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02/12/2010 | FRANCE | N°09NC01595

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 02 décembre 2010, 09NC01595


Vu la requête, enregistrée le 30 octobre 2009, présentée pour M. Olivier A, ..., par la SCP d'avocats Welsch et Kessler ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0701399 du 22 septembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail de Metz en date du 18 janvier 2007 autorisant la société Pierburg Pump Technology France à procéder à son licenciement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision ;

3°) de mettre à la charge tant de l'Etat

que de la société Pierburg Pump Technology France une somme de 3 000 euros au titre d...

Vu la requête, enregistrée le 30 octobre 2009, présentée pour M. Olivier A, ..., par la SCP d'avocats Welsch et Kessler ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0701399 du 22 septembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail de Metz en date du 18 janvier 2007 autorisant la société Pierburg Pump Technology France à procéder à son licenciement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision ;

3°) de mettre à la charge tant de l'Etat que de la société Pierburg Pump Technology France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le délai de 48 h prévu à l'article R. 2421-14 du code du travail n'a pas été respecté ;

- le comité d'entreprise n'a pas voté au scrutin secret conformément aux prescriptions de l'article R. 2421-9 du code du travail ;

- en interdisant son accès à l'entreprise, son employeur l'a empêché d'accéder à des éléments d'information lui permettant de fournir des explications utiles tant lors de l'entretien préalable que lors de l'enquête contradictoire ;

- en lui imposant l'assistance d'un représentant de son syndicat et non d'une personne de son choix, l'inspecteur du travail a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ;

- l'inspecteur du travail ne lui a pas communiqué les documents produits par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement ;

- la décision de l'inspecteur du travail n'est pas suffisamment motivée ;

- il a respecté les modalités de remboursement des frais professionnels, notamment en obtenant la validation de ses dépenses par la responsable des ressources humaines ;

- les montants des frais à justifier ont varié ;

- seules les dépenses dont l'employeur a eu connaissance moins de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire pouvaient être retenues ;

- les frais qui lui sont reprochés ont bien un caractère professionnel ;

- l'administration fiscale a considéré que les dépenses incriminées avaient été exposées dans l'intérêt de l'entreprise ;

- le motif réel de l'employeur était de l'évincer dès lors qu'il s'était opposé à un projet de délocalisation ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu les mises en demeure adressées le 10 mai 2010 au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville et à la SCP Baum et Cie, avocat de la société Pierburg Pump Technology France, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de ces mises en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2010, présenté pour la société Pierburg Pump Technology France par la SCP d'avocats Baum et Cie, tendant au rejet de la requête et à la condamnation de M. A à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le dépassement minime du délai de 48h prévu à l'article R. 2421-14 du code du travail n'entache pas la procédure d'irrégularité dès lors que ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité ;

- les membres du comité d'entreprise ont décidé à l'unanimité de voter à main levée et le résultat de ce vote, à l'unanimité contre la mesure de licenciement, n'a pu influencer l'inspecteur du travail ;

- le requérant n'expose pas en quoi la proposition de l'assister par un représentant de son syndicat serait attentatoire à son droit au respect de la vie privée et familiale ;

- cette proposition, qui ne crée aucune obligation de se syndiquer, n'est pas contraire à l'article 11 de la convention européenne des droits de l'homme ;

- le requérant soutient pour la première fois avoir demandé la communication de documents et que celle-ci lui aurait été refusée ;

- l'article R. 2421-4 du code du travail ne prévoit pas d'obligation pour l'inspecteur du travail d'adresser spontanément au salarié protégé les documents produits par l'employeur ;

- le requérant n'avait pas demandé la communication de ces documents dont il a pris d'ailleurs connaissance lors de l'enquête contradictoire ainsi qu'il l'a reconnu en première instance ;

- la décision de l'inspecteur du travail est motivée ;

- le requérant a refusé de s'expliquer sur des dépenses qui ne présentaient pas un caractère professionnel ;

- la validation par le supérieur hiérarchique s'explique par la complicité de celui-ci au système de détournement ;

- le montant initialement reproché a été réduit précisément pour tenir compte des explications du requérant ;

