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14/10/2010 | FRANCE | N°10NC00156

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 14 octobre 2010, 10NC00156


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 2 février 2010, présentée pour M. Christian A, demeurant ..., par Me Imbach ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0504940 en date du 2 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à condamner l'Etat à lui verser une somme de 281 805 euros en réparation du préjudice subi du fait des hausses du prix du tabac, avec intérêts de droit ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme, assortie des intérêts de droit ;

3°) de mettr

e une somme de 5 000 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 76...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 2 février 2010, présentée pour M. Christian A, demeurant ..., par Me Imbach ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0504940 en date du 2 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à condamner l'Etat à lui verser une somme de 281 805 euros en réparation du préjudice subi du fait des hausses du prix du tabac, avec intérêts de droit ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme, assortie des intérêts de droit ;

3°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la responsabilité de l'Etat pour faute est engagée du fait de la violation des règles communautaires par les arrêtés d'homologation des prix de vente de tabac au détail, incompatibles avec les dispositions de la directive 95/59/CE du Conseil du 27 novembre 1995 en ce qu'ils empêchent les fabricants et fournisseurs de fixer librement le prix des cigarettes et font obstacle à l'établissement de conditions normales de concurrence entre les différents opérateurs économiques ;

- les arrêtés d'homologation des prix de vente de tabac s'analysent également en mesures étatiques ayant favorisé et autorisé l'existence de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les dispositions des articles 81 et 82 combinés avec les articles 3g et 10 du traité instituant la Communauté européenne, qui imposent aux Etats membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles de contrecarrer l'effet utile des règles de concurrence communautaires, méconnues dès lors que la fixation des prix de vente au détail favorise la conclusion d'ententes illicites entre les fabricants de cigarettes ;

- la réglementation a permis à la société Altadis de se constituer une position monopolistique sur le marché de la distribution en gros de cigarettes et d'abuser de sa position dominante en France en décidant des conditions de vente et d'approvisionnement du réseau français des buralistes ;

- les arrêtés d'homologation des prix de vente au détail sont de surcroît incompatibles avec les dispositions du règlement 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999 relatif aux restrictions verticales en ce qu'ils ont imposé aux détaillants de tabac un prix unique de revente à la consommation alors que le règlement prescrit la libre fixation des prix par les revendeurs ;

- ces mesures ont également constitué des aides publiques prohibées par l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne en ce qu'en appliquant aux cigarettes une augmentation des prix plus forte que celle appliquée aux autres produits des tabacs manufacturés, l'Etat a favorisé certaines productions de tabacs manufacturés au préjudice d'entreprises ne produisant que des cigarettes ;

- les arrêtés d'homologation des prix sont enfin incompatibles avec les dispositions de l'article 31 du traité instituant la Communauté européenne, en ce qu'ils ont faussé les conditions de concurrence entre les débitants français frontaliers et leurs homologues des pays limitrophes ;

- la responsabilité de l'Etat est également engagée sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques dès lors que les arrêtés litigieux ont fait peser sur les buralistes frontaliers une charge qu'il appartient à la collectivité d'assumer ;

- les conditions de spécialité et d'anormalité du préjudice sont réunies en l'espèce ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en estimant que le recours en manquement introduit par la Commission contre la France sous le n° C197/08 et pendant devant la Cour européenne de justice n'était pas de nature à orienter la solution du litige ;

- son préjudice s'analyse en une perte de revenus à hauteur de 46 546 euros et en dépréciation de son fonds de commerce, devenu invendable, s'élevant à 204 075 euros, auxquels s'ajoute un préjudice moral pouvant être évalué à 20 000 euros et la perte de points de retraite à hauteur de 11 184 euros ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2010, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que les moyens du requérant sont infondés ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 8 juillet 2010, présenté pour M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, à ce que la condamnation de l'Etat à son profit soit portée à 303 505 euros et soutient en outre que :

- le tribunal s'est mépris sur les critères d'appréciation de son préjudice ;

- l'administration a fait un calcul erroné de son préjudice, qui n'est pas compensé par les diverses mesures prises en faveur des débitants de tabac ;

- il est fondé à se prévaloir de la condamnation de la France par arrêt du 4 mars 2010 de la Cour de justice européenne dans la procédure en manquement introduite contre la France ;

Vu le mémoire complémentaire en défense, enregistré le 22 juillet 2010, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire en défense par les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance du président de la 3ème chambre de la Cour fixant la clôture de l'instruction au 22 juillet 2010 à 16 heures ;

Vu le traité CE ;

Vu la directive 95/59/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d'affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés ;

