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02/08/2012 | FRANCE | N°11NC00997

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 02 août 2012, 11NC00997


Vu le recours, enregistré le 16 juin 2011 et complété par mémoire enregistré le 5 octobre 2011, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ;

Le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801036 du 14 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions du premier président de la Cour d'appel de Colmar des 11 et 18 mai 2007 procédant à la réduction du nombre d'heures indemnisables au profit de M. A en sa qualité de conseiller prud'homme au

titre des activités juridictionnelles menées en mars, mai, juin, septembre ...

Vu le recours, enregistré le 16 juin 2011 et complété par mémoire enregistré le 5 octobre 2011, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ;

Le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801036 du 14 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions du premier président de la Cour d'appel de Colmar des 11 et 18 mai 2007 procédant à la réduction du nombre d'heures indemnisables au profit de M. A en sa qualité de conseiller prud'homme au titre des activités juridictionnelles menées en mars, mai, juin, septembre et octobre 2006 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A ;

Il soutient que :

- seules peuvent faire l'objet d'une indemnisation les séances tenues au conseil de prud'hommes, ce qui exclut l'indemnisation de l'étude de dossiers avant et après l'audience ;

- en admettant que les chefs de cour sont habilités à demander des justifications sur le temps consacré par les conseillers prud'hommes à l'étude de dossiers et à la rédaction des jugements tout en leur déniant la faculté de procéder à une réduction des heures déclarées lorsque celles-ci sont excessives, les premiers juges ont privé les ordonnateurs secondaires de toute possibilité de tirer les conséquences du service fait ;

- en retenant que les vacations allouéEs aux conseillers prud'hommes sont indemnisables au-delà du seul temps de présence dans la juridiction et en affirmant que le premier président de la Cour d'appel de Colmar et le procureur général près ladite Cour ne pouvaient réduire le montant des indemnités à verser aux intéressés, les premiers juges ont commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'intervention du syndicat CFDT ne pouvait être admise dès lors qu'elle n'est pas formulée par mémoire distinct ; au surplus, les conclusions indemnitaires propres du syndicat requérant sont irrecevables ;

- le premier président étant tenu de ne pas accorder le versement d'indemnités au titre de vacations correspondant à des activités non indemnisables, le moyen tiré de son incompétence à prendre seul la décision attaquée est en tout état de cause inopérant ;

- subsidiairement, la décision attaquée doit être regardée comme prise conjointement avec le procureur général ;

- les chefs de cour sont compétents pour prendre la décision litigieuse tant au regard de la procédure de contrôle instituée par la note du 6 avril 2004 que sur le fondement de leur pouvoir d'inspection, du pouvoir réglementaire qu'ils détiennent en leur qualité de chef de service et en leur qualité d'ordonnateur secondaire ;

- la décision litigieuse n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- l'intéressé ayant conservé sa feuille de présence par devers lui, la nature des heures indiquées n'était pas vérifiable par le directeur du greffe ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2011 et complété par mémoire enregistré le 26 décembre 2011, présenté pour M. A, par Me Gentit, qui conclut au rejet du recours du ministre et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la position du ministre d'exclure toute indemnisation de l'étude de dossiers avant et après l'audience ne correspond pas à la pratique de son administration ;

- des raisons de texte militent en faveur d'une interprétation consistant à retenir la possibilité d'une indemnisation de l'étude des dossiers ; en effet, la notion légale de participation aux activités prud'homales implique nécessairement le temps de préparation des audiences et des délibérés ; au surplus, l'interprétation restrictive du ministre n'est pas justifiée par les dispositions des articles D. 51-10-1 et suivants du code du travail ;

- des raisons de principe militent également en faveur d'une interprétation raisonnable des textes, en tenant compte de ce que les droits à indemnité doivent être fixés de manière à ne pas porter atteinte à l'impartialité et à l'indépendance des juridictions prud'homales, comme l'ont jugé le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat ; l'exigence d'effet utile des textes plaide également en ce sens ;

- le Tribunal n'a pas nié le principe du contrôle des chefs de cour en se bornant à affirmer l'exigence d'une communication des dossiers, ce qui était indispensable à leur appréciation ; au surplus, les chefs de cour ne pouvaient fixer une durée forfaitaire d'examen des dossiers sans empiéter sur la compétence du pouvoir réglementaire, qu'ils ne détiennent pas en la matière, la décision en cause excédant la simple organisation du service ;

- la procédure mise en oeuvre par le premier président de la cour d'appel est dépourvue de base légale, les chefs de cour ne disposant pas d'un pouvoir d'administration directe des conseils de prud'hommes ;

- en tout état de cause, la décision litigieuse est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle procède à une réduction des vacations à prendre en compte et est au surplus dépourvue de toute motivation ;

- aucune disposition ne lui faisait obligation de laisser sa feuille de présence au conseil de prud'hommes ;

- le ministre de la justice et les chefs de cour ne pouvaient légalement instaurer une procédure de forfaitisation du temps d'examen des dossiers avant l'entrée en vigueur du décret du 16 juin 2008 ;

