Vu l'arrêt en date du 13 octobre 2006 par lequel le Conseil d'Etat renvoie à la Cour de céans le jugement de la requête d'appel formée contre le jugement n° 0200396 en date du 10 mai 2005 du Tribunal administratif de Nancy ;
Vu la requête, enregistrée le 1er décembre 2006, complétée par des mémoires enregistrés les 1er décembre 2006, 10 août et 3 septembre 2007, présentée pour Melle Auriane X, ainsi que pour M. et Mme Denis X, demeurant ..., par la SCP d'avocats Parmentier-Didier ; Mlle X, M. et Mme X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0200396 en date du 10 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté, d'une part, leurs conclusions tendant à la condamnation du Centre hospitalier universitaire de Nancy à réparer les préjudices subis par Auriane et causés par les soins qui lui ont été prodigués suite à l'entorse qu'elle a contractée le 9 octobre 1999 et, d'autre part, ses conclusions tendant à ce que le tribunal prescrive une expertise complémentaire ;
2°) de déclarer le Centre hospitalier universitaire de Nancy responsable des préjudices subis par Mlle X ;
3°) de condamner le Centre hospitalier universitaire de Nancy à payer à Mlle X une somme de 349 000 € à titre de dommages et intérêts ;
4°) de condamner le Centre hospitalier universitaire de Nancy à payer à M. et Mme X respectivement une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;
5°) subsidiairement, d'ordonner un complément d'expertise pour déterminer les préjudices subis résultant des fautes imputables au Centre hospitalier universitaire de Nancy ;
6°) de mettre à la charge du Centre hospitalier universitaire de Nancy une somme de 4 000 € au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- le jugement est entaché d'omissions à statuer ; d'une part, le tribunal ne s'est pas prononcé sur le défaut d'informations délivrées aux intéressés ; d'autre part, les premiers juges n'ont pas répondu sur la nécessité de prescrire une expertise complémentaire en raison des insuffisances de l'expertise et notamment de la partialité de l'expert, le Pr Y ;
- le jugement doit être annulé car il s'est appuyé sur un rapport d'expertise irrégulier ;
- le tribunal aurait dû désigner un autre expert en application des dispositions de l'article R. 621-4 du code de justice administrative ; l'expert n'a pas répondu à toutes les questions posées ;
- l'hôpital a commis plusieurs fautes ; d'une part, la famille n'a pas été informée à compter du 30 novembre 1999 que l'algoneurodystrophie était susceptible de générer un risque supplémentaire rendant la guérison plus difficile ; d'autre part, le diagnostic posé hâtivement et le traitement choisi étaient inadaptés eu égard à l'état médical d'Auriane ; les rapports du Dr Z et du collège d'experts désignés par le juge pénal le démontrent ; enfin, eu égard à son état de santé actuel, la faute doit être présumée ;
- le tribunal a commis une erreur en considérant qu'elle avait abandonné, à compter de décembre 1999, le traitement prescrit par les médecins de l'hôpital ; en tout état de cause, les fautes antérieures rendaient le dommage final inéluctable ;
- le préjudice subi par Mlle X et ses parents est considérable ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les mémoires en défense, enregistrés les 19 juillet et 17 août 2007, présentés pour le Centre hospitalier universitaire de Nancy par Me Clément, avocat, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 € soit mise à la charge de Mlle X au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- l'information délivrée aux parents d'Auriane a été suffisante ;
- suite à la découverte de l'algoneurodystrophie, les parents d'Auriane n'ont pas suivi les traitements préconisés et se sont adonnés au «nomadisme» médical multipliant les avis thérapeutiques ;
- l'expert désigné par le tribunal, le Dr Y, indique qu'aucune faute médicale n'a été commise dans le diagnostic ou le suivi des soins ;
- les prétentions indemnitaires de l'appelante sont tardives ; elles résultent d'un rapport d'expertise établi, dans le cadre d'une procédure pénale, de manière non contradictoire ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 septembre 2007, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Nancy par son directeur, qui conclut à ce que la Cour condamne le Centre hospitalier universitaire de Nancy à lui rembourser une somme de 4 810,50 € au titre des débours déjà exposés et une somme de 195 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu l'ordonnance du président de la troisième chambre de la Cour en date du 17 août 2007 fixant la clôture de l'instruction au 10 octobre 2007 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 avril 2008 :
- le rapport de M. Tréand, premier conseiller,
- les observations de Me Le Roy de la Chohinière, substituant la SCP d'avocats Parmentier-Didier, avocat de M. et Mme X et de Mlle X, et de Me Aubrege, pour la SCP Lagrange, Philippot, Clément, Zillig etVautrin, avocat du Centre hospitalier universitaire de Nancy ;