- la société n'ayant eu connaissance des détournements de sommes d'argent qu'à l'occasion d'une opération de contrôle opérée début décembre 2006, il ne saurait y avoir de prescription de faits fautifs ;

- la décision de l'administration fiscale, au demeurant non explicitée, est sans incidence sur le présent litige, qui est d'une autre nature ;

- la société a d'ailleurs été redressée par l'administration fiscale au titre des années 2004 et 2005 et par l'URSSAF au titre de l'année 2006 sur les sommes détournées par le requérant et ses collègues également licenciés ;

- les détournements opérés par le requérant en sa qualité de salarié sont prouvés ;

- il s'agit d'une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement ;

- ce dernier est sans rapport avec les fonctions représentatives ;

- aucun motif d'intérêt général ne s'oppose au licenciement ;

Vu l'ordonnance en date du 26 juillet 2010 fixant la clôture d'instruction au 27 août 2010, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 novembre :

- le rapport de M. Trottier, président,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de Me Welsch, avocat de M. A, et de Me Runge, pour la SCP Baum et Cie, avocat de la société Pierburg Pump Technology France ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; que, par décision du 18 janvier 2007, l'inspecteur du travail de Metz a autorisé le licenciement pour faute de M. A, ancien délégué du personnel et ancien membre suppléant du comité d'entreprise, bénéficiant à ce titre de la protection prévue par les dispositions de l'article L. 412-18 du code du travail alors en vigueur ;

En ce qui concerne la légalité externe :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R.436-8 du code du travail alors en vigueur : En cas de faute grave, le chef d'entreprise a la faculté de prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. La demande [d'autorisation de licenciement] est, dans ce cas, présentée au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise ; que si, eu égard à la gravité de la sanction de mise à pied, le délai entre la délibération du comité d'entreprise et l'envoi de la demande d'autorisation de licenciement doit être aussi court que possible, il n'est pas prescrit à peine de nullité ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le comité d'entreprise a délibéré sur le cas de M. A le vendredi 22 décembre 2006 et que la demande d'autorisation de licenciement de l'intéressé a été adressée à l'inspecteur du travail le mardi 27 décembre suivant, soit dans le délai prescrit dans la mesure où le 24 décembre 2006 était un dimanche et les 25 et 26 décembre des jours fériés dans le département de la Moselle ; que, le requérant n'est donc pas fondé à soutenir que le délai prévu par l'article R. 436-8 précité aurait été dépassé ;

Considérant, en deuxième lieu, que s'il est constant que l'avis du comité d'entreprise n'a pas été émis à la suite d'un vote à bulletins secrets, les membres du comité d'entreprise ont toutefois émis à l'unanimité un avis défavorable au licenciement de M. A ; qu'il s'ensuit que la méconnaissance de la règle substantielle prescrite par l'article R. 436-2 alors en vigueur du code du travail du vote à bulletins secrets, n'a pas été, dans les circonstances de l'espèce, de nature à influencer le sens de la décision prise sur la demande de la société ; qu'ainsi la procédure préalable à la décision de l'inspecteur du travail n'a pas été entachée d'irrégularité sur ce point ;

Considérant, en troisième lieu, que si le requérant soutient que la mise à pied aurait interdit son accès à l'entreprise et ainsi à des éléments utiles à sa défense, il n'établit pas avoir sollicité, avant la décision de l'inspecteur du travail attaquée, la communication d'éléments, dont il ne précise au demeurant pas la nature, susceptibles de l'aider à apporter des justifications sur les faits qui lui étaient reprochés ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'à l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection instituée en faveur des salariés légalement investis de fonctions représentatives, le premier alinéa de l'article R. 436-4 du code du travail alors en vigueur, dont les dispositions ont été reprises au premier alinéa de l'article R. 2421-11 du même code, dispose que l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ;

