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24/06/2010 | FRANCE | N°08NC01075

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 24 juin 2010, 08NC01075


Vu, la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 17 juillet 2008, complétée par des mémoires enregistrés les 12 décembre 2008 et 16 octobre 2009, présentée pour la société par actions simplifiée (SAS) ALBISSER, dont le siège est 7 rue de Bettendorf 68560 Hirsingue, par Me Lelièvre, avocat ;

La société ALBISSER demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0502864 en date du 4 juin 2008 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la restitution de la taxe sur les achats de viande à laquelle elle a été assujettie

au titre des années 2001, 2002 et 2003 ;

2°) d'ordonner la décharge et subsidiair...

Vu, la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 17 juillet 2008, complétée par des mémoires enregistrés les 12 décembre 2008 et 16 octobre 2009, présentée pour la société par actions simplifiée (SAS) ALBISSER, dont le siège est 7 rue de Bettendorf 68560 Hirsingue, par Me Lelièvre, avocat ;

La société ALBISSER demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0502864 en date du 4 juin 2008 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la restitution de la taxe sur les achats de viande à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2001, 2002 et 2003 ;

2°) d'ordonner la décharge et subsidiairement le dégrèvement de la taxe contestée ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2.000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient :

- que le jugement attaqué est irrégulier en ce que le dernier mémoire produit par l'administration n'a, semble-t-il, pas été communiqué à son avocat, alors qu'il était peut-être susceptible d'exercer une influence sur la solution du litige et en ce qu'il a statué infra petita, dès lors qu'il ne s'est pas prononcé sur ses conclusions tendant à ce que l'administration verse au dossier une note interne du 6 janvier 2004 ;

- que la perception de la taxe sur les achats de viande est illégale, dès lors que la France n'a pas notifié la modification de cette aide d'Etat, préalablement à son application, à la Commission des Communautés européennes, en méconnaissance des articles 87 et 88-3 du Traité CE et qu'il appartient à la Cour d'enjoindre à l'administration de produire le bilan détaillé du coût du service public de l'équarrissage ;

- qu'en vertu du principe anglo-saxon dit de l'estoppel, appliqué en droit international public de l'arbitrage et dès lors que l'administration a soutenu des positions différentes, les droits en litige doivent faire l'objet d'un dégrèvement ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2008, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ;

Le ministre conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code rural ;

Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;

Vu la loi n° 96-1139 du 26 décembre 1996 ;

Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 juin 2010 :

- le rapport de Mme Stefanski, président,

- et les conclusions de Mme Fischer-Hirtz, rapporteur public ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, d'une part, que dans le dernier mémoire qu'elle a produit devant le tribunal administratif, l'administration se bornait à indiquer que le mémoire en réplique produit par la contribuable n'appelait pas d'observations de sa part et qu'elle maintenait en tous points ses précédentes conclusions de rejet ; qu'ainsi, la société requérante ne peut soutenir que le défaut de communication de ce mémoire serait de nature à entacher d'irrégularité les jugements attaqués ;

Considérant, d'autre part, que la société requérante, qui ne s'est pas prévalue devant le tribunal administratif d'une note de l'administration en date du 6 janvier 2004, en tout état de cause, ne peut, pas soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas demandé à l'administration la production de cette note ;

Sur les impositions en litige :

Considérant, d'une part, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne : Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité : 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 (...) elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier ( ... ) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ;

Considérant qu'il résulte de ces stipulations que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 87 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par ce traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres le paragraphe 3 de l'article 88 du traité, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions dont l'application est contestée instituent un régime d'aide, ou si une taxe fait partie intégrante d'une telle aide ;

Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, d'une part, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure, d'autre part que, pour que l'on puisse juger qu'une taxe, ou une partie d'une taxe, fait partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide ;

Considérant que l'article 1er de la loi du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural a inséré dans le code général des impôts un article 302 bis ZD instituant, à compter du

