Vu la requête, enregistrée le 15 janvier 2010, complétée par mémoire enregistré le 1er juillet 2010, présentée pour M. Eric , demeurant au ..., par Me Katia Merten-Letz, avocat au Barreau de Paris ; M. demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0804050 du 19 novembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge et la restitution de la taxe sur les achats de viande acquittée au titre des années 2001 à 2003 ;
2°) de constater que ladite taxe est illégale au regard de l'article 88 du Traité instituant la Communauté Européenne ;
3°) subsidiairement, de saisir la Cour de Justice des Communautés Européennes d'une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 87 du traité instituant la Communauté Européenne ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que les sommes correspondantes ont été remises à sa charge alors même qu'il en avait obtenu le dégrèvement total ; que la procédure par laquelle l'administration est revenue sur des dégrèvements accordés est illégale après l'expiration du délai de reprise ; qu'à compter du 1er janvier 2001, la taxe sur les achats de viande a été illégalement mise en oeuvre en infraction de l'article 88-3 CE ; que, même réformée par l'article 35 de la loi 2000-1353 du 30 décembre 2000, cette taxe était constitutive d'une aide d'Etat incompatible avec l'article 87 CE ; qu'elle méconnaît également le principe général pollueur-payeur ;
Vu, enregistrées le 2 mars 2010, les observations présentées par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat qui déclare s'en remettre entièrement à la sagesse de la Cour ;
Vu la lettre en date du 21 juin 2010 dont il résulte que, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que l' arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité de la requête d'appel présentée pour une société à l'encontre d'un jugement rendu sur demande d'une personne physique ;
Vu, enregistré le 5 juillet 2010, le mémoire complémentaire à fin de régularisation présenté par M. ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ;
Vu le traité instituant l'Union européenne ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 novembre 2011 :
- le rapport de M. Commenville, président de chambre,
- et les conclusions de M. Féral, rapporteur public,
Sur les conclusions à fin de décharge des impositions :
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 168 du livre des procédures fiscales : Les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances ou les erreurs d'impositions, peuvent être réparées par l'administration des impôts ou par l'administration des douanes et droits indirects, selon le cas, dans les conditions et dans les délais prévus aux articles L. 169 à L. 189, sauf disposition contraire du code général des impôts ; qu'aux termes de l'article L. 176 de ce livre : Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible, conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'administration est en droit, jusqu'à l'expiration du délai de reprise, de rapporter une décision erronée de restitution d'une imposition spontanément acquittée par le contribuable ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. , après avoir, conformément aux dispositions de l'article 302 bis ZD du code général des impôts alors en vigueur, déclaré la valeur de ses achats et payé la taxe sur les achats de viande au titre de la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2003, en a demandé la restitution par une réclamation du 16 décembre 2002 pour la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2001, et du 3 mai 2004 pour la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 ; que, par deux décisions des 2 et 14 septembre 2004, il a été fait droit à ces demandes ; que, toutefois, l'administration ayant ultérieurement informé M. qu'elle entendait annuler comme étant infondées ses décisions susmentionnées de dégrèvements et restitutions a adressé à l'intéressée deux propositions de rectification en date du 21 décembre 2004, puis notifié au redevable, deux avis de mise en recouvrement le 30 octobre 2007, l'un au titre de l'année 2001 et l'autre au titre des années 2002 et 2003 ; que, contrairement à ce que soutient le requérant, l'administration a pu, sans commettre d'irrégularité, établir ces nouveaux avis de mise en recouvrement portant sur des droits à l'égard desquels la prescription n'était pas acquise, alors même que ceux-ci reposaient sur le même fondement légal que ceux dont le dégrèvement avait précédemment été prononcé ; que, par suite, dès lors que le délai de reprise n'était pas expiré, la procédure de reprise suivie avec M. n'était pas irrégulière ;
En ce qui concerne le bien fondé des impositions :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne : Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité : 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 (...) elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ;
Considérant qu'il résulte de ces stipulations que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 87 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par ce traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres le paragraphe 3 de l'article 88 du traité, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions dont l'application est contestée instituent un régime d'aide, ou si une taxe fait partie intégrante d'une telle aide ;
Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, d'une part, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure, d'autre part que, pour que l'on puisse juger qu'une taxe, ou une partie d'une taxe, fait partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide ;
Considérant que l'article 1er de la loi du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural a inséré dans le code général des impôts un article 302 bis ZD instituant, à compter du 1er janvier 1997, une taxe sur les achats de viande due par les personnes qui réalisent des ventes au détail de viande, dont le produit était affecté à un fonds faisant l'objet d'une comptabilité distincte, ayant pour objet de financer la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux et des saisies d'abattoirs reconnus impropres à la consommation humaine et animale, activités correspondant au service public de l'équarrissage défini à l'article 264 du code rural en vigueur au cours des années d'imposition en litige ; que le II de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000, entré en vigueur le 1er janvier 2001, a limité à la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000 l'affectation de la taxe sur les achats de viande au fonds mentionné ci-dessus ; qu'en conséquence, à compter du 1er janvier 2001, en l'absence de dispositions prévoyant l'affectation de cette taxe, celle-ci est devenue une recette du budget général de l'Etat ; qu'à compter de cette même date, le service public de l'équarrissage a été financé au moyen d'une dotation inscrite au budget général de l'Etat ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en vigueur au cours des années d'imposition en litige : Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général ; qu'en vertu du principe à valeur constitutionnelle d'universalité budgétaire résultant de ces dispositions, les recettes et les dépenses doivent figurer au budget de l'Etat pour leur montant brut, sans être contractées, et l'affectation d'une recette déterminée à la couverture d'une dépense déterminée est interdite, sous réserve des exceptions prévues au second alinéa de l'article 18 ; qu'en application de ce principe et de la législation nationale relative à la taxe sur les achats de viande, et sans qu'il soit besoin de se référer aux travaux parlementaires dont est issu l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, à compter du 1er janvier 2001, il n'existait juridiquement aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe et le service public de l'équarrissage, et aucun rapport entre le produit de la taxe et le montant du financement public attribué à ce service ; qu'en exécution des règles ainsi applicables, à compter de cette même date, la taxe sur les achats de viande était une recette du budget général, dépourvue de tout lien avec le budget du ministère de l'agriculture et la dotation inscrite à ce budget servant à financer le service public de l'équarrissage ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, depuis le 1er janvier 2001, il n'existait aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe sur les achats de viande et le service public de l'équarrissage ; que la taxe sur les achats de viande n'entrant pas, ainsi, à compter du 1er janvier 2001, dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, M. ne peut invoquer, au soutien de sa demande en décharge de l'imposition en litige, une éventuelle méconnaissance par les autorités françaises, à l'occasion de la modification du mode de financement du service public de l'équarrissage résultant des dispositions de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, des obligations qu'imposent la première et la dernière phrases du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne ;
Considérant, en deuxième lieu, que la taxe sur les achats de viande n'assurant pas dans le cadre d'un lien d'affectation contraignant, à compter du 1er janvier 2001, le financement du service public de l'équarrissage, le moyen de M. tiré de la méconnaissance du principe pollueur-payeur doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de Justice de l'Union Européenne à titre préjudiciel, que M. n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Eric et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction pu et de la réforme de l'Etat, porte-parole du gouvernement.
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