Considérant que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions de l'article R. 436-4 du code du travail impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation ; que toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'attestation établie le 4 mai 2007 par le délégué syndical qui a assisté M. A lors de l'enquête contradictoire à laquelle a procédé l'inspecteur du travail, que ce dernier avait organisé, le 10 janvier 2007, une confrontation entre la responsable des ressources humaines de la société Pierburg Pump Technology France, représentant l'employeur de M. A, et ce dernier ; qu'au cours de cette confrontation, l'inspecteur du travail a, d'une part, exposé un à un les motifs figurant dans la demande d'autorisation de licenciement et, d'autre part, demandé à la responsable des ressources humaines de présenter les factures au fur et à mesure de l'énonciation des dépenses concernées et invité l'intéressé à se justifier ; que l'inspecteur du travail n'était nullement tenu de communiquer au salarié l'intégralité des pièces dont ce dernier a ainsi été mis à même de prendre connaissance ; que, dans ces conditions, l'enquête a été menée contradictoirement conformément aux dispositions de l'article R. 436-4 alors en vigueur du code du travail ;

Considérant que ni l'article R. 436-4 du code du travail, qui, n'ayant pas pour effet d'obliger les salariés à adhérer à un syndicat, ne méconnaît donc pas l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et pas davantage l'article 8 de ladite convention relatif à la protection de la vie privée, ni une autre disposition ou principe général du droit n'imposent à l'inspecteur du travail d'informer le salarié de la possibilité d'être assisté d'une personne de son choix lors de l'enquête contradictoire ;

Considérant, en dernier lieu, que la décision de l'inspecteur du travail de Metz en date du 18 janvier 2007 vise les textes dont elle fait application, la demande d'autorisation de licenciement, l'avis du comité d'entreprise, l'enquête contradictoire et mentionne les faits reprochés au salarié, considérés comme établis, ainsi que la circonstance que ces faits présentent une gravité suffisante pour justifier le licenciement ; qu'ainsi, la décision attaquée est suffisamment motivée ;

En ce qui concerne la légalité interne :

Considérant, d'une part, qu'au cours des années 2005 et 2006, M. A, qui exerçait les fonctions de cadre responsable mini usine de production, avait procédé à des dépenses de carburant et de restaurant dont il avait ensuite demandé le remboursement à l'entreprise qui l'employait ; qu'il ressort des pièces du dossier que ces dépenses ne peuvent revêtir qu'un caractère personnel compte tenu des fonctions de l'intéressé, dépourvu pour l'essentiel de tâches commerciales, et de la nature, des dates ou des lieux où ces dépenses ont été effectuées ; que la circonstance que le directeur de l'entreprise, d'ailleurs licencié pour des faits similaires, et les responsables des ressources humaines ou de la comptabilité auraient visé les notes de frais présentés par M. A ne saurait faire obstacle à ce que l'employeur en conteste ultérieurement le caractère professionnel ; qu'en outre, le fait que l'administration fiscale ait renoncé à poursuivre le redressement des sommes en cause en tant que revenus distribués par la société Pierburg Pump Technology France est sans incidence sur le caractère personnel desdites dépenses et, eu égard aux fonctions exercées par l'intéressé, sur la faute consistant à avoir ainsi détourné à des fins personnelles des fonds de l'entreprise ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 122-44 du code du travail alors en vigueur : Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance... ;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contesté que ce n'est qu'à l'occasion d'un contrôle effectué, au début du mois de décembre 2006, par un cadre dépêché par le groupe auquel appartenait la société Pierburg Pump Technology France, que l'employeur de M. A a eu pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits de remboursements indus de dépenses ne présentant pas, au demeurant, un caractère isolé ;

Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le véritable motif du licenciement, fondé sur une faute grave établie, était d'évincer un cadre qui se serait opposé à un projet de délocalisation d'une partie de la production de l'usine ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal Administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail de Metz en date du 18 janvier 2007 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions susvisée font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Pierburg Pump Technology France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de ce dernier une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Pierburg Pump Technology France et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : M. A versera à la société Pierburg Pump Technology France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Olivier A, au ministre du travail, de l'emploi et de la santé et à la société Pierburg Pump Technology France.

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N° 09NC01595


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09NC01595
Date de la décision : 02/12/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VINCENT
Rapporteur ?: M. Thierry TROTTIER
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : SCP BAUM et CIE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2010-12-02;09nc01595 ?
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