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04/06/2012 | FRANCE | N°10NC02028

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 04 juin 2012, 10NC02028


Vu la requête, enregistrée le 29 décembre 2010, complétée par un mémoire enregistré le 2 septembre 2011 présentée pour la société COLLECTIVITES TERRITORIALES RESSOURCES C.T.R., dont le siège est 146 Bureaux de la Colline à Saint Cloud Cedex (92213), représentée par son président, par Me Rigal, avocat ; la société COLLECTIVITES TERRITORIALES RESSOURCES C.T.R. demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801407 du 25 novembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de

Vitry-le-François à lui verser la somme de 851 943,36 euros majorée des inté...

Vu la requête, enregistrée le 29 décembre 2010, complétée par un mémoire enregistré le 2 septembre 2011 présentée pour la société COLLECTIVITES TERRITORIALES RESSOURCES C.T.R., dont le siège est 146 Bureaux de la Colline à Saint Cloud Cedex (92213), représentée par son président, par Me Rigal, avocat ; la société COLLECTIVITES TERRITORIALES RESSOURCES C.T.R. demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801407 du 25 novembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Vitry-le-François à lui verser la somme de 851 943,36 euros majorée des intérêts à compter du 5 novembre 2007 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Vitry-le-François à lui verser la somme de 851 943,36 euros majorée des intérêts à compter du 5 novembre 2007 sur le fondement de la responsabilité contractuelle ;

3°) subsidiairement, de condamner le centre hospitalier de Vitry-le-François à lui verser la somme de 180 000 euros en remboursement des dépenses utilement engagées sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

4°) de condamner le centre hospitalier de Vitry-le-François à lui verser la somme de 671 943,36 euros sur le fondement de la faute de ce dernier dans la nullité du contrat ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Vitry-le-François la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société CTR soutient que :

- sa requête est recevable dès lors qu'elle expose les faits et les moyens de droit ;

- c'est à tort que le tribunal a déclaré nulle la convention conclue avec le centre hospitalier de Vitry-le-François ;

- la convention ne peut être qualifiée de marché public soumis aux règles de publicité et de concurrence dès lors qu'elle ne vise pas à satisfaire un besoin du centre hospitalier et que le prix de la convention n'est ni déterminé ni déterminable ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la nullité du contrat a pour unique origine sa faute dès lors qu'elle ne pouvait ignorer l'illégalité d'un tel contrat, alors que son imprudence ne peut exonérer totalement le centre hospitalier et qu'elle demeure convaincue que la convention n'était pas soumise aux règles de publicité et de concurrence ;

- si elle peut se voir imputer une part de responsabilité, c'est une part réduite et non l'entière responsabilité ;

- elle entend reprendre ses écritures pour démontrer qu'elle est fondée à solliciter la condamnation du centre hospitalier de Vitry-le-François au titre de la responsabilité contractuelle et à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2011, complété par un mémoire enregistré le 14 octobre 2011, présenté pour le centre hospitalier Vitry-le-François dont le siège social est 2 rue Charles Simon à Vitry-le-François (51308), représenté par son directeur, par Me Champenois, avocat ;

Le centre hospitalier conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la société CTR en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Le centre hospitalier soutient que :

- la requête est irrecevable car elle ne contient aucun moyen de fait ou de droit au sens de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- la circonstance que l'établissement fasse appel à un prestataire extérieur pour réaliser une mission spécifique révèle un besoin au sens de l'article 5 du code des marchés publics ;

- le moyen tiré de ce que le prix n'était pas déterminable ou déterminé est inopérant ;

- la convention est nulle en raison de la violation aux règles de publicité et de mise en concurrence ;

- les demandes indemnitaires présentées par la société C.T.R. sur un fondement contractuel doivent être rejetées ;

- les demandes d'indemnisation sur un fondement quasi-contractuel seront rejetées dès lors que la société C.T.R. ne fournit aucune justification comptable de son manque à gagner ni des sommes qu'elle aurait engagées à son profit; il n'y a aucun lien entre le coût et la difficulté de la prestation fournie, le montant de la rémunération de la société C.T.R. qui a pour objet de contribuer à couvrir des charges que la société engage au profit d'autres bénéficiaires; il n'est pas démontré que les dépenses qui auraient été engagées par la société lui auraient été utiles ;