Vu la correspondance en date du 3 janvier 2012 par laquelle la Cour a informé les parties de ce que sa décision était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 23 janvier 2012, présenté pour M. A, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures et soutient en outre que l'article L. 514-1 du code du travail dans sa version antérieure à la loi du 30 décembre 2006 n 'exclut pas le droit à indemnisation des conseillers prud'hommes pour les activités qu'il ne mentionne pas expressément, lesdites dispositions devant par ailleurs être interprétées et appliquées au regard des exigences constitutionnelles d'indépendance de la juridiction prud'homale, qui imposent la prise en compte du temps consacré par les conseillers à l'étude des dossiers et à la rédaction des décisions ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 2 février 2012, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu la correspondance en date du 31 mai 2012 par laquelle la cour a informé les parties, en application de l'article L 611-7 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de relever un moyen d'office ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de l'organisation judiciaire ;

Vu le décret n° 2004-435 du 24 avril 2004 relatif aux compétences en qualité d'ordonnateurs secondaires des premiers présidents et procureurs généraux de cour d'appel ;

Vu le décret n° 2008-560 du 16 juin 2008 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 juillet 2012 :

- le rapport de M. Vincent, président de chambre,

- et les conclusions de Mme Ghisu-Deparis, rapporteur public ;

Sur la légalité de la décision attaquée:

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article R. 213-30 du code de l'organisation judiciaire alors en vigueur, issu du décret du 24 mai 2004 susvisé : " Le premier président et le procureur général sont institués conjointement ordonnateurs secondaires des dépenses et des recettes des juridictions de leur ressort, à l'exception des dépenses et des recettes d'investissement. Ils peuvent déléguer conjointement leur signature, sous leur responsabilité, à un même magistrat ou fonctionnaire de catégorie A de la cour d'appel " ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, ces dispositions n'impliquent pas simplement que chacune de ces autorités consulte l'autre lorsqu'elle prend une décision à ce titre, mais que le premier président de la cour d'appel et le procureur général près la cour d'appel prennent conjointement ces décisions, cette compétence conjointe étant attestée par leur signature personnelle, sauf pour eux à déléguer conjointement celle-ci à un même magistrat ou fonctionnaire de catégorie A ; que, par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 8 septembre 2004, ces dispositions ont été rendues applicables à compter du 1er janvier 2005 à la Cour d'appel de Colmar ;

Considérant que, par correspondances des 11 et 18 mai 2007, le premier président de la Cour d'appel de Colmar a informé M. A, membre du conseil de prud'hommes de Strasbourg, de ses décisions de réduire le temps consacré par l'intéressé à l'étude des dossiers de diverses audiences du bureau de jugement et du bureau de conciliation ; que ces décisions, alors même qu'elles précisent être prises conjointement par le procureur général et lui-même, en leur qualité de co-ordonnateurs secondaires, ne sont signées que par le premier président de la Cour ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué que le procureur général se serait associé à ces décisions par une quelconque autre décision prise postérieurement ; que lesdites décisions ont ainsi été prises par une autorité incompétente ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 514-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 : " Les employeurs sont tenus de laisser aux salariés de leur entreprise, membres d'un conseil de prud'hommes, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud'homales définies par décret en Conseil d'Etat (...) " ; que le décret pris pour l'application desdites dispositions n'ayant été pris que le 16 juin 2008 (décret n° 2008-560), celles-ci n'étaient pas entrées en vigueur à la date de la décision attaquée ; que demeuraient ainsi applicables les dispositions de l'article L. 514-1 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2006, aux termes desquelles : " Les employeurs sont tenus de laisser aux salariés de leur entreprise, membres d'un conseil de prud'hommes, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux séances des bureaux de conciliation, des bureaux de jugement, aux audiences de référé, à l'exécution et au contrôle des mesures d'instruction, aux missions confiées au conseiller rapporteur ,aux commissions et aux assemblées générales du conseil (...) " ; qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 514-1 du code du travail que les conseillers prud'hommes salariés ont droit à la rémunération des activités mentionnées audit article dans sa rédaction alors en vigueur ; que si ces dispositions ne prévoient pas expressément l'indemnisation du temps d'étude des dossiers et de rédaction des jugements, l' impartialité et l'indépendance des juridictions prud'homales impliquent nécessairement que leurs membres puissent exercer l'ensemble de leurs fonctions juridictionnelles, qui ne se limitent pas à la participation aux séances des bureaux de conciliation et de jugement et postulent un temps d'examen des dossiers et de rédaction des jugements ; qu'ainsi ces dispositions ne peuvent être regardées, de par leur silence, comme excluant l'indemnisation du temps consacré au travail préparatoire aux séances des bureaux de conciliation et de jugement ainsi qu'au délibéré des affaires et à la rédaction des jugements ;

Considérant qu'il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient le ministre, le premier président de la Cour d'appel de Colmar n'était pas tenu de rejeter la demande d'indemnisation présentée par M. A au titre de l'étude des dossiers des diverses audiences du bureau de jugement et du bureau de conciliation dont s'agit; que, dès lors, le moyen tiré du caractère en tout état de cause inopérant du moyen tiré de l'incompétence du seul premier président de la Cour d'appel de Colmar doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a annulé la décision litigieuse comme prise en méconnaissance des règles de compétence susrappelées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 500 € (cinq cents euros) à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, et à M. Raymond A.

Copie en sera adressée à la Cour d'appel de Colmar.

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