Vu la requête, enregistrée le 31 mai 2010, présentée pour M. et Mme Manassé Ngomdjibaye A, ..., Mlle Yank Madj Malla-Estelle A, demeurant 10 rue Saint Romes Résidence des jardins à Clermont Ferrand (63000) et M. Ngomdjibaye Junior A, ..., par Me Guerin ;
Les consorts A demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0700351 du 25 mars 2010 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a que partiellement fait droit à leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Vitry le François à leur verser les sommes de 180 000 euros en réparation des préjudices subis par leur fils du fait de son décès lors de son hospitalisation le 3 novembre 2003 et de 150 000 euros en réparation du préjudice moral subi par eux du fait du décès de leur fils et frère ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Vitry le François à leur verser les sommes de 180 000 euros en réparation des préjudices subis par leur fils du fait de son décès lors de son hospitalisation le 3 novembre 2003 et de 150 000 euros en réparation du préjudice moral subi par eux du fait du décès de leur fils et frère ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Vitry le François la somme de 10 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- leur demande devant le tribunal administratif était recevable ;
- le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité du centre hospitalier de Vitry le François ;
- la perte de chance de survie de leur fils doit être indemnisée comme un préjudice propre entré dans le patrimoine du défunt ;
- le taux de perte de chance doit être porté à 95 % ;
- les souffrances endurées par leur fils et frère jusqu'à son décès doivent être évaluées à 30 000 euros ;
- le coefficient de perte de chance ne doit pas s'appliquer à ce préjudice ;
- le préjudice moral subi par chacun des parents doit être réparé à hauteur de 50 000 euros ;
- le préjudice moral subi par chacun des frère et soeur doit être réparé à hauteur de 30 000 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les mémoires en défense, enregistrés les 9 août 2010 et 28 avril 2011, présentés pour le centre hospitalier de Vitry le François par Me Beaumont, qui conclut :
1°) à la réformation du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a alloué à M. et Mme A une indemnité au titre de la réparation des souffrances endurées par leur fils ;
2°) à la restitution de la somme de 14 000 euros allouée à ce titre ;
3°) au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- il ne conteste pas le principe de sa responsabilité ;
- la perte de chance de survie ne peut constituer un poste de préjudice indemnisable en soi et transmissible aux héritiers ;
- la victime n'a pu ressentir de douleur morale du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite ;
- la perte de chance ne saurait être fixée à un taux supérieur à 70% ;
- les indemnisations allouées par le tribunal administratif seront confirmées à l'exception des souffrances endurées par la victime, qui découlent de la pathologie initiale et non du retard de diagnostic ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 14 octobre 2010, présenté pour les consorts A tendant aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mai 2011 :
- le rapport de M. Trottier, président,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;
Sur les préjudices :
Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que le retard de diagnostic et de prise en charge thérapeutique de Najassoum A, qui est décédé le 3 novembre 2003, trois jours après son hospitalisation au centre hospitalier de Vitry le François, était constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier ; que les premiers juges ont évalué la perte de chance d'éviter le décès du jeune Najassoum A, à l'âge de 15 ans, à hauteur de 70 % ;
Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne que l'empyème sous dural qui a occasionné le décès de Najassoum A conduit au décès dans 30 % des cas ; que l'expert, s'appuyant sur la littérature médicale, a ainsi estimé que le retard de diagnostic et de prise en charge appropriée a entraîné une perte de chance d'y échapper pouvant être évaluée à 70 % ; que si les requérants demandent que ce taux soit porté à 95% compte tenu de la circonstance que la victime était un adolescent de 15 ans par ailleurs en parfaite santé, ils n'apportent aucun élément d'ordre médical de nature à contredire l'expertise dont les premiers juges pouvaient s'approprier les conclusions ;
En ce qui concerne les préjudices propres de Najassoum A :
Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; que le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers ; qu'il n'en va, en revanche, pas de même du préjudice résultant de la perte de chance de survivre dès lors que cette perte n'apparaît qu'au jour du décès de la victime et n'a pu donner naissance à aucun droit entré dans son patrimoine avant ce jour ; que, dans ces conditions, le préjudice résultant pour le jeune Najassoum A de la perte de chance de vivre plus longtemps, qui s'est constitué à son décès, n'a pu créer aucun droit à réparation susceptible d'avoir été transmis à ses parents A ;qu'il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que la victime ait pu avoir conscience avant son décès, survenu 72 heures après son hospitalisation au centre hospitalier de Vitry le François, d'une espérance de vie réduite en raison du retard de diagnostic ; que M. et Mme A ne sont dès lors pas fondés à demander réparation, en leur qualité d'héritiers de leur fils, de la perte de chance de survie de celui-ci ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Vitry le François, le préjudice constitué par les souffrances que le jeune Najassoum A a personnellement endurées pendant son hospitalisation et qui ont été allongées du fait du retard de diagnostic et de traitement thérapeutique adapté, est indemnisable et transmissible à ses héritiers ; que le tribunal administratif n'a pas fait une évaluation insuffisante de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 20 000 euros et en allouant à M. et Mme A, compte tenu de l'ampleur de la perte de chance, à la somme de 14 000 euros ;
En ce qui concerne les préjudices propres des ayants droit de Najassoum A :
S'agissant des préjudices de M. et Mme A :
Considérant que le tribunal administratif n'a pas fait une évaluation insuffisante du préjudice moral de M. et Mme A du fait du décès de leur fils en l'évaluant à la somme de 25 000 euros chacun qui, compte tenu du taux de la perte de chance de 70% retenu, doit être indemnisé à hauteur de 17 500 euros chacun ;
S'agissant des préjudices de Mlle Yank Madj Malla-Estelle A et de M. Ngomdjibaye Junior A :
Considérant que le tribunal administratif n'a pas fait une évaluation insuffisante du préjudice moral de la soeur et du frère aînés de Najassoum A du fait du décès de ce dernier en l'évaluant à la somme de 12 000 euros chacun qui, compte tenu de l'ampleur de la perte de chance susmentionnée, doit être indemnisé à hauteur de 8 400 euros chacun ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que les consorts A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a que partiellement fait droit à leur demande tendant à obtenir la réparation de leur préjudice, d'autre part, que les conclusions incidentes du centre hospitalier de Vitry le François doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier de Vitry le François, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer aux consorts A la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête des consorts A et le recours incident du centre hospitalier de Vitry le François sont rejetés.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Manassé Ngomdjibaye A, à Mlle Yank Madj Malla-Estelle A, à M. Ngomdjibaye Junior A, au centre hospitalier de Vitry le François et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne.
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N° 10NC00831