- la société C.T.R. avait une parfaite connaissance des obligations du centre hospitalier en matière de marchés publics et s'est livrée à des manoeuvres dolosives de nature à vicier son consentement en vue de conclure ce contrat ;

- les demandes d'indemnisation sur le fondement quasi-délictuel ne peuvent qu'être rejetées dès lors qu'aucun comportement fautif ne lui est imputable alors qu'en revanche, la société a une parfaite connaissance des obligations en matière de marché public ;

Vu l'ordonnance en date du 6 septembre 2011 fixant la clôture d'instruction au 17 octobre 2011, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu l'ordonnance en date du 24 octobre 2011 portant réouverture de l'instruction ;

Vu l'ordonnance en date du 7 février 2012 portant clôture à effet immédiat en application des articles R. 611-11-1, R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 mai 2012 :

- le rapport de M. Wallerich, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public ;

Considérant que le centre hospitalier de Vitry-le-François et la SOCIETE COLLECTIVITES TERRITORIALES RESSOURCES C.T.R. (société CTR) ont conclu le 10 avril 2006 une convention de recherche d'économies sur les charges fiscales et sociales supportées par l'établissement ; qu'après s'être acquitté de quatre factures d'un montant total de 27 087,18 euros, le centre hospitalier a décidé de rejeter toute demande de paiement de la part de cette entreprise en invoquant la nullité du contrat ; que la société C.T.R. interjette appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier de Vitry-le-François soit condamné à lui verser la somme de 851 943,36 euros majorée des intérêts à compter du 5 novembre 2007 ;

Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Vitry-le-François ;

Sur la responsabilité contractuelle :

Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d'une part à la gravité de l'illégalité et d'autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du code des marchés publics alors en vigueur : " I. - Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux avec des personnes publiques ou privées par les personnes morales de droit public mentionnées à l'article 2, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. " ; qu'aux termes de l'article 29 du même code : " Les marchés publics de services qui ont pour objet des prestations de : (...) 11. Services de conseil en gestion et services connexes ; (...), sont soumis, en ce qui concerne leur passation, aux règles prévues par le présent titre." ; qu'aux termes de l'article 28 du même code : " (...) Toutefois, les marchés de travaux, de fournitures et de services d'un montant inférieur à 4 000 Euros HT peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence préalables. " ;

Considérant, d'un part, que la circonstance que la société C.T.R. a été à l'origine du contact avec le centre hospitalier de Vitry-le-François dans le cadre d'une action de démarchage et que les dispositions de l'article 5 du code des marchés publics relatif à la définition préalable de ses besoins par la collectivité publique n'ont, par conséquent, pas été respectées, est sans influence sur la qualification du contrat ; qu'il en est, de même, de l'indétermination du prix revenant au prestataire, dès lors qu'il est constant que le contrat a été conclu à titre onéreux ; qu'il en résulte que, contrairement à ce que soutient la société C.T.R., le contrat litigieux est au nombre de ceux que la loi soumet au code des marchés publics dès lors qu'il a pour objet des prestations de la nature de celles envisagées par l'article 29 du code des marchés publics ;

Considérant, d'autre part, que le montant du marché en cause excède le seuil de 4 000 euros prévu par l'article 28 du code des marchés publics au delà duquel tout marché doit être précédé d'une publicité ; qu'il n'est pas établi, ni même sérieusement soutenu, que les circonstances justifiaient que le centre hospitalier passe le marché sans publicité ni mise en concurrence préalable ; que ce marché n'a pas fait l'objet d'une procédure adaptée dans les conditions prévues par l'article 28 du même code ; qu'il ne pouvait, par conséquent, être conclu sans publicité ni mise en concurrence préalable ; qu'il en résulte que le contrat en cause, conclu sans publicité, ni mise en concurrence, ni définition préalable des besoins, en méconnaissance des principes d'égalité et de transparence posés par le code des marchés publics, est irrégulier ;

