin, alors qu'elle se trouvait dans un état comateux, puis a finalement été transférée, vers 11 heures, au service de réanimation de l'hôpital Pasteur de Strasbourg, où une angiographie par IRM a permis de vérifier qu'elle avait subi un accident vasculaire cérébral ; que la mauvaise interprétation des signes cliniques présentés par MmeB..., l'ignorance de résultats biologiques qualifiés de capitaux par l'expert et l'absence d'avis spécialisés sont, dans les circonstances de l'espèce, constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Sarreguemines ;

Sur l'évaluation des préjudices :

5. Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties " ;

6. Considérant que les dysfonctionnements fautifs du centre hospitalier de Sarreguemines ont fait obstacle à la réalisation plus précoce d'un examen par IRM, seul à même, selon l'expert, de diagnostiquer avec certitude un accident vasculaire cérébral, et de permettre l'administration rapide d'un traitement anticoagulant ; que si les requérants soutiennent que Mme B...a ainsi perdu une chance d'échapper aux séquelles dont elle est restée atteinte, l'état du dossier ne permet pas à la Cour de statuer sur l'existence de cette perte de chance et, dans l'hypothèse où celle-ci serait avérée, d'en apprécier l'ampleur ; que, dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur les appels principaux de M. et Mme B...et de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, d'ordonner une expertise complémentaire aux fins précisées ci-après ;

D E C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les requêtes de M. et Mme B...et de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, procédé à un complément d'expertise, par un médecin spécialisé en neurologie, en vue de :

1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme B...et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués sur elle lors de sa prise en charge par le centre hospitalier de Sarreguemines, y compris les rapports des expertises médicales ordonnées par le président de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Lorraine ; de convoquer et entendre les parties et tous sachants ; de procéder éventuellement à l'examen clinique de MmeB....

2°) fournir à la Cour tous les éléments, notamment techniques, chronologiques et statistiques, permettant d'apprécier l'existence et l'ampleur éventuelle de la chance que Mme B...a perdue, du fait des fautes commises au centre hospitalier de Sarreguemines, d'échapper aux séquelles dont elle est demeurée atteinte ;

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision le désignant.

Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, à M. A...B..., à Mme C...B..., à la caisse mutuelle ACM et au centre hospitalier de Sarreguemines.

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N° 13NC00207-13NC00269


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13NC00207
Date de la décision : 09/01/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : SCP ALEXANDRE LEVY KAHN ; SCP ALEXANDRE LEVY KAHN ; SCP ALEXANDRE LEVY KAHN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2014-01-09;13nc00207 ?
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