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14/05/2012 | FRANCE | N°11NC00497

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 14 mai 2012, 11NC00497


Vu le recours, enregistré le 24 mars 2011, complété par deux mémoires enregistrés les 31 mars et 14 octobre 2011, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS ; le MINISTRE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0802034 du 3 février 2011 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé le marché conclu le 16 juin 2008 avec la société Daniel Bathoux pour la rénovation de la nécropole nationale de Suippes et a condamné l'Etat à verser à la SAS Rébillon-Schmit-Prévot les sommes de 32 693 euros en réparation du pré

judice né de son éviction irrégulière et au versement d'une somme de 3 000 eur...

Vu le recours, enregistré le 24 mars 2011, complété par deux mémoires enregistrés les 31 mars et 14 octobre 2011, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS ; le MINISTRE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0802034 du 3 février 2011 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé le marché conclu le 16 juin 2008 avec la société Daniel Bathoux pour la rénovation de la nécropole nationale de Suippes et a condamné l'Etat à verser à la SAS Rébillon-Schmit-Prévot les sommes de 32 693 euros en réparation du préjudice né de son éviction irrégulière et au versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par la SAS Rébillon-Schmit-Prévot devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

3°) à titre subsidiaire de réduire à la somme de 8 000 euros le montant de l'indemnité à verser à la SAS Rébillon-Schmit-Prévot ;

4°) de mettre à la charge de la SAS Rébillon-Schmit-Prévot une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Le MINISTRE soutient que :

- M. Puybertier était compétent pour introduire au nom du ministre la requête d'appel ;

- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation en ce qu'il affirme que la valeur technique de l'offre de la société RSP était comparable à celle de la société Daniel Bathoux ;

- lorsqu'il a invité la société RSP à justifier les quantités et prix d'unité portés sur le devis descriptif et estimatif détaillé remis le 19 mai 2008, le pouvoir adjudicateur s'est borné à faire usage de la faculté qui lui est offerte par les articles 55 et 59 I du code des marchés publics ;

- l'offre de la société RSP étant irrégulière et inappropriée, le pouvoir adjudicateur était en tout état de cause tenu de l'éliminer ;

- l'offre de la société RSP, dont le prix était inférieur de 71 % à l'estimation du pouvoir adjudicateur, pouvait être rejetée comme anormalement basse ;

- la valeur technique de l'offre de la société RSP n'était pas comparable à celle de l'attributaire du marché ; contrairement à ce qu'ont affirmé les premiers juges, le critère prix avait un poids supérieur à celui de la valeur technique ;

- l'annulation d'un contrat administratif ne peut concerner qu'un marché en cours d'exécution ;

- les conclusions indemnitaires n'ayant pas été précédées d'une demande préalable formée dans le délai dans le délai de deux mois à compter de la publication de l'avis d'attribution, elles étaient irrecevables ;

- un concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut présenter à la fois des conclusions à fin d'annulation et des conclusions indemnitaires ;

- le montant du bénéfice net que la société RSP pouvait escompter si elle avait été attributaire du marché ne saurait dépasser 7 à 8 % du montant du marché ; le montant du bénéfice net retenu par les premiers juges est en tout état de cause incompatible avec les marges annuelles moyennes de la société RSP ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2011, présenté pour la société SAS Rebillon-Schmit-Prévot, dont le siège social est situé 50 boulevard Edgar Quinet à Paris (75014), représentée par son président, par Me Verteuil, avocat, qui conclut au rejet du recours et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société Rebillon-Schmit-Prévot soutient que :

- M. Puybertier n'avait pas compétence pour signer au nom du ministre de la défense le mémoire d'appel ;

- le jugement attaqué n'est entaché d'aucune insuffisance de motivation ;

- la société a été évincée de la procédure de passation faute d'avoir produit un document spécifique justifiant les quantités et prix d'unité portés sur le devis descriptif et estimatif détaillé remis le 19 mai 2008 ; la production de ce document n'étant pas exigé par les documents de consultation, son éviction est par suite irrégulière ;

- son offre était complète et correspondait aux exigences du règlement de consultation ;

- l'écart entre le prix de son offre et l'estimation du pouvoir adjudicateur s'explique par le manque de référence du ministère de la défense pour ce type de prestation et non pas par le caractère anormalement bas de son prix ;

- compte tenu de la valeur technique de son offre, comparable à celle de l'attributaire du marché, de ce que son prix était très inférieur et que les critères prix et valeur technique étaient de même poids, elle avait des chances sérieuses d'emporter le marché ;

- le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin d'annulation du contrat ;

- en matière de travaux publics, les conclusions indemnitaires sont dispensées de l'exigence d'une réclamation préalable ;

- son manque à gagner correspond au bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu ;

Vu l'ordonnance en date du 15 novembre 2011 fixant la clôture de l'instruction le 15 décembre 2011 à 16 heures ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 avril 2012, présentée pour la SAS Rebillon-Schmit-Prévot ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 avril 2012 :

- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,

- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,

- et les observations de M. Caillarec,

Considérant que dans le cadre de l'appel d'offres ouvert lancé par le ministère de la défense en avril 2008 en vue de la rénovation partielle de la nécropole nationale de Suippes, l'offre de la société SAS Rebillon-Schmit-Prevot (RSP) a été éliminée, au motif de son caractère incomplet ; que, par jugement du 3 février 2011, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé le marché signé le 16 juin 2008 entre l'Etat et la société Daniel Bathoux et a condamné l'Etat à payer à la société RSP la somme de 32 693 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS demande l'annulation de ce jugement ;

