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19/12/2013 | FRANCE | N°12NC01893

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 19 décembre 2013, 12NC01893


Vu la requête, enregistrée le 23 novembre 2012, complétée par des mémoires enregistrés le 9 août 2013 et le 22 novembre 2013, présentée pour l'association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), ayant son siège 10 rue de Haguenau à Strasbourg (67000), par MeB... ;

L'ASPAS demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000980 en date du 27 septembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 77 580 euros en réparation du préjudice moral et du pr

éjudice écologique que lui ont causés les arrêtés illégaux du préfet de la Haut...

Vu la requête, enregistrée le 23 novembre 2012, complétée par des mémoires enregistrés le 9 août 2013 et le 22 novembre 2013, présentée pour l'association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), ayant son siège 10 rue de Haguenau à Strasbourg (67000), par MeB... ;

L'ASPAS demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000980 en date du 27 septembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 77 580 euros en réparation du préjudice moral et du préjudice écologique que lui ont causés les arrêtés illégaux du préfet de la Haute-Marne fixant la liste des animaux classés nuisibles et leurs modalités de destruction pour l'année 2007 dans le département de la Haute-Marne ;

2°) de faire droit à sa demande indemnitaire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

L'ASPAS soutient que :

- c'est à tort que l'intervention de la fédération départementale des chasseurs de la Haute-Marne a été jugée recevable par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée du fait de l'illégalité des arrêtés préfectoraux du 1er décembre 2006 dont elle a obtenu l'annulation ;

- la faute commise par l'Etat lui a causé un préjudice moral, du fait de l'atteinte à son objectif statutaire de protection de la faune sauvage, et particulièrement des animaux nuisibles ; ce préjudice présente un lien direct et certain avec les arrêtés annulés pour un vice de fond dès lors que des animaux ont illégalement été classés nuisibles et détruits de ce fait ;

- la faute commise a également causé un préjudice écologique, les espèces détruites étant partie intégrante du patrimoine naturel national et participant à son équilibre ; étant une association agréée pour la protection de l'environnement au titre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement et reconnue d'utilité publique, elle a vocation à obtenir réparation de ce préjudice écologique résultant d'une atteinte à l'environnement ;

- la réparation ne saurait être seulement symbolique ; sur la base de 30 euros par martre ou putois et de cinq euros par oiseau, une juste réparation des préjudices subis du fait de la destruction de 109 martres, 47 putois, 977 corneilles, 4 407 corbeaux, 17 étourneaux sansonnets et 9 118 pigeons ramiers s'élève à 77 580 euros ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2013, présenté par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie qui conclut au rejet de la requête ;

Le ministre soutient que :

- l'ASPAS n'a subi aucun préjudice personnel et moral ; l'association ne subit un préjudice moral que dans la mesure où les espèces en litige n'auraient pu légalement être classées comme nuisibles, or l'arrêté fixant la liste des espèces d'animaux nuisibles n'a pas été annulé au regard de l'erreur d'appréciation commise en ce qui concerne leur caractère nuisible ; qu'en outre la destruction des spécimens en cause n'est pas susceptible d'avoir une incidence sur l'état de conservation ou la dynamique des populations de cette espèce au regard du bon état de conservation des espèces en cause en France ;

- le préjudice écologique ne peut être distingué du préjudice moral et l'atteinte au patrimoine environnemental ne peut justifier la réparation demandée au regard du caractère très commun des espèces en cause ;

- l'arrêté relatif aux modalités de destruction des mêmes animaux n'est illégal qu'en raison d'une insuffisance de motivation au regard de l'article R. 427-22 du code de l'environnement ;

- le montant du préjudice moral demandé doit en tout état de cause être diminué à l'euro symbolique ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 novembre 2013, présenté pour la fédération départementale des chasseurs de la Haute-Marne par Me A...qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'ASPAS une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La fédération départementale des chasseurs de la Haute-Marne soutient que :

- son intervention formée en première instance était recevable ;

- toute illégalité fautive n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- l'efficacité des méthodes alternatives n'a jamais été démontrée ;

- l'indemnisation du préjudice moral n'est pas justifiée ;

Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

Vu la directive 92/43/CEE du conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des espaces naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 novembre 2013 :

- le rapport de M. Richard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public ;

1. Considérant que l'ASPAS relève appel du jugement en date du 27 septembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 77 580 euros en réparation du préjudice moral et écologique qu'elle soutient avoir subi du fait de la faute commise par le préfet de la Haute-Marne en classant illégalement, par deux arrêtés du 1er décembre 2006 partiellement annulés par le juge administratif, sept espèces parmi les animaux nuisibles et en autorisant leur destruction ;

Sur l'intervention de la fédération départementale des chasseurs de la Haute-Marne :

2. Considérant qu'eu égard à la nature et à l'objet du litige relatif à une demande indemnitaire formée par l'ASPAS contre l'Etat en réparation du préjudice que cette association estime avoir subi du fait de l'illégalité fautive des arrêtés en date du 1er décembre 2006 du préfet de la Haute-Marne, la fédération des chasseurs de la Haute-Marne, alors même qu'elle aurait eu intérêt à intervenir au soutien de la légalité de ces arrêtés, ne justifiait pas d'un intérêt suffisant pour intervenir en première instance au soutien des conclusions en défense du préfet de la Haute-Marne ; que l'ASPAS est ainsi fondée à soutenir que l'intervention de la fédération départementale des chasseurs de la Haute-Marne n'était pas recevable et à demander l'annulation du jugement litigieux en tant qu'il a admis cette intervention ;

