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09/11/2006 | FRANCE | N°04NC01123

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3eme chambre - formation a 3, 09 novembre 2006, 04NC01123


Vu le recours, enregistré au greffe les 17 et 21 décembre 2004, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ;

Le MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour :

1) d'annuler le jugement n° 0102222-4 en date du 19 octobre 2004 en tant que le Tribunal administratif de Strasbourg a décidé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande de Mme X tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 13 mars 2001 lui infligeant une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de huit jours et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 12 195,92

€ en réparation du préjudice que lui a causé la sanction ;

2) de rejeter...

Vu le recours, enregistré au greffe les 17 et 21 décembre 2004, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ;

Le MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour :

1) d'annuler le jugement n° 0102222-4 en date du 19 octobre 2004 en tant que le Tribunal administratif de Strasbourg a décidé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande de Mme X tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 13 mars 2001 lui infligeant une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de huit jours et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 12 195,92 € en réparation du préjudice que lui a causé la sanction ;

2) de rejeter la demande de Mme X ;

Le MINISTRE DE LA JUSTICE soutient que :

- il a intérêt pour agir eu égard à la nécessité de garantir le strict respect, par les personnels pénitentiaires, de la déontologie de leur profession ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la loi d'amnistie ne pouvait trouver à s'appliquer, les faits sanctionnés constituant un manquement à l'honneur de sa profession ;

- l'arrêté querellé est correctement motivé, en fait et en droit, au regard des exigences de la loi du 11 juillet 1979 ;

- les correspondances échangées deux ans après le suivi professionnel du détenu par l'agent sanctionné avaient un caractère privé et étaient donc soumises aux mesures de contrôle de droit commun ;

- cette forme d'ingérence dans la vie privée est justifiée par les exigences de l'ordre public ;

- la référence à l'article D. 221 du code de procédure pénale est justifiée dès lors que les faits relevés à l'encontre de Mme X s'inscrivent dans le prolongement des relations tissées dans les années 1997-1998 dans un cadre professionnel ;

- en qualité de conseiller d'insertion et de probation, Mme X ne pouvait ignorer l'interdiction qui lui était faite d'entretenir des relations extra-professionnelles avec un détenu ;

- à supposer même que les faits en cause relèvent de la sphère privée, ils pouvaient donner lieu à une procédure disciplinaire, alors même qu'ils n'auraient pas donné lieu à des poursuites pénales ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2006, présenté pour Mme X par Me Mengus, avocat ; Mme X conclut, en tout état de cause, à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 12 196 € à titre de dommages-intérêts et une somme de 3 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en outre, dans l'hypothèse ou la loi d'amnistie ne serait pas applicable, à l'annulation de l'arrêté du 13 mars 2001 ;

Mme X soutient que :

- il est constant que l'avis émis le 1er mars 2001 par la commission administrative paritaire statuant en matière disciplinaire ne lui a pas été communiqué ;

- l'arrêté prononçant la sanction n'est pas motivé au regard de l'illégalité des poursuites disciplinaires et de la violation de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ;

- la sanction a été prononcée sur la base de mesures de contrôle de la correspondance des détenus ne répondant pas aux exigences légales, ce qui vicie la sanction prononcée ;

- la sanction disciplinaire ne pouvait être fondée sur les dispositions de l'article D. 221 du code de procédure pénale inapplicable à l'espèce ;

- le juge ne peut procéder à la substitution de motifs à laquelle invite l'administration, dès lors qu'elle tend à substituer de nouveaux griefs ;

- au cas où l'article D. 219-2 serait applicable, il appartiendrait à l'administration d'expliquer en quoi l'échange de correspondance était de nature à porter atteinte à la sécurité et au bon ordre des établissements ;

- la faute invoquée est sans lien avec le service ;

- la sanction prononcée est manifestement injustifiée et disproportionnée ;

- l'arrêté contesté méconnaît l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ;

- en tout état de cause, nonobstant l'application ou non de la loi d'amnistie, l'arrêté du 13 mars 2001 lui a causé un préjudice moral évident ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;

Vu le décret n° 93-1114 du 21 septembre 1993 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 octobre 2006 :

; le rapport de Mme Monchambert, président ;

- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme X, conseiller d'insertion et de probation en milieu pénitentiaire, a saisi le Tribunal administratif de Strasbourg de conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 13 mars 2001 par lequel le ministre de la justice lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de huit jours avec sursis et de conclusions indemnitaires tendant à la condamnation de l'Etat en réparation du préjudice subi ; que, par le jugement attaqué du 19 octobre 2004, le Tribunal administratif de Strasbourg a, en se fondant sur les dispositions de la loi d'amnistie du 6 août 2002, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de Mme X dirigée contre l'arrêté du 13 mars 2001 et a rejeté sa demande indemnitaire comme irrecevable ; que le ministre de la justice fait appel de ce jugement en tant que le tribunal a estimé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions d'annulation présentées par Mme X tandis que celle-ci demande la condamnation de l'Etat et, subsidiairement, l'annulation de l'arrêté précité du 13 mars 2001 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 6 août 2002 : « Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles (…). Sauf mesure individuelle accordée par décret du Président de la République, sont exceptés du bénéfice de l'amnistie prévue par le présent article les faits constituant des manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs » ; qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre de la justice a fondé la sanction disciplinaire infligée à Mme X sur le fait qu'elle a entretenu une relation épistolaire avec un détenu, a persisté dans ce comportement après avoir été avertie par sa hiérarchie et a adressé à l'intéressé quatre mandats postaux entre avril et juin 2000 ; que de tels griefs, que Mme X ne conteste pas, constituent un manquement aux obligations déontologiques qui s'imposent aux personnels intervenant en milieu pénitentiaire et qui sont d'ailleurs soumis à un statut spécial au sens de l'ordonnance du 6 août 1958 ; que les faits ainsi retenus sont, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, constitutifs de manquements à l'honneur au sens de l'article 11 précité ; qu'ainsi le ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a estimé que les conclusions présentées par Mme X contre l'arrêté du 13 mars 2001 étaient devenues sans objet et à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions d'annulation présentées par Mme X devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;

Sur la légalité de l'arrêté du 13 mars 2001 :

Considérant, en premier lieu, qu'en l'absence de disposition législative ou réglementaire imposant cette formalité, le défaut de communication de l'avis du conseil de discipline à l'intéressée n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la sanction contestée ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée : « Les personnes physiques (…) ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent./ A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (…) - infligent une sanction (…) » ; qu'il résulte de ces dispositions que si l'autorité qui prononce une sanction disciplinaire a l'obligation de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre du fonctionnaire intéressé, de sorte que ce dernier puisse à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée, connaître les motifs de la sanction qui le frappe, en revanche elle n'est pas tenue, contrairement à ce que soutient Mme X, de répondre aux arguments présentés pour sa défense devant le conseil de discipline ; qu'il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier que l'arrêté du 13 mars 2001 comporte une motivation suffisante au regard des exigences susrappelées ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article D. 416 du code de procédure pénale que « les lettres de tous les détenus, tant à l'arrivée qu'au départ, peuvent être lues aux fins de contrôle. » ; que, par suite, Mme X n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait, par des voies irrégulières, eu connaissance de la correspondance privée qu'elle entretenait avec un détenu ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'il est constant que Mme X, qui appartenait au personnel de l'administration pénitentiaire en sa qualité de conseiller d'insertion et de probation en milieu pénitentiaire affectée au service pénitentiaire d'insertion et de protection du Haut-Rhin depuis 1998, a, en 1999 et 2000, entretenu une correspondance privée avec un détenu qu'elle avait rencontré dans l'établissement pénitentiaire où elle exerçait antérieurement ses fonctions ; qu'il ressort, en outre, des pièces du dossier, qu'alors même qu'elle a été invitée par ses supérieurs hiérarchiques à s'expliquer sur cette relation et avertie de l'incompatibilité de son comportement avec l'exercice de sa profession, elle a persisté dans son attitude et a, par ailleurs, adressé à ce détenu plusieurs mandats postaux ; qu'ainsi, Mme X a manqué aux devoirs de sa fonction et a commis une faute ; que contrairement à ce qu'elle soutient, cette faute ne saurait être regardée comme dépourvue de tout lien avec le service ; que, dans ces conditions, et alors même que l'intéressée avait été jusque là bien notée et donnait entière satisfaction, le MINISTRE DE LA JUSTICE a pu légalement, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, et sans méconnaître les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, lui infliger, par son arrêté du 13 mars 2001, une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de huit jours avec sursis ; que, par suite, la demande de Mme X tendant à l'annulation dudit arrêté ne peut qu'être rejetée ;

Sur les conclusions indemnitaires présentées par Mme X :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de toute illégalité fautive de la part de l'administration, les conclusions susvisées de Mme X ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que Mme X, partie perdante, puisse se voir allouer les sommes qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 19 octobre 2004 est annulé en tant qu'il a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions d'annulation présentées par Mme X contre l'arrêté du 13 mars 2001.

Article 2 : La demande présentée par Mme X devant le Tribunal administratif de Strasbourg et les conclusions de son appel incident sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE et à Mme Arlette X.

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N°04NC01123


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 04NC01123
Date de la décision : 09/11/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DESRAME
Rapporteur ?: Mme Sabine MONCHAMBERT
Rapporteur public ?: M. TREAND
Avocat(s) : MENGUS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2006-11-09;04nc01123 ?
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