Sur la fin de non recevoir opposée par la société Rebillon-Schmit-Prévot :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 susvisé : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé et les chefs des services que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat. [...] ; " ; qu'aux termes de l'article 3 du même décret : " Les personnes mentionnées aux 1° et 3° de l'article 1er peuvent donner délégation pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles elles ont elles-mêmes reçu délégation :

1° Aux magistrats, aux fonctionnaires de catégorie A et aux agents contractuels chargés de fonctions d'un niveau équivalent, qui n'en disposent pas au titre de l'article 1er ; [...]. ; "

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme Monique Liebert-Champagne, directrice des affaires juridiques du ministère de la défense, qui bénéficiait d'une délégation automatique de signature du ministre par l'effet du décret du 27 juillet 2005, a donné à M. Bernard Puybertier, administrateur civil, adjoint au chargé des fonctions de sous directeur du contentieux, par une décision en date du 15 septembre 2009 modifiée le 21 mai 2010, délégation pour signer au nom du ministre de la défense tous actes, arrêtés et décisions à l'exclusion des décrets ; qu'ainsi M. Puybertier était compétent pour former le 23 mars 2011 au nom du ministre appel contre le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 3 février 2011 ; que la fin de non recevoir tirée de l'incompétence de M. Puybertier ne peut par suite qu'être écartée ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement :

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Considérant que tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, afin d'en obtenir la résiliation ou l'annulation.; qu'il appartient au juge saisi de telles conclusions, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences ; qu'il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits du cocontractant, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ;

Considérant qu'aux termes de l'article 53 du code des marchés publics : " I.- Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : / 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique (...). / III.- Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées (...) " ; qu'aux termes de l'article 59, applicable en cas d'appel d'offres ouvert : " I. Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre. (...) " ; qu'aux termes de l'article 58 III : " [...] Les offres inappropriées au sens du 3° du II de l'article 35 ainsi que les offres irrégulières ou inacceptables au sens du 1° du I de l'article 35 sont éliminées [...] après avis de la commission d'appel d'offres pour l'Etat, les établissements publics de santé et les établissements publics sociaux ou médico-sociaux. ; " qu'aux termes des deuxième et troisième phrases du 1° du I de l'article 35 : " Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché après évaluation du besoin à satisfaire ne permettent pas au pouvoir adjudicateur de la financer " ; qu'aux termes de la deuxième phrase de l'article 35 II 3° : " Est inappropriée une offre qui apporte une réponse sans rapport avec le besoin du pouvoir adjudicateur et qui peut en conséquence être assimilée à une absence d'offre " ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le règlement de consultation du marché prévoyait en son article 5-3 que le dossier à remettre devait comprendre notamment un devis descriptif et estimatif détaillé (DDED) selon un format pré-imprimé que les candidats au marché devaient compléter, dater et signer ; que ce DDED prévoyait différents postes de travaux pour lesquels il était demandé aux candidats de chiffrer leurs propositions en indiquant, en outre, pour certains postes dont la remise en état du terrain, les quantités mises en oeuvre et le prix unitaire ; que la société RSP a joint ce DDED à son offre en se bornant à chiffrer globalement les prestations correspondant à chaque poste de ce devis sans détailler le prix unitaire et les quantités mises en oeuvre ; que l'offre de la société RSP, étant ainsi incomplète et donc irrégulière au sens des dispositions précitées de l'article 35 I 1°.du code des marchés publics, devait être éliminée par application de l'article 58 III du code des marchés publics ; que par suite le MINISTRE est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur le caractère régulier de l'offre de la société RSP pour considérer qu'elle avait été irrégulièrement évincée de la procédure de passation et pour annuler, par voie de conséquence, le marché passé par l'Etat avec la société Daniel Bathoux ; que la circonstance que le pouvoir adjudicateur ait, par courrier du 15 mai 2008, indûment invité la société RSP à régulariser son offre est à cet égard sans incidence ;

Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société RSP devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

Considérant, en premier lieu, ainsi qu'il a été dit, que l'offre de la société RSP étant irrégulière, le pouvoir adjudicateur était tenu de l'éliminer ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le courrier du 3 juin 2008 notifiant à la société RSP le rejet de son offre serait insuffisamment motivé est inopérant ;

Considérant, en second lieu, que l'offre de la société RSP ayant été éliminée du fait de son irrégularité, elle ne pouvait être classée ; que la société RSP ne peut par suite soutenir que son offre était économiquement la plus avantageuse ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a considéré que l'éviction de la société RSP était irrégulière et a annulé, en conséquence, le marché passé le 16 juin 2008 avec la société Daniel Bathoux ;

Sur les conclusions indemnitaires :

Considérant que la société RSP n'établit pas avoir été irrégulièrement évincée ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à payer à la société RSP la somme de 32 693 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société RSP la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société RSP une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 3 février 2011 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Rebillon-Schmit-Prévot devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La société Rebillon-Schmit-Prévot versera à l'Etat une somme de mille (1 000) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS et à la société Rebillon-Schmit-Prévot.

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N° 11NC00497


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11NC00497
Date de la décision : 14/05/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-02-03 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Mode de passation des contrats. Appel d'offres.


Composition du Tribunal
Président : M. JOB
Rapporteur ?: M. Alain LAUBRIAT
Rapporteur public ?: M. WIERNASZ
Avocat(s) : VERTEUIL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-05-14;11nc00497 ?
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