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13/12/2012 | FRANCE | N°11NC01735

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 13 décembre 2012, 11NC01735


Vu la requête, enregistrée le 4 novembre 2011 au greffe de la Cour sous le n° 11NC01735, complétée par mémoires enregistrés le 18 novembre 2011 et le 29 mai 2012, présentée pour Mme Zina A, demeurant ..., par Me Giebenrath, avocat ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103592 du 4 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 17 juin 2011 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti son refus d'une obligation d

e quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

2°) d'ann...

Vu la requête, enregistrée le 4 novembre 2011 au greffe de la Cour sous le n° 11NC01735, complétée par mémoires enregistrés le 18 novembre 2011 et le 29 mai 2012, présentée pour Mme Zina A, demeurant ..., par Me Giebenrath, avocat ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103592 du 4 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 17 juin 2011 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Bas-Rhin en date du 17 juin 2011 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

Sur le refus de titre de séjour :

- le préfet du Bas-Rhin devait consulter la commission du titre de séjour conformément aux dispositions de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet du Bas-Rhin aurait dû lui délivrer une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle ne peut ni supporter le voyage vers la Géorgie, ni accéder aux soins dans son pays d'origine, notamment pour des raisons financières ; son état de santé se dégrade comme en attestent les certificats médicaux qu'elle produit ;

- elle aurait dû bénéficier de la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étranger et du droit d'asile ; le refus que lui a opposé le préfet du Bas-Rhin méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale ; comme le veut la tradition kurde, elle a toujours vécu avec son fils et sa belle-fille jusqu'au départ de ces derniers pour la France en 2004 ; elle vit avec eux depuis son arrivée en France le 15 mai 2008 ; elle n'a plus d'attaches familiales en Géorgie à l'exclusion d'un frère atteint de cécité qui ne peut assurer sa prise en charge ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

- son éloignement engendrerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa situation personnelle et familiale ;

- eu égard à son état de santé dégradé, l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est menacée en cas de retour en Géorgie en raison de ses origines kurdes ; le préfet du Bas-Rhin n'était pas lié par les décisions de l'Office français de protection des étrangers et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- l'arrêté en tant qu'il fixe le pays de renvoi est illégal du fait de l'illégalité de l'arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle ne peut s'établir en Russie en raison des mauvaises relations entretenues entre ce pays et la Géorgie ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 20 avril 2012, présenté par le préfet du Bas-Rhin, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- le médecin de l'agence régionale de santé d'Alsace a précisé dans son avis en date du 24 mai 2011 que Mme A pouvait voyager sans risque vers la Géorgie ; le certificat du Dr Nessibi ne remet pas en cause cette appréciation ; il n'en ressort pas davantage que son état de santé se soit aggravé ; l'appelante ne démontre pas qu'elle ne pourrait accéder aux soins en Géorgie ;

- elle n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine dès lors qu'elle a déclaré devant l'OFPRA qu'elle s'était établie en 2002 chez son frère, pourtant déjà atteint de cécité ;

Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative d'appel) du Tribunal de grande instance de Nancy en date du 19 janvier 2012 accordant l'aide juridictionnelle totale à Mme A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'arrêté du 8 juillet 1999 relatif aux conditions d'établissement des avis médicaux concernant les étrangers malades prévus à l'article 7-5 du décret du 30 juin 1946 ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 novembre 2012 :

- le rapport de M. Vincent, président de chambre,

- et les observations de Me Polanz, substituant Me Giebenrath, avocat de Mme A ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, de nationalité géorgienne, Mme A, née en 1939, est entrée en France le 15 mai 2008 ; qu'elle est atteinte de nombreuses pathologies et souffre notamment d'un diabète insulino-dépendant, d'hypertension artérielle essentielle sévère, présentant de multiples facteurs de risques artériels, et d'une perte de mobilité ; que son état de santé dégradé nécessite un lourd traitement médicamenteux et un suivi médical constant et intense par des médecins spécialistes, tant sur le plan cardiologique, vasculaire qu'ophtalmologique ; que, d'ailleurs, dans son avis du 24 mai 2011, le médecin de l'agence régionale de santé d'Alsace a admis que l'état de santé de l'appelante nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; que, par ailleurs, Mme A vit avec son fils et sa belle-fille, qui sont en situation régulière sur le territoire national et qui assurent sa prise en charge financière, médicale et affective ; qu'il ressort de ses écrits produits devant l'Office français de protection des étrangers et apatrides, auxquels le préfet du Bas-Rhin se réfère, qu'elle a d'ailleurs vécu à leurs côtés, en Géorgie et en Allemagne, de 1988 à fin 1994, puis de juin 1995 à fin 2000 ainsi que d'octobre 2003 à 2004, date à laquelle ils ont rejoint la France ; que, veuve depuis 2002, elle est presque dépourvue d'attaches dans son pays d'origine puisqu'elle ne possède plus en Géorgie qu'un frère aîné atteint de cécité, qui atteste ne pouvoir s'occuper de sa soeur, quand bien il l'aurait occasionnellement hébergée en 2002 ; qu'elle a de plus affirmé devant l'OFPRA être sans aucune nouvelle de sa fille qui a dû fuir Moscou et que son fils aîné vit avec sa famille en Allemagne depuis 1996 ; que, d'ailleurs, dans ces circonstances très particulières, le préfet du Bas-Rhin s'est explicitement abstenu d'exécuter l'obligation de quitter le territoire français, qui prenait pourtant effet à l'expiration du délai d'un mois suivant la notification de son l'arrêté du 17 juin 2011 ; qu'ainsi, eu égard à l'âge de Mme A, à son état de santé dégradé qui la place dans un état de dépendance et à la proximité entretenue tout au long de sa vie avec son fils Jora et sa belle-fille, l'arrêté litigieux doit être regardé, en tant qu'il rejette sa demande de titre de séjour et fait obligation à l'intéressée de quitter le territoire français, comme portant au droit de celle-ci au respect de sa privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et méconnaissant ainsi les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences, qui sont d'une particulière gravité, sur la situation personnelle et familiale de Mme A ; que la décision fixant le pays de destination doit, par voie de conséquence, être considérée comme entachée d'illégalité ;

3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 17 juin 2011 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ; qu'en l'absence d'évolution de la situation de Mme A à la date de la présente décision, celle-ci implique nécessairement qu'un titre de séjour soit délivré à l'intéressée ; qu'il y a ainsi lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme A dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros que demande Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement susvisé du 4 octobre 2011 est annulé.

Article 2 : L'arrêté en date du 17 juin 2011 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé à Mme A de lui délivrer un titre de séjour, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination est annulé.

Article 3 : Le préfet du Bas-Rhin est enjoint de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme A dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros (mille euros) à Mme A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Zina A, au préfet du Bas-Rhin et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Strasbourg.

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11NC01735


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11NC01735
Date de la décision : 13/12/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Droits civils et individuels - Convention européenne des droits de l'homme - Droits garantis par la convention - Droit au respect de la vie privée et familiale (art - 8) - Violation - Séjour des étrangers.

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour - Motifs.


Composition du Tribunal
Président : M. VINCENT
Rapporteur ?: M. Pierre VINCENT
Rapporteur public ?: Mme GHISU-DEPARIS
Avocat(s) : GIEBENRATH

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-12-13;11nc01735 ?
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