Considérant, en second lieu, que l'article 7 du contrat litigieux relatif aux " conditions financières " se borne à renvoyer à " l'article 2 de chaque ordre de mission signé par les parties " les " modalités de règlements relatives aux économies réalisées suite à l'intervention du consultant " ; qu'ainsi, le prix de la prestation n'était ni déterminé, ni déterminable aux termes de la convention, en méconnaissance des dispositions de l'article 17 du code des marchés publics ; que le contrat est également irrégulier de ce fait ;

Considérant que, dans les conditions dans lesquelles il a été amené à contracter, sans avoir préalablement défini ses besoins, sans mise en concurrence et alors qu'il ignorait tant la consistance exacte de la prestation qui lui était proposée que son coût, le centre hospitalier de Vitry-le-François ne s'est pas engagé en connaissance de cause ; qu'ainsi, eu égard à la gravité des irrégularités dont le contrat est entaché et aux circonstances dans lesquelles celles-ci ont été commises, nonobstant l'exigence de loyauté des relations contractuelles, le centre hospitalier de Vitry-le-François est fondé à soutenir que ce contrat est affecté d'un vice d'une particulière gravité qui doit conduire à en écarter l'application ; que par suite, en raison de sa nullité, le contrat conclu le 10 avril 2006 entre la société C.T.R. et le centre hospitalier de Vitry-le-François n'a pas pu faire naître d'obligations contractuelles à la charge des parties ; que dès lors la société requérante n'est pas fondée à rechercher la responsabilité du centre hospitalier sur le fondement des manquements auxdites obligations ;

Sur la responsabilité extracontractuelle :

En ce qui concerne l'enrichissement sans cause :

Considérant que le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; que les fautes éventuellement commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une telle action ; que dans le cas où l'illégalité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ; qu'il peut à ce titre demander le paiement du bénéfice dont il a été privé par l'illégalité du contrat, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ;

Considérant que la société C.T.R. a droit au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à l'établissement public ; que cependant, la société requérante s'est bornée à produire, en première instance, une estimation forfaitaire, ne reposant sur aucun document comptable, établissant à 180 000 euros le coût moyen de traitement d'un dossier ; qu'elle s'abstient de se référer au coût effectif de traitement du dossier propre au centre hospitalier de Vitry-le-François ; qu'ainsi, ne justifiant devant le juge, ni de la consistance, ni du montant des dépenses qui auraient été utiles à cet établissement , son droit à indemnisation ne peut donc être reconnu sur le fondement susvisé ;

En ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle :

Considérant qu'en concluant un marché sans publicité ni mise en concurrence préalable, et ne mentionnant pas de prix, le centre hospitalier de Vitry-le-François a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que, toutefois, la société requérante, qui n'ignorait pas, ainsi qu'il a été dit, les graves irrégularités entachant la validité du contrat qu'elle a proposé à la signature de l'établissement public dans le cadre de sa politique commerciale de démarchage, a elle-même commis une faute qui doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme la cause exclusive du dommage dont elle demande réparation ; que la société C.T.R. n'est, par suite, pas fondée à demander la condamnation du centre hospitalier à lui verser une indemnité correspondant au bénéfice dont elle a été privée du fait de l'illégalité du contrat ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société C.T.R. n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses demandes indemnitaires ;

Sur les conclusions aux fins d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions susvisées font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Vitry-le-François, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société C.T.R. demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros que le centre hospitalier de Vitry-le-François demande au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE COLLECTIVITES TERRITORIALES RESSOURCES C.T.R. est rejetée.

Article 2 : la SOCIETE COLLECTIVITES TERRITORIALES RESSOURCES C.T.R. versera au centre hospitalier de Vitry-le-François la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE COLLECTIVITES TERRITORIALES RESSOURCES C.T.R. et au centre hospitalier Vitry-le-François.

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N° 10NC02028


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10NC02028
Date de la décision : 04/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Nullité.

Marchés et contrats administratifs - Règles de procédure contentieuse spéciales - Pouvoirs et obligations du juge - Pouvoirs du juge du contrat.


Composition du Tribunal
Président : M. JOB
Rapporteur ?: M. Marc WALLERICH
Rapporteur public ?: M. WIERNASZ
Avocat(s) : SCP BUREL PILA RIGAL CURRAL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-06-04;10nc02028 ?
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