Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour les 18 et 19 septembre 2006, complétée par le mémoire en date du 29 janvier 2007, présentée pour l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG, dont le siège est fixé 100 avenue de Suffren à Paris (75015), par Me Cohen-Elbaz, avocat ;
L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 27 juin 2007 par lequel le Tribunal administratif de Besançon l'a condamné à verser à M. Jean-Philippe X une somme de 33 520,62 € en réparation du préjudice subi par suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
2°) de dire et juger que sa responsabilité n'est pas établie ;
3°) d'ordonner une expertise médicale à l'effet de déterminer si les transfusions pratiquées en 1986 sont la cause certaine de la contamination de M. X ;
L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG (EFS) soutient que :
- le tribunal a retenu sa responsabilité en l'absence d'expertise contradictoire et, alors qu'aucune enquête transfusionnelle n'a été diligentée, le risque nosocomial a été négligé ;
- la matérialité même des transfusions n'est pas établie ;
- le tribunal n'a pas répondu à l'argumentation de l'EFS faisant valoir que le dossier médical ne lui avait pas été communiqué et que les numéros des lots ne lui avaient pas été transmis ;
- l'absence des éléments rapportés a privé l'EFS de la possibilité de prouver l'innocuité des produits sanguins transfusés ;
- aucun élément récent n'est communiqué par M. X quant à l'évolution récente de l'hépatite dont il souffre ;
- seule une expertise peut permettre de réunir les éléments d'information nécessaires ;
- les conclusions relatives à une indemnisation complémentaire sont irrecevables ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2006, présenté par la SCP d'avocats Sillard et associés pour M. X, tendant au rejet de la requête et à la condamnation de l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG à lui verser, au titre de son préjudice soumis à recours déduction faite de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne, une somme de 6 000 €, une somme de 33 333,32 € au titre de son préjudice moral, ainsi qu'une somme de 2 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. X soutient que :
- le rapport d'expertise judiciaire versé aux débats constitue un élément de preuve dès lors qu'il a été régulièrement communiqué à l'EFS dans le cadre du débat contradictoire ;
- le rapport conclut à l'existence d'éléments de présomption graves, précis et concordants ;
- la consolidation n'exclut pas des risques d'aggravation que laisse craindre le résultat des analyses effectuées le 30 septembre 2005 ;
- il convient d'infirmer le jugement en tant qu'il a fixé le préjudice soumis à recours dès lors que la créance de la caisse n'avait pas été préalablement ajoutée à l'assiette du recours ;
- eu égard à la perte de rémunération afférent aux gardes et aux astreintes, le montant sollicité à titre de provision n'est pas exagéré ;
Vu le mémoire, enregistré le 14 février 2007, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne par la SCP Bonet-Leinster-Wisniewski, avocats, tendant à la condamnation de l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG à lui verser le montant des prestations servies au titre de l'hépatite C soit 14 217,12 € ainsi qu'une somme de 800 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La caisse soutient que c'est à tort que le tribunal n'a pas regardé les frais futurs comme certains, dès lors qu'un suivi de l'intéressé doit être assuré tous les quatre mois ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 septembre 2007 :
; le rapport de M. Desramé, président de chambre,
- les observations de Me Cohen-Elbaz, avocat de l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG,
; et les conclusions de M. Collier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. , alors âgé de quinze ans, a été victime le 3 novembre 1986 d'un accident de cyclomoteur et grièvement blessé à la suite d'une collision avec un ensemble agricole ; qu'il a été pris en charge par le centre hospitalier d'Auxerre puis le CHU de Dijon et, compte tenu de la gravité de son état, a, dans les mois qui ont suivi son accident, séjourné à Garches avant d'être de nouveau hospitalisé, en novembre 1986, à l'hôpital de La Pitié à Paris ; que les examens pratiqués au cours de l'année 1999 ont permis de diagnostiquer qu'il était porteur du virus de l'hépatite C ; que l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG fait appel du jugement en date du 27 juin 2007 par lequel le Tribunal administratif de Besançon l'a condamné à verser à M. X une somme de 33 520,62 € en réparation du préjudice subi par suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 susvisée relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que, si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par les parties, forme sa conviction, que le doute profite au demandeur ;
Considérant que pour prononcer la condamnation de l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG , le Tribunal administratif de Besançon s'est uniquement fondé sur le rapport de l'expertise médicale ordonnée en 2003 par la Cour d'appel de Paris pour les besoins de l'instruction de l'action civile engagée par M. X à l'encontre du conducteur du véhicule et de sa compagnie d'assurances ; que si, dans ce rapport, les experts ont évoqué l'importance des transfusions dont a bénéficié M. X et ont estimé qu'il existe des éléments de présomption graves, précis et concordants évoquant un lien de causalité entre les transfusions et la contamination par le virus de l'hépatite C, ils n'ont toutefois pas précisé les éléments qui leur ont été communiqués et ont indiqué qu'il n'a pas été procédé à une enquête transfusionnelle ; que leurs conclusions sont par ailleurs dépourvues de toute précision sur la date et l'ampleur des transfusions et n'analysent pas le risque nosocomial ; que de telles conclusions n'apportent pas à l'hypothèse de la contamination par le virus de l'hépatite C à l'occasion des transfusions un degré suffisamment élevé de vraisemblance alors que l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG soutient de son côté sans être contredit que la victime a subi à la suite de son accident des examens médico-chirurgicaux invasifs et des actes chirurgicaux lourds, qui pourraient également expliquer la contamination ;
Considérant que la Cour ne trouve pas, ainsi qu'il a été dit, au dossier les éléments suffisants pour lui permettre de se prononcer en pleine connaissance de cause sur l'origine de la contamination dont se plaint M. X ; qu'il y a dès lors lieu d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise aux fins précisées ci-après ;
D E C I D E :
Article 1 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG et de M. X, procédé à une expertise.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-1 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 3 : L'expert aura pour mission, après avoir examiné M. X, pris connaissance des rapports déposés par les experts commis par la Cour d'appel de Paris, s'être fait communiquer tous documents relatifs aux interventions dont il a fait l'objet avant 1999, date du diagnostic de l'hépatite C :
1°/ de décrire les conditions dans lesquelles M. X a été soigné dans les différents établissements, préciser le suivi des soins reçus et rechercher l'origine du sang transfusé ainsi que les conditions, les raisons et les dates des transfusions sanguines pratiquées ;
2°/ de réunir tous les éléments devant permettre de déterminer si M. X a été contaminé par le virus de l'hépatite C, fixer la date probable de la contamination ainsi que l'origine ;
3°/ de décrire l'état de santé actuel de M. X et évaluer les divers préjudices qui en résultent pour lui au regard de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
4°/ de donner toutes informations utiles à l'appréciation de la situation de M. X ;
L'expert se fera communiquer tous documents sur l'état de santé de M. X et notamment tous les documents relatifs aux examens, soins et interventions pratiqués. Il pourra entendre toute personne des services ayant donné des soins.
Article 4 : Tous droits et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG, à M. Jean-Philippe X et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne.
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N° 06NC01303