Vu la requête, enregistrée le 9 mars 2009, et le mémoire complémentaire, enregistré le 29 janvier 2010, présentés pour la SAS LES CHANTIERS MODERNES, dont le siège social est 18 avenue Gustave Eiffel à Pessac (33600), par la Selarl Peisse Dupichot Zirah Bothorel et associés ; la SAS LES CHANTIERS MODERNES demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 janvier 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamnée à payer à la SANEF la somme globale de 177 508,84 € assortie des intérêts légaux à compter du 16 juin 2005 et a rejeté ses conclusions d'appel en garantie ;
2°) de la mettre hors de cause ;
3°) si elle devait être condamnée, de limiter le montant de la condamnation à la somme de 96 525,89 € TTC ;
3°) de condamner la S.A. SCETAUROUTE à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre et à titre subsidiaire de la garantir de la moitié de ses condamnations ;
4°) de mettre à la charge de la Sanef et de la S.A. SCETAUROUTE les dépens ainsi qu'à lui verser une somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- son action n'est pas prescrite ;
- la Sanef a tardé à intervenir alors que les premiers désordres sont apparus dès 1992 ; que ce faisant elle a concouru à l'aggravation de son dommage en ne prenant pas les mesures conservatoires qui s'imposaient dans une proportion qui ne saurait être inférieure à 20% des conséquences dommageables des désordres affectant l'ouvrage en cause ;
- les désordres ne peuvent lui être imputés, ceux-ci résultant d'un problème de conception de l'ouvrage ; elle n'était chargée que de la réalisation par son sous-traitant des plans d'exécution ; le dommage est imputable à la seule société Scetauroute, maître d'oeuvre chargé de la conception des ouvrages ; les plans d'exécution et les notes de calculs, ces travaux ont été réalisés en fonction des éléments de conception qui lui ont été transmis par la maîtrise d'oeuvre ;
- les coûts de surveillance renforcés de maintenance de l'ouvrage entre le 15 juillet 1999 et le 6 juillet 2000 auraient pu être évités si la Sanef avait mis fin en 1999 aux désordres dont elle avait connaissance depuis 1992 ; les demandes indemnitaires doivent être réduites ; que pour la période du 28 juillet 2000 au 27 septembre 2002, le coût de la surveillance est imputable à la Sanef qui a tardé à réalisé les travaux de réfection alors que l'étude relative aux modalités de réparation des appareils d'appui lui a été rendue le 29 septembre 2000 ; le coût de l'étude aurait pu être évité si la Sanef avait sollicité les services de sa maîtrise d'oeuvre tenue contractuellement de l'assister dans les procédures engagées contre elle ;
- la société Scetauroute doit la garantir de ses éventuelles condamnations dès lors que les désordres sont la conséquence d'un défaut de conception de l'ouvrage, que ses plans ont été approuvés par la maîtrise d'oeuvre qui a modifié la géométrie de l'ouvrage défectueux ;
- son appel en garantie est recevable ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2009, présenté pour la Sanef, par Me Grange ;
La Sanef demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête et de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) de condamner la SAS LES CHANTIERS MODERNES à lui verser une somme de 6 000 € au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
- que la responsabilité décennale de la SAS LES CHANTIERS MODERNES est engagée ; cette entreprise avait une mission d'établissement des plans d'exécution et des notes de calcul ; qu'il résulte de l'expertise que l'amplitude des mouvements de l'ouvrage a été sous-estimée par les hypothèses de calcul, les moyens d'appuis sur les culées étant insuffisamment adaptés à la géométrie de l'ouvrage ; qu'il résulte de ce même rapport que les désordres font courir un danger potentiel pour la sécurité des personnes et peuvent à terme provoquer la ruine de l'ouvrage ;
- que la SAS LES CHANTIERS MODERNES n'établit pas l'existence d'une faute du maître d'ouvrage qui serait de nature à l'exonérer de sa responsabilité ;
- que son préjudice subi peut être évalué sur la base du rapport d'expertise à la somme de 177 508,84 € H.T ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 janvier 2010, présenté pour la société Egis Route Scetauroute ;
La société Egis Route Scetauroute demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête et de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner la société Sanef à la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de condamner la SAS LES CHANTIERS MODERNES à lui verser une somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé et qu'elle entend se prévaloir le cas échéant à l'encontre de la Sanef de l'application de l'article 21 de la convention de maîtrise d'oeuvre ;
Vu l'ordonnance en date du 17 novembre 2009 fixant la clôture de l'instruction le 1er février 2010 à 16h00 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er avril 2010 :
- le rapport de Mme Ghisu-Deparis, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, rapporteur public,
