Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 18 juillet 2008, présentée pour M. Claude A, demeurant ..., par la SCP d'avocats Michel Ledoux et associés ;
M. A demande à la Cour de :
1°) réformer le jugement n° 0502285 en date du 7 mai 2008 du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Reims en lui accordant une indemnité de
300 euros, après déduction d'une provision de 12 500 € ;
2°) condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à lui verser une indemnité de 782.063,96 € ;
3°) mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims la somme de 3 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance ;
Il soutient que :
- il n'a jamais été informé correctement au sujet de l'intervention afférente au névrome de Morton, notamment des risques fréquents et prévisibles encourus et des conséquences prévisibles en cas de refus de sa part ni des conséquences en termes d'arrêt de travail ;
- il n'aurait pas dû être opéré du névrome de Morton, faute de justification de cette indication opératoire ;
- sa perte de revenus durant la période de déficit fonctionnel temporaire causé par l'intervention spécifique au névrome de Morton doit être évaluée à 33 995,92 € ;
- sa perte de gains futurs, calculée jusqu'à sa retraite à l'âge de 65 ans, doit être estimée à 600 068,04 euros et la perte au niveau de sa pension de retraite à 50 000 € ;
- le pretium doloris, qui doit évalué à 4/7, doit être réparé par une indemnité de 8 000 € ;
- son préjudice moral, causé par la perte de son entreprise et ses souffrances psychologiques, doit conduire à l'indemniser à hauteur de 50 000 € ;
- son déficit fonctionnel permanent doit être évalué à 15 % et être réparé par une indemnité de 30 000 € ;
- le préjudice d'agrément est effectif, en raison de ses nombreuses activités sportives qu'il ne peut plus pratiquer, et doit être évalué à 4.000 € ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 1er juin 2009, présenté pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) par Me Welsch ; l'ONIAM conclut à sa mise hors de cause et soutient que :
- sa responsabilité n'est pas recherchée par le requérant ;
- les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2009, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Reims par Me Le Prado ; le centre hospitalier universitaire de Reims conclut au rejet de la requête ; il soutient que :
- aucune faute ne saurait lui être imputée en raison de l'intervention concernant le névrome de Morton laquelle s'est déroulée conformément aux règles de l'art ;
- il ne conteste pas, malgré son caractère excessif, l'évaluation de la perte de chance à
80 % ;
- le défaut de production de l'avis d'imposition au titre de l'année 2003 et du montant des indemnités journalières perçues ne met pas le juge à même d'évaluer les pertes de revenues subies durant la période d'incapacité temporaire totale, le préjudice professionnel et l'incidence sur sa retraite ;
- les premiers juges ont procédé à une évaluation conforme à la jurisprudence en allouant à M. A 4 000 euros pour réparer ses souffrances physiques et son préjudice esthétique et 2 000 euros pour son préjudice moral et son préjudice d'agrément ;
- M. A ne saurait évaluer son incapacité permanente partielle à 15 % ; que, par suite, le tribunal administratif n'a pas procédé à une évaluation insuffisante en lui accordant à ce titre 10 000 euros ;
- il ne justifie pas d'un préjudice d'agrément ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 17 août 2009, présenté pour M. A ; il maintient l'ensemble de ses conclusions ; il fait valoir que :
- l'avis d'imposition 2002 était bien de 53 111 € ; les avis d'imposition des deux années précédentes prouvent la régularité et la progression de ses revenus annuels ;
- le certificat établi par de la direction départementale des impôts atteste du montant du bénéfice de son activité professionnelle pour 2003, soit 228 € ;
- en raison de son statut de travailleur indépendant il n'a perçu aucune indemnité journalière ; son préjudice de carrière doit être évalué à 62 790 € ;
Vu le mémoire complémentaire en défense, enregistré le 25 septembre 2009, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Reims, qui soutient en outre que :
- M. A ne saurait faire valoir que ses revenus, antérieurement à l'intervention chirurgicale, s'élevaient à 53 211 €, alors que son avis d'imposition pour 2001 fixe ses revenus à 40 231 € ;
- il ne saurait davantage soutenir ne plus avoir perçu de revenus après l'intervention chirurgicale réalisée en 2002, alors que son avis d'imposition pour 2004 fixe son revenu fiscal de référence à 53 211 € ;
- le requérant a certainement une mutuelle santé qui lui a versé des indemnités journalières pendant son arrêt de travail prolongé ;
Vu l'ordonnance par laquelle le président de la 3ème chambre de la Cour a fixé la date de clôture de l'instruction au 9 octobre 2009 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 novembre 2009 :
- le rapport de M. Brumeaux, président,
- les conclusions de M Collier, rapporteur public,
- et les observations de Me Gorin, pour la SCP Ledoux et associés, avocat de M. A ;