3. Considérant que pour les mêmes motifs, l'intervention de la fédération départementale des chasseurs formée en appel au soutien des écritures en défense du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie n'est pas recevable et ne peut qu'être rejetée dans toutes ses conclusions ;

Sur les conclusions indemnitaires :

4. Considérant que par arrêté 3546 du 1er décembre 2006 pris en application de l'article R. 427-7 du code de l'environnement, le préfet de la Haute-Marne a arrêté la liste des espèces classées nuisibles pour l'année 2007 dans ce département ; que par arrêté 3547 du même jour, il a fixé les modalités de destruction de ces animaux ; que par un jugement n° 0700208 du 20 novembre 2008 devenu définitif, le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne a, à la demande de l'ASPAS, d'une part, annulé l'arrêté 3546 en tant qu'il classait espèces nuisibles la martre, le putois, le corbeau freux, la corneille noire, l'étourneau sansonnet, la pie bavarde et le pigeon ramier, d'autre part annulé l'arrêté 3547 en tant qu'il permettait la destruction à tir des cinq espèces d'oiseaux ; que, pour prononcer ces annulations, le tribunal a retenu, s'agissant de la martre et du putois, qu'il s'agissait d'espèces d'intérêt communautaire protégées au titre de la directive européenne 92/43/CEE du 21 mai 1992, qui ne peuvent faire l'objet de mesures de gestion qu'à la stricte condition qu'il n'existe aucune autre solution satisfaisante et que cela ne nuise pas au maintien des populations dans un état de conservation favorable, et qu'en l'espèce le préfet n'avait pas préalablement étudié ou mis en oeuvre des méthodes alternatives au piégeage ; qu'en ce qui concerne les cinq espèces d'oiseaux, le tribunal a retenu qu'en vertu des objectifs définis par la directive européenne 79/409/CEE du 2 avril 1979 relative à la conservation des oiseaux sauvages, le préfet devait également, avant d'autoriser leur destruction, mettre en oeuvre ou étudier des solutions alternatives, ce qu'il n'avait pas fait, pas plus d'ailleurs qu'il n'avait motivé son arrêté 3547 en tant qu'il prolonge la période de chasse de ces espèces ;

5. Considérant que l'ASPAS demande réparation du préjudice moral et du préjudice écologique que lui a selon elle causés l'administration en édictant ces arrêtés illégaux, qui ont produit leurs effets tout au long de l'année 2007 ;

6. Considérant que l'ASPAS a pour objet statutaire d'agir pour la protection de la faune, de la flore, pour la conservation du patrimoine naturel en général et plus particulièrement pour " la réhabilitation des animaux sauvages " ; qu'elle mène de nombreuses actions pour sensibiliser le public à la protection des espèces sauvages, notamment des espèces considérées comme nuisibles dont l'intérêt écologique est selon elle méconnu ; qu'ainsi, en classant illégalement deux espèces de mammifères, au surplus d'intérêt communautaire, et cinq espèces d'oiseaux sauvages comme espèces nuisibles et en autorisant leur destruction sans mettre en oeuvre ni même étudier la possibilité de méthodes alternatives pour prévenir les nuisances qui leur sont imputées, le préfet de la Haute- Marne a commis une faute portant atteinte à l'objet statutaire de cette association, dont il est directement résulté, pour elle, un préjudice ; que ce préjudice existe alors même que l'ASPAS ne pourrait démontrer que les méthodes alternatives qu'elle prône auraient pu être efficacement mises en oeuvre dans la Haute-Marne en évitant les destructions effectivement pratiquées en 2007 sur le fondement des arrêtés illégaux ;

7. Considérant, en revanche, que l'ASPAS n'est pas fondée à demander l'engagement de la responsabilité de l'Etat au titre du " préjudice écologique " qui résulterait des destructions illégalement opérées et de l'atteinte portée de ce fait à l'environnement, dès lors qu'un tel préjudice ne lui est pas personnel et qu'aucune norme ou principe général ne définit ni n'impose le principe d'une telle réparation par l'Etat au bénéfice d'une association agréée de défense de l'environnement dans l'hypothèse visée par le présent litige ;

8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'ASPAS en fixant à 1 000 euros la somme due par l'Etat à ce titre ;

9. Considérant qu'il résulte de ce tout ce qui précède que l'ASPAS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement en date du 27 septembre 2012, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande indemnitaire ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à l'ASPAS de la somme de 1 500 euros qu'elle demande au titre des frais exposés ;

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de la fédération départementale des chasseurs de la Haute-Marne n'est pas admise.

Article 2 : Le jugement n° 1000980 en date du 27 septembre 2012 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 (mille) euros à l'ASPAS en réparation de son préjudice moral.

Article 4 : L'Etat versera à l'ASPAS une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de l'ASPAS est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'ASPAS, à la fédération départementale des chasseurs de la Haute-Marne et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Marne.

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12NC01893


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Absence ou existence du préjudice.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère indemnisable du préjudice - Questions diverses.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Michel RICHARD
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : CHORUS CONSEIL

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Date de la décision : 19/12/2013
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 12NC01893
Numéro NOR : CETATEXT000028411520 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2013-12-19;12nc01893 ?
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