- et les conclusions de Me De Montauzan, avocat de la SAS LES CHANTIERS MODERNES, ainsi que celles de Me Austruit, avocat de la Sanef, et de Me Charles, avocat de la société Egis Route Scetauroute ;
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne l'imputabilité des désordres:
Considérant, d'une part, que LA SOCIETE LES CHANTIERS MODERNES, dont la responsabilité a été recherchée sur la base des articles 1792 et 2270 du code civil, n'est fondée à se prévaloir vis à vis du maître d'ouvrage, la Sanef, de l'imputabilité au maître d'oeuvre, la Scetauroute des désordres, affectant le pont PS 27, et à demander en conséquence que sa responsabilité soit écartée que dans la mesure où ces désordres ne lui sont pas également imputables ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le président du Tribunal de Châlons-en-Champagne, que les désordres affectant les dispositifs anti-cheminement et anti-soulèvement au droit des culées de l'ouvrage sont la conséquence d'une sous-estimation de l'amplitude des mouvements de l'ouvrage imputable notamment à LA SOCIETE LES CHANTIERS MODERNES qui avait contractuellement en charge la réalisation des plans d'exécution et notes de calcul des appuis et des dispositifs défaillants ; que par suite, LA SOCIETE LES CHANTIERS MODERNES n'est pas fondée à soutenir que les dommages ne lui seraient pas imputables, ni à demander qu'elle soit mise hors de cause ;
Considérant, d'autre part, que le constructeur dont la responsabilité est recherchée en application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ne peut s'exonérer en tout ou partie de sa responsabilité qu'en invoquant la force majeure ou une faute du maître d'ouvrage ; que LA SOCIETE LES CHANTIERS MODERNES soutient qu'en tardant à procéder aux réparations utiles alors que les désordres sont apparus dès 1992, la Sanef a concouru à l'aggravation de son dommage ; qu'il résulte cependant de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la Sanef, qui n'avait pas connaissance de l'origine des désordres et dont il n'est pas établi qu'elle pouvait présager de leur aggravation avant 1997, a procédé dès leur apparition aux mesures conservatoires qui s'imposaient et a saisi le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'un référé-expertise en janvier 1999 alors que les joints ne se sont détériorés de façon importante que durant l'été 1999 ; que par suite, la SAS LES CHANTIERS MODERNES n'est pas fondée à soutenir que la Sanef aurait contribué à aggraver les frais annexes dont elle demande réparation et aurait ainsi commis une faute de nature à réduire sa responsabilité ;
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :
Considérant, d'une part, que LA SOCIETE LES CHANTIERS MODERNES conteste les frais annexes que la Sanef a exposés, entre le 15 juillet 1999 et le 6 juillet 2000 pour assurer une surveillance renforcée de l'ouvrage et refaire les joints endommagés de la chaussée au motif que le maître d'ouvrage aurait pu procéder plus tôt aux réparations desdits joints ; que toutefois, contrairement à ce que soutient LA SOCIETE LES CHANTIERS MODERNES, il ne résulte pas de l'instruction que les joints se soient notablement dégradés dès 1992 et jusqu'à 1999 que la Sanef a procédé, avec l'accord de l'expert à la réfection des joints, dont les dégradations les plus importantes ont été constatées au courant de l'été 1999, pour assurer la sécurité des usagers du pont ; que ces mesures de surveillance et de maintenance étaient justifiées par les désordres grandissants dont était affecté l'ouvrage auxquels il n'a pu être remédié définitivement qu'une fois leur origine déterminée et les modalités de réparation définies ;
Considérant d'autre part, que les frais de surveillance qualifiée de légère pour la période du 28 juillet 2000 au 27 juillet 2002 étaient justifiés par l'attente de la désignation, à l'issue d'une procédure de mise en concurrence, de l'entreprise chargée de procéder aux travaux de recalage des appuis ; que le Tribunal, sur la base du rapport d'expertise, a constaté la durée excessive de cette surveillance et a réduit en conséquence la somme réclamée au titre de ce chef de préjudice à la somme de 4 758,01 € ; que contrairement à ce que soutient la requérante, la procédure de mise en concurrence étant nécessaire pour mettre fin aux désordres, les mesures de surveillance légère , dont il n'est pas contesté qu'elles étaient utiles, sont en conséquence bien imputables aux désordres et peuvent dès lors être mises à sa charge ;
Considérant, enfin, qu'il n'est pas contesté que l'étude réalisée par le bureau d'études concrètes relative aux modalités de réparation des appareils d'appuis pour un montant de 13 443 € H.T. était nécessaire ; qu'en se bornant à soutenir, sans toutefois l'établir, que la société Scetauroute aurait pu réaliser pour la Sanef cette étude gratuitement, la société requérante ne conteste pas utilement ce chef de préjudice ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que LA SOCIETE LES CHANTIERS MODERNES n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamnée à verser à la Sanef la somme de 177 508,84 € assortie de la taxe sur la valeur ajoutée ;
