Vu la requête, enregistrée le 1er août 2012, présentée pour M. D...E..., retenu à..., par Me B...;
M. E...demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1005378 du 19 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à annuler la décision du 12 octobre 2010 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a décidé de maintenir son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS) ;
2°) d'annuler la décision du 12 octobre 2010 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à Me B...en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
Il soutient que :
- la décision attaquée a été signée par une autorité incompétente ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- c'est à tort que l'administration l'a maintenu au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS) : les faits pour lesquels il a été incarcéré étant anciens, les risques de troubles à l'ordre public ne sauraient motiver son maintien dans ce répertoire ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu, car, étant placé en cellule individuelle, il est privé de la possibilité de nouer des liens sociaux avec d'autres détenus, alors qu'il est déjà isolé, dès lors qu'il ne reçoit aucune visite ;
- l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu, car le statut de détenu particulièrement signalé lui fait subir un traitement inhumain et dégradant, en raison de la surveillance renforcée dont il fait l'objet ; les fouilles intégrales systématiques ont été condamnées par la cour européenne des droits de l'homme ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire, enregistré le 26 mars 2013, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête de M. E...;
Il fait valoir que :
- la requête d'appel est irrecevable, car elle ne comporte pas de moyens d'appel ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 mars 2013, présenté pour M. E...;
Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle, en date du 11 juin 2012, admettant M. E...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 avril 2013 :
- le rapport de M. Favret, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir soulevée par le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
1. Considérant, en premier lieu, que Mme C...A..., directeur des services pénitentiaires, a, par arrêté du 5 octobre 2010, régulièrement publié au Journal officiel du
9 octobre 2010, reçu délégation du garde des sceaux, ministre de la justice pour signer, dans la limite de ses attributions, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets ; qu'ainsi M. E...n'est pas fondé à soutenir que la décision du 12 octobre 2010 maintenant son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS) serait illégale, faute pour le signataire d'avoir régulièrement reçu délégation à cette fin ;
2. Considérant, en deuxième lieu, que M. E...n'avait invoqué en première instance que des moyens de légalité interne à l'encontre de la décision du 12 octobre 2010 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a décidé de maintenir son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés ; que le moyen de légalité externe, présenté pour la première fois en appel, tiré de ce que la décision attaquée serait insuffisamment motivée, est, par suite, irrecevable ;
3. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale : " En vue de la mise en oeuvre des mesures de sécurité adaptées, le ministre de la justice décide de l'inscription et de la radiation des détenus au répertoire des détenus particulièrement signalés dans des conditions déterminées par instruction ministérielle " ; qu'aux termes du paragraphe 1.1 du 1. de l'instruction ministérielle du 18 décembre 2007 relative au répertoire des détenus particulièrement signalés : " Les critères d'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés sont liés au risque d'évasion et à l'intensité de l'atteinte à l'ordre public que celle-ci pourrait engendrer ainsi qu'au comportement particulièrement violent en détention de certains détenus. Les détenus susceptibles d'être inscrits au répertoire des DPS sont : 1° les détenus appartenant à la criminalité organisée locale ou interrégionale mais n'ayant pas participé à une tentative d'évasion ; 2° les détenus ayant été signalés pour des évasions réussies ou des commencements d'exécution d'une évasion, par ruse ou bris de prison ou tout acte de violence ; 3° les détenus dont l'évasion pourrait avoir un impact important sur l'ordre public en raison de leur personnalité et/ou des faits pour lesquels ils sont écroués ; (...) " ; qu'aux termes enfin du paragraphe 2.1 du
2 de la même instruction : " L'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés ne revêt jamais un caractère définitif. Les détenus qui ont été inscrits au répertoire des DPS doivent être radiés lorsque les raisons qui avaient motivé leur inscription ont disparu (...) " ;
4. Considérant que la décision d'inscrire un détenu et celle de le maintenir sur le répertoire des détenus particulièrement signalés ont pour objet d'appeler sur lui l'attention de l'administration pénitentiaire afin qu'elle renforce sa vigilance à son égard et pour effet d'aggraver les mesures de contrainte affectant tant sa vie quotidienne que ses conditions de détention ;
5. Considérant que M. E...a été incarcéré pour des faits de meurtre ayant accompagné ou suivi le viol d'une mineure de quinze ans ; qu'alors même que ces faits sont déjà anciens, l'évasion de l'intéressé ne manquerait pas d'avoir un impact particulièrement important sur l'ordre public, compte tenu de la nature comme de la gravité du crime commis ; que, dans ces conditions, l'administration a pu maintenir le requérant sur le répertoire des détenus particulièrement signalés, sans méconnaître les dispositions de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale et de l'instruction ministérielle du 18 décembre 2007 ;
6. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ; qu'eu égard à la gravité des actes commis par le requérant, son maintien au répertoire des détenus particulièrement signalés, rendu nécessaire pour la défense de l'ordre public, n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été prise la mesure, et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
7. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la décision de maintenir l'intéressé sur le répertoire des détenus particulièrement signalés justifie, ainsi qu'il a été dit plus haut, pour des motifs de respect de l'ordre public, l'aggravation des mesures de contrainte affectant tant sa vie quotidienne que ses conditions de détention, sans que cette aggravation puisse être regardée comme constituant un traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors que le détenu inscrit sur le répertoire bénéficie au demeurant d'une cellule individuelle, et que cette inscription ne se traduit pas, contrairement à ce que laisse entendre le requérant, par des fouilles intégrales systématiques ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. E...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
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N° 12NC01367