Vu le règlement CE n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, et notamment son article 38 ;

Vu le décret n° 2004-975 du 13 septembre 2004 pris pour l'application du premier alinéa de l'article 572 du code général des impôts ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 septembre 2010 :

- le rapport de M. Vincent, président de chambre,

- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;

Considérant que M. A, titulaire d'un traité de gérance de débit de tabac avec fonds de commerce annexé situé à Strasbourg, recherche la responsabilité de l'Etat à raison du préjudice subi du fait de la réduction du chiffre d'affaires de vente de tabac, qu'il impute aux hausses des prix de vente décidées par l'Etat par arrêtés des 11 décembre 2002, 23 janvier 2003, 25 mars 2003, 16 octobre 2003 et 23 décembre 2003 ;

Sur la responsabilité pour faute :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 565 du code général des impôts : ...La vente au détail des tabacs manufacturés est réservée à l'Etat... ; qu'aux termes de l'article 568 du même code : Le monopole de vente au détail est confié à l'administration, qui l'exerce par l'intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés et tenus à droit de licence au-delà d'un seuil de chiffre d'affaires réalisé sur les ventes de tabacs manufacturés... ; qu'aux termes de l'article 284 de l'annexe II audit code : Les fabricants et les fournisseurs agréés communiquent leur prix de vente au détail des tabacs manufacturés, pour chacun de leurs produits, à la direction générale des douanes et droits indirects. Les prix sont homologués par arrêté du ministre chargé du budget et publiés au Journal officiel de la République française ; qu'enfin, aux termes de l'article 572 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 38 de la loi susvisée du 9 août 2004 : Le prix de détail des cigarettes, exprimé aux 1 000 unités, ne peut toutefois être homologué s'il est inférieur à celui obtenu en appliquant, au prix moyen de ces produits, un pourcentage fixé par décret ; que ce pourcentage a été fixé à 95 par l'article 1er du décret du 13 septembre 2004 susvisé ;

Considérant que la responsabilité des Etats membres de l'Union européenne ne peut être engagée du fait de la non-transposition ou de la transposition incorrecte d'une directive que lorsque le résultat prescrit par celle-ci comporte l'attribution de droits au profit des particuliers, que le contenu de ces droits peut être identifié sur la base des dispositions de la directive, et qu'il existe un lien de causalité directe entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers ; que si, par arrêt du 4 mars 2010 rendu dans l'affaire C-197/08, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'en adoptant et en maintenant en vigueur un système de prix minimal pour la vente au détail des cigarettes mises à la consommation en France, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 9§1 de la directive 95/59/CE du Conseil du 27 novembre 1995 susvisée, qui dispose que les fabricants ainsi que les importateurs de pays tiers déterminent librement les prix maximaux de vente au détail de chacun de leurs produits pour chaque Etat membre dans lequel ils sont destinés à être mis à la consommation, les dispositions dudit article n'ont pas conféré à M. A, en sa seule qualité de débitant de tabac, un quelconque droit dont la méconnaissance serait de nature à lui occasionner un préjudice ; qu'au surplus, le préjudice qu'il invoque, né des hausses des prix de vente au détail des produits intervenues en 2003, puis le 1er janvier 2004, a ainsi pour fait générateur des décisions de l'administration antérieures à l'adoption des dispositions légales regardées par la Cour comme contrevenant aux obligations découlant de la directive 95/59/CE ; que si le requérant fait valoir qu'outre les dispositions précitées de l'article 9§1 de ladite directive, les objectifs de celle-ci, relatifs à l'harmonisation, au demeurant progressive, des impôts frappant la consommation des produits de tabac et à la préservation de la concurrence entre fabricants et importateurs des différentes catégories de tabacs manufacturés appartenant à un même groupe, auraient été également méconnus par les décisions litigieuses, le préjudice en résultant ne saurait en tout état de cause engager la responsabilité de l'Etat, dès lors qu'en admettant même que la mise en oeuvre des objectifs de la directive puisse être regardée comme ayant pour effet d'attribuer des droits aux débitants de tabac, le contenu de ceux-ci ne peut être identifié sur la base d'une quelconque disposition expresse de la directive ; que si le requérant fait en outre valoir qu'indépendamment de la fixation de prix de vente minimaux, l'augmentation des impôts à l'origine des hausses de prix litigieuses constituerait un obstacle au jeu de la libre concurrence et méconnaîtrait également en cela les objectifs de la directive susrappelée, la Cour de justice de l'Union européenne a, par les paragraphes 48 à 52 de l'arrêt susrappelé du 4 mars 2010, expressément reconnu la compatibilité avec les dispositions de la directive du recours à la taxation des produits du tabac afin de réduire leur consommation dans le but de préserver la santé publique ;

