Vu la requête, enregistrée le 19 décembre 2012, présentée pour Mme B... K...-G..., M. C... K...-G... et leurs enfants Océane, Xavier, Maelys et Anaïs Da Silva-G..., demeurant..., par Me J... ;
Mme K... -G... et autres demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0901873 du 6 novembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la condamnation des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg à les indemniser des conséquences dommageables du défaut d'information sur le handicap de l'enfant Océane, pendant la croissance foetale de celle-ci ;
2°) de condamner les Hôpitaux civils de Colmar et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à verser la somme de 1 877 952,73 euros à Océane, la somme de 100 000 euros à ses parents, et la somme de 10 000 euros à son frère et à ses soeurs, lesdites sommes portant intérêt au taux légal à compter du 6 janvier 2009 ;
3°) de condamner les Hôpitaux civils de Colmar et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg aux dépens, ainsi qu'au versement, à chacun des requérants, de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- les établissements hospitaliers ont commis une faute caractérisée au sens de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles et ont ainsi engagé leur responsabilité ;
- l'expert désigné par les premiers juges a conclu que Mme K...-G... aurait dû être informée des anomalies affectant le développement du foetus ;
- l'avis du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal aurait dû leur être transmis en application des articles R. 162-27, R. 162-28 et R. 162-29 du code de la santé publique, dont les dispositions ont été reprises aux articles R. 2131-16 et suivants du même code ;
- l'obligation d'information ne se limitait pas au seul diagnostic, chez le foetus, d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable, mais devait porter, dès l'engagement de la procédure pluridisciplinaire, sur l'ensemble des investigations et résultats obtenus dans le cadre du diagnostic prénatal ;
- le défaut d'information n'a pas permis aux parents de se faire représenter par un médecin de leur choix lors de la concertation pluridisciplinaire, ni de disposer d'un avis leur permettant de consulter un autre centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal ;
- les établissements hospitaliers incriminés n'apportent pas la preuve de ce que les informations requises ont été communiquées ;
- le montant de l'indemnisation est évalué à 908 854,69 euros au titre des dépenses de santé, à 279 098,04 euros au titre des dépenses liées au handicap, à 690 000 euros au titre du préjudice personnel de l'enfant Océane, à 100 000 euros au titre du préjudice personnel de ses parents, et à 10 000 euros au titre du préjudice personnel de son frère et de ses soeurs ;
- les dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, sont incompatibles avec l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en tant qu'elles ne permettent pas une réparation intégrale du préjudice ;
- ces mêmes dispositions sont incompatibles avec les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que le défaut d'indemnisation des préjudices économiques et matériels porte une atteinte disproportionnée au droit à une vie privée et familiale normale ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 18 février 2013, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, représentée par son directeur en exercice, par MeI..., qui demande à la Cour de condamner les Hôpitaux civils de Colmar et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser la somme de 352 680,05 euros, cette somme portant intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, de réserver ses droits en ce qui concerne les prestations à venir, et de mettre à la charge des deux établissements hospitaliers la somme de 1 015 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La caisse primaire d'assurance maladie soutient que :
- la responsabilité des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg est engagée pour faute caractérisée ;
- les dépenses dont le remboursement est demandé sont imputables au handicap de l'enfant Océane ;
- ses droits doivent être réservés en ce qui concerne les prestations à venir ;
Vu le mémoire, enregistré le 4 mars 2013, présenté pour Mme et M. G...et autres qui concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ;
Vu la mise en demeure adressée le 16 avril 2013 à Me H..., en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2013, présenté pour les Hôpitaux civils de Colmar et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, par MeH..., qui concluent au rejet de la requête ;
Les Hôpitaux civils de Colmar et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg font valoir que :
- ils n'ont commis aucune faute caractérisée dans le suivi médical de la requérante ;
- le défaut d'information allégué ne constitue pas non plus une telle faute dès lors que les examens réalisés n'ont pas permis de diagnostiquer le handicap de l'enfant à naître ;
- l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ne méconnaît ni l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les articles 3 et 8 de cette même convention ;
- l'article L. 114-5 interdit toute indemnisation du préjudice propre de l'enfant née handicapée ;
- les demandes présentées en vue de la réparation du préjudice moral de ses parents, de son frère et de ses soeurs sont excessives ;
Vu la lettre du 11 septembre 2013 par laquelle les parties ont été informées qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, il était envisagé d'appeler l'affaire à une audience au cours du quatrième trimestre de l'année 2013 et que l'instruction pourrait être close à compter du 30 octobre 2013 sans information préalable ;
Vu le mémoire, enregistré le 11 octobre 2013, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin qui conclut aux mêmes fins en portant à 464 163,93 euros le montant de ses débours à la date du 4 octobre 2013 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 décembre 2013 :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;