- et les conclusions de M. Collier, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens relatifs à la régularité du jugement :
Considérant que, dans sa requête introductive d'instance enregistrée devant le Tribunal administratif de Nancy le 28 mars 2002, M. et Mme X, qui recherchaient la responsabilité pour faute du Centre hospitalier universitaire de Nancy, ont soutenu qu'ils n'avaient pas été suffisamment informés des risques potentiels d'invalidité que comportait l'acte médical décidé consécutivement à la découverte fin novembre 1999 de l'algoneurodystrophie dont souffrait leur fille Auriane, suite à l'entorse dont elle avait été victime le 9 octobre précédent ; que les premiers juges n'ont pas répondu à ce moyen ; qu'il y a lieu, pour ce motif, d'annuler le jugement qui est entaché d'omission à statuer ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions des requérants présentées devant le tribunal administratif ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'hôpital devant le tribunal administratif et tirée de l'absence de liaison du contentieux :
Sur la régularité de l'expertise :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-4 du code de justice administrative : «Dans le cas où un expert n'accepte pas la mission qui lui a été confiée, il en est désigné un autre à sa place. L'expert qui, après avoir accepté sa mission, ne la remplit pas et celui qui ne dépose pas son rapport dans le délai fixé par la décision peuvent, après avoir été entendus par le tribunal, être condamnés à tous les frais frustratoires et à des dommages-intérêts. L'expert est en outre remplacé, s'il y a lieu» ; que, d'une part, l'expert désigné en référé par ordonnance du président du Tribunal administratif de Nancy du 8 février 2001 a correctement rempli la mission qui lui avait été confiée, répondant aux diverses questions qui lui étaient posées ; qu'ayant considéré que le Centre hospitalier universitaire de Nancy n'avait commis aucune faute et qu'au surplus l'état de santé de la victime n'était pas consolidé, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir déterminé les préjudices subis par Mlle Auriane X ; que, d'autre part, si les appelants considèrent à hauteur d'appel que l'expert désigné aurait dû être remplacé en cours de première instance en application des dispositions précitées de l'article R. 621-4 du code de justice administrative, M. et Mme X n'ont jamais exprimé une telle demande devant le tribunal, se bornant, certes après avoir critiqué les conclusions expertales sur la responsabilité de l'hôpital, à solliciter une expertise complémentaire afin de déterminer l'étendue du préjudice de leur fille ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant le tribunal doit être écarté ;
Sur la responsabilité :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné en référé, le Pr Philippe Y, chef du service d'orthopédie traumatologie du Centre hospitalier universitaire de Reims, que suite à la chute qu'elle a subie le 9 octobre 1999, Mlle Auriane X a contracté une entorse grave de la cheville gauche affectant l'appareil ligamentaire latéral externe avec douleur au niveau de la malléole tibiale ; que, d'une part, à son admission aux urgences du Centre hospitalier universitaire de Nancy, a été mis en place un pansement compressif pour huit jours avec mise en décharge, la marche s'effectuant au moyen de béquilles ; que le 18 octobre 1999, en raison de la persistance de l'hématome, un nouveau pansement compressif a été maintenu, associé à une attelle plâtrée postérieure pour une durée de quinze jours ; que le 2 novembre 1999, les douleurs ne disparaissant pas, Auriane a été dotée d'une botte plâtrée sans appui pour une durée de trois semaines accompagnée d'un traitement anti-coagulant ; que suite à l'ablation de la botte plâtrée, le 24 novembre, ont été réalisées le lendemain des radiographies qui ont révélé «une trame osseuse éclaircie», symptôme d'une déminéralisation sévère des os, qui sera confirmée lors d'une scintigraphie osseuse le 30 novembre 1999 démontrant le développement d'une algoneurodystrophie post-traumatique ; qu'un programme de rééducation et un traitement à base de calcium, de vitamine D et d'antalgique furent alors immédiatement mis en place dès le 2 décembre ; qu'à cette date, contrairement à ce que soutiennent les appelants, il n'est pas démontré que l'administration de Calcitonine s'imposait ; qu'ainsi, comme le souligne clairement l'expert, tant le diagnostic posé à la date de la découverte de l'algoneurodystrophie dont était atteinte Auriane suite à son accident que les traitements qui ont été administrés à la victime jusqu'à la fin du mois de novembre 1999 sont conformes aux règles de l'art et ne constituent pas des fautes médicales ; que, d'autre part, l'évolution ultérieure de l'état de santé de Mlle X ne saurait être directement imputée au Centre hospitalier universitaire de Nancy dès lors, tout d'abord, que la victime