En ce qui concerne l'appel en garantie de la société Scetauroute :
Considérant que, comme il a été dit ci-avant, les désordres survenus sur l'ouvrage PS 27 ont pour origine une sous-estimation des mouvements de l'ouvrage et de leur amplitude résultant des plans d'exécution et notes de calcul dont la SAS LES CHANTIERS MODERNES avait la charge ; que, toutefois, l'article 8.2 du CCAP stipule que : Les plans d'exécution des ouvrages et les spécifications techniques détaillées sont établis par l'Entrepreneur et soumis avec les notes de calculs correspondantes au visa du Maître d'oeuvre. Ce dernier doit les renvoyer à l'Entrepreneur avec ses observations éventuelles au plus tard vingt (20) jours calendaires après leur réception ; qu'ainsi, le dommage est également imputable au maître d'oeuvre qui, ayant conçu une géométrie de l'ouvrage particulièrement biaisé justifiant des dispositifs anti-cheminement et anti-soulèvement adaptés, a avalisé des calculs qui allaient se révéler erronés ; que par suite, la société Scetauroute a, en apposant son visa sans observation et donc en validant les calculs proposés par l'entreprise, contribué à la réalisation du dommage ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la société Scetauroute à garantir la SAS LES CHANTIERS MODERNES à hauteur de 25 % du montant total de la condamnation prononcée à son encontre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que LA SOCIETE LES CHANTIERS MODERNES est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses conclusions d'appel en garantie ;
En ce qui concerne l'appel incident de la Sanef :
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que pour l'application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la Sanef a demandé la capitalisation des intérêts dès l'introduction de première instance, le 16 juin 2005 ; qu'il y a lieu de faire droit à ces conclusions à compter du 16 juin 2006, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;
Sur les conclusions d'appel provoqué de la société Scetauroute :
Considérant que l'article 21 de la convention de maîtrise d'oeuvre conclue entre la Sanef et la société Scetauroute le 25 avril 1989 stipule que : Le BET s'engage à remplir sa mission conformément aux règles de l'art. La responsabilité civile d'exploitation et la responsabilité civile professionnelle du BET sont couvertes par une assurance souscrite par la Société intervenant pour son compte. La société renonce à tout recours contre le BET pour dommages aux ouvrages pendant le chantier ou après mise en service ; que contrairement à ce que soutient la société Scetauroute, la présente stipulation n'implique pas que la Sanef, son cocontractant, prenne à sa charge les condamnations prononcées à son encontre du fait d'action d'autres constructeurs ; que par suite, la société Scetauroute n'est pas fondée à demander, sur le fondement de cette stipulation, la condamnation de la Sanef à la garantir de ses condamnations ; que les conclusions d'appel provoqué ne peuvent par suite qu'être rejetées ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, compte tenu de ce qui précède, de mettre les frais d'expertise, d'un montant de 10 253,51 € à la charge de la SAS LES CHANTIERS MODERNES à hauteur de 75 % et à la charge de la société Scetauroute à hauteur de 25 % ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS LES CHANTIERS MODERNES est seulement fondée à demander la réformation du jugement attaqué du Tribunal administratif de Chalons-en-Champagne en date du 15 janvier 2009 en ce qu'il a de contraire au présent d'arrêt ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Sanef qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS LES CHANTIERS MODERNES demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Scetauroute à verser la somme de 1 500 € à la SAS LES CHANTIERS MODERNES ; qu'en revanche, il y a lieu de rejeter les conclusions de la Sanef et de la société Scetauroute tendant au bénéfice des mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1 : Les intérêts échus le 16 juin 2006 de la somme de 177 508,84 € due par la SAS LES CHANTIERS MODERNES seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : La société Scetauroute est condamnée à garantir la SAS LES CHANTIERS MODERNES à hauteur de 25 % des sommes auxquelles cette dernière a elle-même été condamnée à verser à la Sanef.
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge respective de la SAS LES CHANTIERS MODERNES et de la société Scetauroute pour respectivement 75% et 25% de leur montant.
Article 4 : Le jugement susvisé du Tribunal de Châlons-en-Champagne en date du 15 janvier 2009 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La société Scetauroute versera à la SAS LES CHANTIERS MODERNES une somme de 1 500 € en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent jugement sera notifié à la SAS LES CHANTIERS MODERNES, à la Sanef et à la société Egis Route Scetauroute.
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