1er janvier 1997, une taxe sur les achats de viande due par les personnes qui réalisent des ventes au détail de viande, dont le produit était affecté à un fonds faisant l'objet d'une comptabilité distincte, ayant pour objet de financer la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux et des saisies d'abattoirs reconnus impropres à la consommation humaine et animale, activités correspondant au service public de l'équarrissage défini à l'article 264 du code rural en vigueur au cours des années d'imposition en litige ; que le II de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000, entré en vigueur le 1er janvier 2001, a limité à la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000 l'affectation de la taxe sur les achats de viande au fonds mentionné ci-dessus ; qu'en conséquence, à compter du 1er janvier 2001, en l'absence de dispositions prévoyant l'affectation de cette taxe, celle-ci est devenue une recette du budget général de l'Etat ; qu'à compter de cette même date, le service public de l'équarrissage a été financé au moyen d'une dotation inscrite au budget général de l 'Etat ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en vigueur au cours des années d'imposition en litige : Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général ; qu'en vertu du principe à valeur constitutionnelle d'universalité budgétaire résultant de ces dispositions, les recettes et les dépenses doivent figurer au budget de l'Etat pour leur montant brut, sans être contractées, et l'affectation d'une recette déterminée à la couverture d'une dépense déterminée est interdite, sous réserve des exceptions prévues au second alinéa de l'article 18 ; qu'en application de ce principe et de la législation nationale relative à la taxe sur les achats de viande, et sans qu'il soit besoin de se référer aux travaux parlementaires dont est issu l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, à compter du 1er janvier 2001, il n'existait juridiquement aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe et le service public de l'équarrissage, et aucun rapport entre le produit de la taxe et le montant du financement public attribué à ce service ; qu'en exécution des règles ainsi applicables, à compter de cette même date, la taxe sur les achats de viande était une recette du budget général, dépourvue de tout lien avec le budget du ministère de l'agriculture et la dotation inscrite à ce budget servant à financer le service public de l'équarrissage ; que la taxe sur les achats de viande n'entrant pas, ainsi, à compter du 1er janvier 2001, dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, la société requérante ne peut invoquer, au soutien de sa demande en restitution de l'imposition en litige, une éventuelle méconnaissance par les autorités françaises, à l'occasion de la modification du mode de financement du service public de l'équarrissage résultant des dispositions de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, des obligations qu'imposent la première et la dernière phrases du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant, par ailleurs, que compte tenu de l'absence de lien d'affectation contraignant entre la taxe sur les achats de viande et le service public de l'équarrissage à compter du 1er janvier 2001 et sans que la société requérante puisse, en tout état de cause, invoquer la situation faite à des tiers, est inopérant au soutien d'une demande en restitution de la taxe sur les achats de viande acquittée au titre des années postérieures, le moyen tiré de ce que le régime d'aide constitué par le service public de l'équarrissage aurait dû être notifié à l'origine à la Commission européenne ;

Considérant, d'autre part, que les obligations des contribuables résultent des textes législatifs et réglementaires, à l'application desquels l'administration ne peut renoncer ; que sous réserve des garanties prévues pour le contribuable par les articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, ainsi que de celles dont le juge de l'impôt assure le respect, la position ou le comportement de l'administration avant la procédure contentieuse, lors de l'instruction de la réclamation ou en cours d'instance devant le juge de l'impôt, quelles que soient leurs évolutions ou contradictions éventuelles, ne peuvent faire obstacle à l'application par le juge de l'impôt de la loi fiscale, dans le cadre des moyens soulevés par chacune des parties et de ceux qu'il est tenu de relever d'office ; qu'ainsi, en l'absence en contentieux fiscal, d'une règle générale de procédure relevant du principe dit de l'estoppel, en vertu de laquelle une partie ne pourrait, après avoir adopté une position claire ou un comportement non ambigu sur sa future conduite à l'égard de l'autre partie, modifier ultérieurement cette position ou ce comportement d'une façon qui affecte les rapports du droit entre les parties et conduise l'autre partie à modifier à son tour sa position, la société requérante ne peut, en tout état de cause, utilement opposer à l'administration les déclarations faites par le ministre délégué au budget à l'Assemblée nationale le 17 octobre 2003, pour soutenir que dans le cadre de la procédure contentieuse, l'administration se serait contredite à son détriment ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à la société requérante la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société ALBISSER est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société ALBISSER et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2010, à laquelle siégeaient :

M. Commenville, président de chambre,

Mme Stefanski, président,

Mme Le Montagner, président.

Lu en audience publique, le 24 juin 2010.

Le rapporteur, Le président,

Signé :C. STEFANSKI Signé : B. COMMENVILLE

La greffière,

Signé : S. ROBINET

La République mande et ordonne au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. ROBINET

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08NC01075


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 08NC01075
Date de la décision : 24/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. COMMENVILLE
Rapporteur ?: Mme Colette STEFANSKI
Rapporteur public ?: Mme FISCHER-HIRTZ
Avocat(s) : SELARL VAUBAN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2010-06-24;08nc01075 ?
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