n'a pas suivi la rééducation que lui avait prescrite le Dr Herbeuval le 30 novembre 1999 ; qu'ensuite, à la fin du premier trimestre 2000, elle a refusé de fréquenter plus de quatre jours le centre de réadaptation fonctionnelle pour enfants de Flavigny alors même que la flexion dorsale de son pied gauche était encore nulle le 1er mars 2000 et qu'enfin, elle s'en est remise, dès le début de l'année 2000, aux avis thérapeutiques d'autres praticiens extérieurs à l'hôpital intimé notamment à Vandoeuvre-lès-Nancy, à Metz ou à Garches ; que ni le rapport commandé par les requérants, émanant d'un cabinet d'assistance et d'expertises médicales et établi de manière non contradictoire par le Dr Z, non spécialisé dans le domaine orthopédique, qui se borne dans ses conclusions à s'interroger sur l'opportunité de certaines étapes du traitement de l'entorse contractée par Mlle X, ni le rapport qui aurait été établi dans le cadre d'une procédure pénale, dont l'issue n'est d'ailleurs pas précisée et qui n'est même pas produit au dossier, ne sont de nature à contredire cette position ;
Considérant, en deuxième lieu, que la réduction d'une entorse de la cheville, puis la conduite du traitement médical de l'entorse, ne constituent pas des actes de soins courants ; que la responsabilité de l'établissement public hospitalier ne saurait par suite être engagée pour de tels actes sur le terrain de la présomption de faute ; que les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que l'état dans lequel se trouve aujourd'hui leur fille Auriane révèlerait, eu égard à sa gravité, par lui-même un défaut d'organisation et de fonctionnement du service public hospitalier ;
Considérant, en troisième lieu, qu'à supposer même que le Centre hospitalier universitaire de Nancy n'ait pas fautivement informé les parents de la victime des risques potentiels d'aggravation de l'état de santé de cette dernière à compter de la découverte de l'algoneurodystrophie et du traitement médical mis en place à cette occasion, cette faute n'a pas fait perdre de chance à l'intéressée de s'exposer au risque qui s'est réalisé, dès lors que n'existait aucun acte médical alternatif à celui proposé par l'hôpital intimé permettant d'empêcher l'évolution qui s'est produite ; que, d'ailleurs, les consultations médicales multiples entreprises par les parents d'Auriane dès le mois de décembre 1999 n'ont pas permis d'entraver l'évolution de l'algodystrophie que seuls les soins prodigués par le Centre hospitalier universitaire de Nancy permettaient d'endiguer mais que les intéressés ont décidé de ne pas suivre ; que si les requérants prétendent, dans leur requête sommaire, qu'une intervention précoce pouvait mettre fin à la maladie ou, dans leurs écritures ultérieures, que l'administration de Calciparine aurait assuré un rétablissement d'Auriane, ils ne le démontrent pas ; qu'ainsi, en l'absence d'alternative thérapeutique et, par ailleurs, en raison du manque de confiance témoigné aux praticiens du Centre hospitalier universitaire de Nancy, le défaut d'information d'Auriane et de ses parents n'a pas fait perdre une chance à la victime de ne pas voir se développer l'invalidité consécutive à l'algoneurodystrophie dont elle a été victime et de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé ; que, par suite, il ne saurait engager la responsabilité de l'hôpital intimé ;
Considérant que, sans qu'il soit besoin de prescrire l'expertise complémentaire sollicitée, M. et Mme X ainsi que leur fille ne sont pas fondés à demander la condamnation du Centre hospitalier universitaire de Nancy à réparer les préjudices dont a été victime Auriane suite à l'entorse qu'elle a contractée le 9 octobre 1999 ; que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Nancy doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : «Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation.» ;
Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Centre hospitalier universitaire de Nancy, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent les appelants et la caisse primaire d'assurance maladie de Nancy au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Considérant, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du Centre hospitalier universitaire de Nancy tendant à la condamnation des appelants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement susvisé du 10 mai 2005 du Tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : Les conclusions de Mlle X et de M. et Mme X présentées devant le tribunal administratif sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Nancy devant le tribunal administratif sont rejetées.
Article 4 : L'ensemble des conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mlle Auriane X, à M. et Mme Denis X, au Centre hospitalier universitaire de Nancy, à la caisse primaire d'assurance maladie de Longwy et à la caisse primaire d'assurance maladie de Nancy.
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N° 06NC01389