Considérant que M. A a été admis au centre hospitalier universitaire de Reims pour y subir le 3 décembre 2002 une intervention chirurgicale pour traiter, par ostéotomie, un hallux valgus du pied droit et qu'au cours de cette intervention, une résection du névrome de Morton a également été pratiquée ; qu'après cette opération, M. A a souffert de douleurs très vives au pied droit, vraisemblablement occasionnées par le sectionnement du nerf plantaire interdigital ; que s'il est constant que cette intervention a été conduite dans les règles de l'art et qu'aucune faute n'a été relevée dans le fonctionnement et l'organisation du service hospitalier, il n'est pas contesté en appel que ce patient a été insuffisamment informé de ce second geste chirurgical, notamment de ses éventuelles conséquences et des risques encourus ; que ce défaut d'information constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Reims ; que la fraction de la perte de chance pour M. A de se soustraire au risque qui s'est réalisé, fixée à 80 % par les premiers juges, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention et, d'autre part, les risques qui étaient encourus en cas de renonciation à ce traitement, n'est pas davantage contestée par le centre hospitalier ; qu'en raison de la faute ainsi commise par le centre hospitalier, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, par jugement du 7 mars 2008, a condamné le centre hospitalier universitaire de Reims à verser une indemnité de 12 800 € à M. A ; que ce dernier relève appel dudit jugement en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses conclusions indemnitaires ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
S'agissant des pertes temporaires de revenus :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la période de déficit temporaire total a duré du 3 décembre 2002 au 23 septembre 2003 ; que, toutefois, M. A n'est en droit d'obtenir l'indemnisation des ses pertes de revenus qu'à concurrence de la seule fraction de cette période liée à l'intervention relative au névrome de Morton, qui peut être estimée à 7 mois ; que les revenus mensuels de M. A, qui exerçait la profession de paysagiste élagueur, peuvent être estimés, compte tenu des bénéfices industriels et commerciaux déclarés en 2001 et 2002, à 3 893 euros par mois ; que, par suite, la perte de revenus subie durant la période de déficit temporaire total doit être fixée à 27 251 euros ;
S'agissant de l'incidence professionnelle et des pertes définitives de revenus :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les séquelles dont il reste atteint rendent impossible l'exercice de sa profession de paysagiste élagueur par M. A, qui a été placé en position d'invalidité le 1er janvier 2004 et a cédé son entreprise en février 2004, à l'âge de 53 ans ; que s'il n'est pas inapte à l'exercice de toute activité professionnelle, en raison du taux du déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 10 %, sa reconversion s'avère toutefois très difficile, compte tenu de son âge et de sa spécialisation ; que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier universitaire de Reims, M. A n'a perçu aucun revenu en 2004 ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des pertes de revenus de l'intéressé et de l'incidence de celles-ci sur le montant de sa pension de retraite en évaluant ces chefs de préjudice à 150 000 € ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel de M. A :
Considérant que si M. A conteste le taux du déficit fonctionnel permanent fixé à
10 % par les experts, à la suite de la consolidation de son état de santé intervenue le 23 septembre 2003 au titre des troubles dans les conditions d'existence, il n'apporte aucun élément de nature à justifier une majoration de ce taux à 15 % ; que les premiers juges n'ont pas ainsi procédé à une insuffisante estimation du préjudice subi à ce titre en l'évaluant à 10 000 € ; qu'en revanche, le requérant est fondé à demander la somme globale de 4 000 € accordée par le tribunal pour le pretium doloris, évalué à 3/7, et le préjudice esthétique, fixé à 2/7, soit portée à 6 000 € ; le tribunal administratif a par ailleurs procédé à une juste appréciation du préjudice d'agrément et du préjudice moral en allouant à ce titre une somme globale de 2 000 € ;
Considérant qu'il résulte de tout de qui précède que le préjudice global de M. A doit être porté à la somme de 195 251 € ; qu'après application de la fraction susmentionnée de 80 %, l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims doit être fixée à 156 200 € ; qu'après déduction de la provision versée de 12.500 euros, M. A est fondé à demander la condamnation du centre hospitalier universitaire à lui verser une somme de 143 700 € et la réformation du jugement attaqué en ce sens ;
Sur les conclusions de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) :
Considérant qu'aux termes de l'article L.1142-1 II du code de la santé publique : Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'incapacité permanente supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ;
Considérant que, comme il vient d'être dit, une faute a été retenue à l'encontre du centre hospitalier universitaire de Reims, qui engage sa responsabilité et est exclusive de toute prise en charge par la solidarité nationale pour la réparation des mêmes préjudices ; que, par suite, l'ONIAM, dont la responsabilité n'est d'ailleurs pas recherchée par le requérant, est fondé à solliciter sa mise hors de cause ;
Sur les conclusions de M. A tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 2 000 € à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'indemnité de 300 € que le centre hospitalier universitaire de Reims a été condamné à verser à M. A par le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 7 mai 2008 est portée à 143 700 €.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est mis hors de cause.
Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Reims versera une somme de 2 000 € à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Claude A, au directeur du centre hospitalier universitaire de Reims, à la caisse de mutualité sociale agricole d'Ile de France et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
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