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24/03/2011 | FRANCE | N°10NC01531

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, Président de la cour, 24 mars 2011, 10NC01531


Vu la requête, enregistrée le 13 septembre 2010, présentée pour M. Murat A, élisant domicile chez son conseil au ..., par Me Lechevallier ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1003782 du 10 août 2010 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 7 août 2010 par lequel le préfet de la Moselle a ordonné sa reconduite à la frontière et a désigné la Turquie comme pays de renvoi ;

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Vu la requête, enregistrée le 13 septembre 2010, présentée pour M. Murat A, élisant domicile chez son conseil au ..., par Me Lechevallier ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1003782 du 10 août 2010 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 7 août 2010 par lequel le préfet de la Moselle a ordonné sa reconduite à la frontière et a désigné la Turquie comme pays de renvoi ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ledit arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

* Sur la régularité du jugement :

- le jugement méconnaît son droit à un procès équitable au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où il n'a pas été contradictoirement informé de la pièce justifiant de la délégation de signature dont disposerait le signataire de l'acte attaqué ;

- il est entaché d'une omission à statuer puisqu'il n'a pas répondu au moyen tiré de ce que les périodes privatives de liberté ne peuvent être prises en compte pour l'appréciation du caractère régulier de la résidence ;

* Sur la légalité externe de l'arrêté préfectoral :

- l'arrêté préfectoral est entaché d'un vice d'incompétence d'une part à défaut de la justification, au moyen d'une publication régulière au recueil des actes administratifs, de la délégation de pouvoirs et de la délégation de signature accordée à l'auteur de l'acte, d'autre part à défaut de signature ;

* Sur la légalité interne de la décision ordonnant la reconduite à la frontière :

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il rapporte la preuve de sa résidence régulière sur le sol français avant l'âge de 13 ans ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il est l'unique source de revenus de sa famille et qu'il démontre, au moyen des justificatifs de son parcours professionnel et de domicile, sa participation à l'entretien et à l'éducation de son enfant ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard au fait qu'il réside depuis l'âge de treize ans en France où vivent également ses parents naturalisés français, son épouse titulaire d'une carte de résident, victime d'un état dépressif sévère que l'éloignement de son mari aggraverait, et son fils de nationalité française ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dans la mesure où il est de l'intérêt de son fils, né en France et de nationalité française, actuellement suivi par les services pédopsychiatres, de mener une vie familiale en France aux côtés de son père, régulièrement marié à sa mère ;

- pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées au titre de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

* Sur la légalité interne de la décision désignant la Turquie comme pays de renvoi :

- elle méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu du dénuement moral, physique, pécuniaire et familial dans lequel cette mesure d'éloignement le plongerait, état par ailleurs déjà provoqué par la mesure d'éloignement forcé en ce qu'elle constitue un traitement dégradant eu égard au déracinement complet qu'elle occasionne ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2010, présenté pour le préfet de Moselle ; le préfet conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et de l'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 février 2011 :

- le rapport de M. Giltard, président de la Cour,

- et les conclusions de M. Féral, rapporteur public ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant, d'une part, que l'arrêté en date du 9 novembre 2009 par lequel le préfet de la Moselle a donné délégation de signature à Mme Castelloti a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour ; qu'eu égard au caractère réglementaire de cet arrêté, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg n'a méconnu ni le principe du caractère contradictoire de la procédure ni le droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en se fondant sur l'existence de cet arrêté sans en ordonner la communication au requérant ;

Considérant, d'autre part, que M. A soutient que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg n'a pas statué sur le moyen tiré de ce que les périodes privatives de liberté ne peuvent être prises en compte pour l'appréciation du caractère régulier de la résidence ; que, toutefois, cet élément de sa requête constitue un simple argument venant au soutien du moyen tiré de ce que M. A remplit les conditions fixées au 2° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et auquel le premier juge n'était pas tenu de répondre expressément ;

Sur la légalité de la décision ordonnant la reconduite à la frontière :

Sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte :

Considérant, en premier lieu, que par arrêté du 9 novembre 2009, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Moselle comme il a été dit ci-dessus, le préfet de la Moselle a donné délégation à Mme Elisabeth Castellotti, directrice du cabinet du préfet de la région Lorraine, en cas d'absence ou d'empêchement du secrétaire général et de la secrétaire adjointe de la préfecture et dans le cadre de la permanence de responsabilité au niveau départemental, à l'effet de signer les décisions de refus de séjour, d'obligation de quitter le territoire français et des mesures de reconduite à la frontière des ressortissants étrangers en application des articles L. 511-1 à L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il n'est pas allégué que le secrétaire général et la secrétaire adjointe n'aient pas été absents ou empêchés à la date de la décision attaquée ou que Mme Castellotti n'était pas chargée à la même date d'assurer la permanence de responsabilité au niveau départemental ;

Considérant, en second lieu, que la circonstance que la copie de l'arrêté susvisé portant délégation de signature publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture n'est pas signée est sans incidence sur la légalité dudit arrêté ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte litigieux à défaut de délégation de signature régulière doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de la violation du 2° et du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) / 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ;

Considérant, en premier lieu, que M. A ne justifie pas être entré en France avant ses treize ans ; qu'au surplus, il ressort des pièces du dossier que, d'une part, sa condamnation à deux peines d'emprisonnement, l'une assortie d'une interdiction de quitter le territoire français exécutée de 1995 à 1997 et l'autre exécutée en Allemagne de 2002 à 2008, d'autre part, l'exécution d'une obligation de quitter le territoire en novembre 2008, font obstacle à ce que puisse être reconnu à sa résidence en France le caractère habituel exigé par les dispositions précités du 2° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant, en second lieu, que si M. A soutient contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de son fils Nihat, de nationalité française, depuis sa naissance le 14 avril 1994 à Saint-Avold, il n'apporte aucun document de nature à établir la réalité de ses allégations ; que la circonstance qu'il a occupé un emploi n'est pas de nature à justifier qu'il a financièrement participé à l'entretien de son enfant ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Considérant que si M. A fait valoir que ses parents, sa femme et son fils vivent régulièrement en France, ses parents et son enfant ayant acquis la nationalité française, il ne démontre ni l'intensité particulière de ses liens familiaux avec ses parents ni la communauté de vie avec son épouse et son fils à l'entretien et à l'éducation duquel il n'établit pas participer ; qu'il n'établit pas davantage que l'état de santé de son épouse nécessite sa présence auprès d'elle ; que M. A a fait l'objet de deux condamnations pénales, l'une assortie d'une interdiction de quitter le territoire et l'autre exécutée en Allemagne de 2002 à 2008 ; que, par ailleurs, il ne démontre pas être dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine où il a vécu depuis sa naissance en 1974 jusqu'à ses treize ans, où il a exécuté une peine d'interdiction du territoire français de 1995 à 1997 et à destination duquel il a déjà été reconduit en exécution d'une obligation de quitter le territoire français édictée le 13 août 2008 avant de revenir irrégulièrement en France selon ses dires au début de l'année 2010 ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté pris à son encontre ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, en tout état de cause, être écarté ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant :

Considérant, comme il a été dit, que M. A n'établit pas l'existence d'une contribution effective de sa part à l'éducation et à l'entretien de son fils ; que par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté ;

Sur la légalité de la décision désignant la Turquie comme pays de renvoi :

Sur le moyen tiré de la violation des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi (...). et qu'aux termes de l'article 3 de la même convention : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ;

Considérant que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;

Considérant que M. A, qui se borne à faire valoir le dénuement dans lequel le plongerait la décision désignant la Turquie comme pays à destination duquel il sera reconduit, n'allègue ni n'établit encourir un risque réel, direct et sérieux pour sa vie ou sa liberté en cas de retour dans son pays d'origine ; que, par suite, la décision désignant la Turquie comme pays à destination duquel il sera reconduit ne méconnaît ni les stipulations de l'article 2 ni celles de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précités ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Moselle en date du 7 août 2010 ordonnant sa reconduite à la frontière et désignant la Turquie comme pays de destination ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Murat A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

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N°10NC01531


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : Président de la cour
Numéro d'arrêt : 10NC01531
Date de la décision : 24/03/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. le Prés Daniel GILTARD
Rapporteur public ?: M. FERAL
Avocat(s) : LECHEVALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2011-03-24;10nc01531 ?
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