1. Considérant que Mme K...-G... a été hospitalisée le 20 août 2002, au cours de sa deuxième grossesse, dans le service de gynécologie obstétrique des Hôpitaux civils de Colmar, après que son médecin traitant ait observé un retard de développement du foetus ; que les examens échographiques ayant confirmé une hypotrophie foetale, l'intéressée a été transférée le 22 août 2002 à l'hôpital Hautepierre à Strasbourg, ledit établissement dépendant des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, en vue d'y subir des examens spécialisés jusqu'au 31 août suivant ; que Mme K...-G... a donné naissance le 29 octobre 2002 à une fille prénommée Océane chez laquelle a été diagnostiquée une arthrogrypose, ainsi qu'un pied bot bilatéral et une fente palatine, entrainant chez l'enfant une invalidité de 80 % ; que Mme K...-G... et son époux recherchent la responsabilité des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg au motif que, n'ayant pas été informés des anomalies observées au cours de la croissance foetale, ils n'ont pas été mis en mesure de solliciter une interruption médicale de grossesse ; qu'ils font appel du jugement du 6 novembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la condamnation des deux établissements hospitaliers à les indemniser des préjudices subis tant par leur fille que par eux-mêmes et leurs autres enfants ; que la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin demande le remboursement de ses débours, pour un montant de 464 163,93 euros ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la codification, par le paragraphe 1 du II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée, de dispositions qui figuraient antérieurement aux trois premiers alinéas du I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. " ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans des conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " ; que, selon l'article 8 de cette convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
4. Considérant, d'une part, que le régime de responsabilité défini par les dispositions précitées de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles prévoit la réparation, par une indemnité qu'évalue souverainement le juge, du préjudice directement causé à la personne née handicapée par une faute médicale et du préjudice directement causé aux parents de l'enfant né avec un handicap qui, à la suite d'une faute médicale caractérisée, n'a pas été décelé pendant la grossesse ; que si ces dispositions font obstacle à l'indemnisation du préjudice correspondant, pour l'enfant comme pour ses parents, aux charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, d'un handicap qui, à la suite d'une faute médicale n'a pas été décelé pendant la grossesse, elles prévoient cependant la prise en charge du handicap de l'enfant par la solidarité nationale dans les conditions prévues par l'article L. 114-1 du code de l'action sociales et des familles ;
5. Considérant, d'autre part, que le régime de responsabilité présenté ci-dessus concerne, en l'espèce, des faits intervenus postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002, codifié à l'article L. 114-5 du code de l'action sociales et des familles, et ne remet pas en cause la créance alléguée par les requérants à l'égard des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article L. 114-5 n'est incompatible ni avec les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que le handicap dont la jeune L...-G... est atteinte a une origine génétique et ne résulte pas d'un acte médical ; que, dès lors, M. et Mme K...-G... ne sont pas fondés à demander, pour eux et pour leur fille handicapée, la réparation du préjudice résultant de la naissance de celle-ci et des charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de son handicap ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par les premiers juges, qu'après avoir constaté, à la suite d'une échographie réalisée à 25 semaines d'aménorrhée, un retard de croissance et une faible mobilité du foetus, les praticiens des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ont fait procéder à un bilan de recherche des signes biologiques d'une pathologie vasculaire du placenta, de pathologies infectieuses, et d'anomalies chromosomiques ou génétiques, susceptibles d'expliquer ce retard de développement ; que l'expert a estimé que ces praticiens, prenant en compte les facteurs de risque présentés par Mme K...-G..., avaient rempli leur obligation de moyens, permettant à la patiente de bénéficier d'examens conformes aux données acquises de la science médicale ; qu'en particulier, les examens doppler, qui permettent de déceler l'existence d'une maladie vasculaire du placenta, se sont avérés normaux ; que des examens spécialisés ont confirmé que le caryotype ne présentait aucune anomalie et ont permis d'écarter l'hypothèse d'une délétion au locus du chromosome 4, cause recensée d'hypotrophie sévère selon l'expert ; que les recherches effectuées n'ont par ailleurs mis en évidence aucune infection virale qui aurait pu se trouver à l'origine du retard de développement et de la faible mobilité du foetus ; que si les praticiens des deux établissements hospitaliers n'ont pas décelé de malformation du foetus, malgré une mauvaise position des membres visible sur les échographies qu'ils ont réalisées, il ressort du rapport d'expertise que la réduction du liquide amniotique, observé chez la patiente, et l'immobilité du foetus ont eu pour effet d'accentuer l'imprécision habituelle des images échographiques ; que le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, consulté par les praticiens de l'hôpital Hautepierre de Strasbourg, a estimé, dans son avis du 6 septembre 2002, que le bilan cytogénétique et infectieux de Mme K...-G... ne permettait pas d'expliquer le retard de croissance du foetus et recommandait une surveillance hebdomadaire de la patiente ; que si l'expert indique que l'immobilisme du foetus et son retard de croissance sévère, inférieur au 3ème centile, révèlent en tant que tels un risque de maladie grave chez l'enfant, il précise que les praticiens des deux établissements hospitaliers se sont trouvés confrontés à un dossier complexe, d'interprétation particulièrement difficile, et dans lequel aucun élément ne permettait d'orienter avec certitude un diagnostic vers une malformation du foetus ;
9. Considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, les praticiens des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ont pu estimer que l'enfant à naître ne présentait pas d'affection de nature à provoquer un handicap ; que, dans ces conditions, ces deux établissements hospitaliers n'ont commis aucune faute caractérisée au sens des dispositions précitées de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles en ne parvenant pas à diagnostiquer le handicap dont l'enfant était atteint ; que, par suite, M. et Mme K...-G... ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance qu'aucune information appropriée ne leur aurait été délivrée, dans les conditions prévues par les articles R. 2131-16 et suivants du code de la santé publique, sur le risque de malformation présenté par leur enfant à naître, pour engager la responsabilité de ces établissements sanitaires ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme K...-G... et autres et la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il y a lieu de laisser à la charge de Mme K...-G... et autres la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme K...-G... et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... K...-G..., à M. C... K...-G..., à Mlle E... K...-G..., à M. F... K...-G..., à Mlle D... K...-G..., à Mlle A... K...-G..., aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, aux Hôpitaux civils de Colmar et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.
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N° 12NC02068