Considérant, en deuxième lieu, que si M. A soutient que les arrêtés d'homologation des prix s'analyseraient en des mesures étatiques ayant favorisé et autorisé l'existence de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les dispositions des articles 81 et 82 du traité CE alors en vigueur, lues en combinaison avec celles des articles 3g et 10 du même traité, interdisant les ententes ayant pour objet de fixer les prix d'achat et de vente et les abus de position dominante, en tant que lesdites mesures favoriseraient la conclusion de telles ententes et permettraient au fabricant Altadis de se constituer un monopole sur le marché de la distribution en gros des cigarettes, il n'avance aucun argument pertinent à l'appui de ce moyen en se bornant à affirmer que les mesures litigieuses entraînent de telles conséquences sans apporter un quelconque commencement de preuve en ce sens ; qu'au surplus, un tel grief est en tout état de cause sans lien de causalité avec la préjudice invoqué, qui ne résulte pas du principe même de l'homologation des prix de vente des tabacs par l'Etat, mais des hausses de prix survenues en 2003 et 2004 ; qu'il en est de même s'agissant de l'invocation par M. A de la violation du règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999 susrappelé relatif à certaines catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées correspondantes visées par l'article 81 du Traité CE ;

Considérant, en troisième lieu, que le requérant fait valoir que les arrêtés d'homologation des prix de vente au détail des tabacs constitueraient des aides publiques prohibées par l'article 88 du traité CE alors en vigueur, accordées à certains fabricants et importateurs au détriment d'autres en tant qu'ils appliquent aux cigarettes une augmentation de prix plus forte que celle appliquée aux autres produits des tabacs, cette qualification, à la supposer établie, est en tout état de cause sans lien de causalité avec le préjudice invoqué par M. A ;

Considérant, enfin, que si M. A fait valoir que les arrêtés d'homologation des prix de vente seraient également incompatibles avec les dispositions de l'article 31 du traité CE alors en vigueur précisant que les monopoles à caractère commercial doivent être aménagés de manière à exclure toute discrimination entre les ressortissants des Etats membres, l'institution d'un prix de vente unique, qui est applicable tant aux produits importés qu'aux fabricants nationaux, est en elle-même sans incidence sur les conditions de concurrence économique entre les Etats membres ; qu'en admettant que le requérant entende en réalité faire valoir que les distorsions de concurrence qu'il invoque résulteraient non de la fixation d'un prix unique, mais des augmentations de prix de vente homologués résultant de la hausse des impôts sur les produits du tabac, les dispositions dudit article n'ont pas pour effet de faire obstacle à ce que chaque Etat use de l'instrument fiscal pour limiter la consommation de produits nuisibles à la santé ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à invoquer la responsabilité pour faute de l'Etat ;

Sur la responsabilité sans faute :

Considérant que, lorsqu'une décision légalement prise est susceptible de compromettre ou de restreindre l'exercice d'une activité économique, la responsabilité de l'administration ne peut être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques que si le dommage subi de ce fait excède les aléas que comporte nécessairement l'exercice de toute exploitation économique et s'il revêt un caractère grave et spécial ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que les débitants de tabac sont tenus d'appliquer les prix de vente des produits de tabac homologués par l'Etat, qui sont par ailleurs identiques sur l'ensemble du territoire national en vertu de l'article 572 du code général des impôts ; que l'application de hausses du prix du tabac s'inscrit ainsi dans le cadre des conditions normales de l'exercice de l'activité d'un débitant de tabac, et ce quelque soit le lieu où il exploite ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le requérant fait valoir que les débitants situés en zone frontalière auraient été plus particulièrement pénalisés par la hausse des prix des tabacs en tant que la clientèle française a pu y échapper en s'approvisionnant désormais dans les pays limitrophes, le dommage ainsi subi ne saurait être regardé comme excédant les aléas que comporte l'activité de débitant de tabac pour le compte de l'Etat ; que la circonstance que l'Etat a mis en place un régime d'indemnisation partielle de la perte de chiffre d'affaires susceptible d'être induite par l'augmentation des taxes sur la vente de produits à base de tabac ne saurait par ailleurs valoir reconnaissance par l'Etat de sa responsabilité du fait des hausses de prix qui en résultent ; qu'ainsi, le moyen tiré de la responsabilité de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Christian A et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat.

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10NC00156


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10NC00156
Date de la décision : 14/10/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VINCENT
Rapporteur ?: M. Pierre VINCENT
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : IMBACH

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2010-10-14;10nc00156 ?
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