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08/01/2009 | FRANCE | N°07NC00597

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 08 janvier 2009, 07NC00597


Vu la requête, enregistrée le 14 mai 2007, présentée pour M. Mehmet X, demeurant ..., Mme Résul X, demeurant ..., et M.Muhammed Nuri X, demeurant ..., par Me Behr ; les consorts X demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0502327 du 27 février 2007 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser du préjudice moral que leur a causé le décès de M. Abdullah X, qui s'est suicidé alors qu'il était incarcéré au centre de détention de Saint-Mihiel ;

2°) de condamner l'Etat à le

ur payer à chacun une somme de 100 000 € à titre de réparation ;

3°) de mettre à ...

Vu la requête, enregistrée le 14 mai 2007, présentée pour M. Mehmet X, demeurant ..., Mme Résul X, demeurant ..., et M.Muhammed Nuri X, demeurant ..., par Me Behr ; les consorts X demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0502327 du 27 février 2007 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser du préjudice moral que leur a causé le décès de M. Abdullah X, qui s'est suicidé alors qu'il était incarcéré au centre de détention de Saint-Mihiel ;

2°) de condamner l'Etat à leur payer à chacun une somme de 100 000 € à titre de réparation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 € au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- ils peuvent rechercher la responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement défectueux de ses services pénitentiaires, dès lors que des fautes ont été commises par l'administration pénitentiaire ; que la circonstance qu'ils aient invoqué à tort les dispositions de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire est sans incidence sur la réalité des fautes commises par l'administration pénitentiaire ;

- le défaut de surveillance de M. X est avéré ; son état suicidaire et psychologiquement fragile était connu ; il avait fait l'objet de plusieurs tentatives de suicide et d'hospitalisations d'office, la dernière s'étant achevée le 17 août 2000 ; il ne prenait pas son traitement ; le juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a constaté son comportement asocial ; cet état était connu de l'administration pénitentiaire ; dans ces conditions, M. X n'aurait pas dû être laissé seul dans sa cellule ; le fait d'avoir laissé le câble de télévision à l'intérieur de la cellule constitue un manquement aux dispositions de l'article D. 273 du code de procédure pénale ; l'intéressé avait déjà utilisé ce mode opératoire auparavant ;

- le préjudice moral est considérable ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2008, présenté par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- à titre principal, la requête d'appel doit être rejetée comme étant irrecevable, les appelants modifiant la cause juridique de leur action en responsabilité ; en première instance, ils ne s'étaient fondés que sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire ;

- à titre subsidiaire, l'administration pénitentiaire n'a pas commis de faute ; d'une part, elle n'a pas manqué à son devoir de surveillance de M. X et a pris en compte son comportement ; le personnel médical a décidé à plusieurs reprises l'hospitalisation d'office de l'intéressé ; il était suivi par un psychiatre et un psychologue ; quatre rondes étaient organisées la nuit ; le 28 août 2000, il a été surveillé à 7 h 00 et 8 h 25 ; aucun risque suicidaire imminent n'était patent ; d'autre part, eu égard à son état de santé, en amélioration, il n'a pas été commis de faute en laissant un téléviseur à sa disposition; les dispositions de l'article D. 273 du code de procédure pénale n'ont pas été méconnues ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'organisation judiciaire;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 décembre 2008 :

- le rapport de M.Tréand, premier conseiller,

- et les conclusions de M.Collier, commissaire du gouvernement ;

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

Considérant que, suite au suicide par pendaison de M. Abdullah X, détenu au centre de détention de Saint-Mihiel, le 28 août 2000, ses proches ont recherché la responsabilité de l'Etat à raison des fautes de surveillance imputables au service public pénitentiaire ; que nonobstant la circonstance qu'ils aient à tort mentionné, en conclusion de leur requête introductive d'instance, les dispositions de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, reprises sous l'article L. 141-1 du même code, dépourvues de tout rapport avec la responsabilité de l'administration pénitentiaire, les consorts X sont recevables à demander devant la Cour l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat du fait de la succession de négligences qu'ont commises les services pénitentiaires, cette action étant fondée sur la même cause juridique que celle invoquée en première instance ; que, par suite, la fin de non-recevoir soulevée par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, doit être écartée ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X souffrait d'un état psychologique gravement dépressif, qui l'avait conduit à tenter de se suicider à plusieurs reprises ; que, le 26 août 2000, alors qu'il était incarcéré à la maison d'arrêt de Nancy, il s'était pendu à l'aide d'un pull accroché à la grille de sa cellule ; que, le 7 août 2000, l'intéressé avait fait une nouvelle tentative de pendaison au centre de détention de Saint-Mihiel avec le fil du poste de télévision de la cellule qu'il partageait avec un codétenu et n'avait eu la vie sauve que grâce à l'intervention de ce dernier ; que, suite à sa sortie du centre hospitalier spécialisé de Fains-Veel où il avait été hospitalisé d'office jusqu'au 17 août 2000, ses codétenus avaient remarqué son isolement progressif et son état apathique ; que, le 28 août 2000 au matin, il se pendait à nouveau dans sa cellule à la potence soutenant le téléviseur à l'aide du fil de raccordement dudit appareil ;

Considérant que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le suicide de M. X doit être regardé comme la conséquence directe d'une succession de fautes imputables au service pénitentiaire qui, d'une part, bien que connaissant les antécédents suicidaires de l'intéressé, l'a laissé seul dans une cellule et non sous la surveillance permanente d'un codétenu et, d'autre part, a laissé à sa disposition le matériel lui permettant de passer à l'acte selon le même mode opératoire que celui utilisé trois semaines auparavant ; que, par suite, même si la surveillance, notamment médicale, de M. X avait été renforcée, ces négligences fautives sont de nature à engager la responsabilité du service public pénitentiaire ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par chacun des appelants suite au décès de M. X, respectivement leur fils et frère, en l'évaluant à la somme de 5 000 € ; que l'Etat doit être ainsi condamné à leur verser cette somme ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts X sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande indemnitaire ;

Sur l'application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation » ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 000 € que demandent les consorts X au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nancy en date du 27 février 2007 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer respectivement à M. Mehmet X, à Mme Résul X et M. Muhammed Nuri X une somme de 5 000 € en réparation de leur préjudice moral.

Article 3 : L'Etat versera aux consorts X la somme globale de 1 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts X est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à. M. Mehmet X, à Mme Résul X, à M. Muhammed Nuri X et au Garde des Sceaux, ministre de la justice.

2

N°07NC00597


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 07NC00597
Date de la décision : 08/01/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. VINCENT
Rapporteur ?: M. Olivier TREAND
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : BARBOSA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2009-01-08;07nc00597 ?
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