Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe les 25 juillet 2003 et 15 octobre 2004, présentés pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (S.N.C.F)., dont le siège est 34 rue du Commandant Mouchotte à Paris (75014), par Me Robinet, avocat ;
La S.N.C.F. demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 9700870 en date du 1er avril 2003 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande d'indemnisation de son préjudice d'exploitation consistant dans les coûts des ralentissements consécutifs aux désordres affectant le pont-rail de la ligne de Châlons-en-Champagne à Reims-Ceres et retenu un partage de responsabilité à hauteur de 70 % pour la S.A. S.N.C.T.P. et de 30 % pour la S.N.C.F. ;
2°) de retenir un partage de responsabilité de 80 % pour la S.A. S.N.C.T.P. et de 20 % pour la S.N.C.F. pour l'origine de ces désordres et de condamner la S.A. S.N.C.T.P. au paiement de la somme de 83 253,22 euros, outre les intérêts moratoires au taux d'une fois et demi l'intérêt légal à compter de la mise en demeure du 3 juin 1996 ;
3°) de condamner la S.A. S.N.C.T.P. à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La S.N.C.F. soutient que :
- comme l'ont retenu les premiers juges, les désordres affectant le pont-rail, dont la réalité est établie, le rendaient impropre à sa destination et justifiaient la mise en oeuvre des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ;
- la responsabilité du changement de matériaux pour le remblaiement derrière les culées du pont revient à la seule SA S.N.C.T.P. et à son sous-traitant Maloiseaux sans que celle du maître de l'ouvrage puisse être mise en cause ;
- le compactage de la craie en matériaux de remblai a été fait en dehors des règles de l'art ;
- il sera fait une plus juste appréciation des responsabilités respectives en fixant celle de la S.A. S.N.C.T.P. à 80 % et celle de la S.N.C.F. à 20 % ;
- l'expert a retenu dans son rapport que paraissait justifiée l'évaluation de son préjudice subi du fait de la perturbation du trafic ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu, enregistré le 4 août 2004 et 7 octobre 2005, les mémoires en défense et aux fins d'appel incident présentés pour la société par actions simplifiées S.N.C.T.P., dont le siège social est 10 rue du Docteur Quignard, ZAE Cap Nord, BP 36 à Dijon Cédex (21059), par la SCP d'avocats Covillard Brocherieux Guerrin-Maingon, laquelle demande à la Cour de débouter la S.N.C.F. de son appel, de réformer le jugement attaqué en déboutant la S.N.C.F. de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La S.A. S.N.C.T.P. soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu à l'argumentaire juridique écartant la mise en cause de la garantie décennale prévue par l'article 1792 du code civil pour des désordres affectant des talus et remblais ;
- la réalité des désordres n'est pas établie ;
- la responsabilité du changement de nature des matériaux utilisés revient à la S.N.C.F. qui a assuré la conception et le suivi des travaux et qui est seule fautive ;
- tant pour ce qui concerne le coût des travaux de reprise que pour ce qui est du surcoût occasionné par les perturbations du trafic, la S.N.C.F. ne justifie pas le bien-fondé de l'évaluation à laquelle elle a procédé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 octobre 2006 :
- le rapport de M. Collier, premier conseiller,
- les observations de Me Robinet, avocat de la S.N.C.F., et de Me Brocherieux, de la SCP Covillard Brocherieux Guerrin-Maingon, avocat de la S.N.C.T.P.,
- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;
Considérant que par lettre de commande en date du 7 mars 1994, la S.N.C.F. a confié à la S.A. S.N.C.T.P. les travaux de réalisation du pont-rail franchissant le «barreau Est» de Reims, voirie routière qui croise son infrastructure ferroviaire ; que ces travaux comprenaient, conformément à la notice descriptive, le remblaiement des fouilles et l'exécution des remblais de soutien de la voie notamment à l'arrière des culées et murs de l'ouvrage ; qu'à la suite de désordres, consistant en un tassement de ces remblais, la S.N.C.F. a recherché la responsabilité de la S.A. S.N.C.T.P. et de son assureur la S.M.A.B.T.P. sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ; que, par le jugement attaqué, la responsabilité de la S.A. S.N.C.T.P. a été retenue dans l'origine des désordres à hauteur de 70 % et celle de la S.N.C.F. à hauteur de 30 %, les prétentions de la S.N.C.F., tendant à ce que soit, également, réparé son préjudice se rapportant aux surcoûts générés par la perturbation du trafic, ayant été rejetées ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le président du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne par ordonnance en date du 6 avril 2000, qu'après la réception des travaux, le 30 septembre 1994, et jusqu'en 1995, de très importants tassements de la voie se sont produits, notamment au droit des zones de remblaiement des culées pour 10 % de la hauteur de ces remblais d'appui de l'ouvrage ; que ces tassements, vu leur ampleur, ne peuvent être qualifiés d'habituels pour une voie nouvelle ; que les risques graves de déstabilisation de la voie de chaque côté du pont-rail, mettant en danger la sécurité des voyageurs, étaient de nature à rendre l'ouvrage, dans son ensemble, contrairement à ce que soutient la S.A. S.N.C.T.P., impropre à sa destination et à engager la responsabilité du constructeur sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1992 et 2270 du code civil ; que l'entrepreneur étant responsable, au titre de la garantie décennale, des vices qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination, alors qu'il ne peut, le cas échéant, s'exonérer de sa responsabilité qu'en établissant la force majeure ou la faute de la victime, la circonstance, alléguée par la S.A. S.N.C.T.P., selon laquelle elle n'aurait commis aucune faute, ne peut qu'être écartée ; que les premiers juges ont, dès lors, en retenant, dans les motifs du jugement attaqué, que la responsabilité décennale des constructeurs était engagée au titre de ces désordres, exactement qualifié le fondement sur lequel la responsabilité de la S.A. S.N.C.T.P. était engagée au titre des désordres litigieux ;
Considérant que si la S.N.C.F. soutient qu'il serait fait une plus juste appréciation de la répartition des responsabilités dans l'origine des désordres en retenant celle de la S.A. S.N.C.T.P. pour 80 % et sa propre responsabilité pour 20 %, elle n'apporte, toutefois, devant le juge d'appel, aucun élément de nature à établir que les premiers juges auraient fait un partage erroné des responsabilités respectives en les fixant à hauteur de 70 % pour la S.A. S.N.C.T.P. et à hauteur de 30 % pour elle même, en sa qualité de maître d'oeuvre ;
Considérant que si la S.A. S.N.C.T.P. soutient, quant à elle, que la responsabilité de la S.N.C.F., en qualité de maître d'oeuvre, est entière dans l'origine des désordres, ou qu'elle doit être estimée à plus de 30 %, pour avoir accepté un changement de la composition des matériaux destinés aux remblaiements, elle n'apporte, toutefois, aucun élément de nature à établir que c'est en dehors de son consentement que ce changement à été effectué ou qu'elle aurait, à tout le moins, attiré l'attention du maître de l'ouvrage sur les risques qu'il comportait et qu'elle ne pouvait ignorer ;
Sur le préjudice :
Considérant que la réalité des frais engagés par la S.N.C.F. pour la remise en état de la voie est établie par les pièces du dossier, la S.A. S.N.C.T.P. ne critiquant, à cet égard, pas sérieusement le chiffrage proposé par l'expert et retenu par les premiers juges ;
Considérant que la S.N.C.F., pour justifier de ses frais relatifs aux ralentissements de ses trains pendant la période de réparation de la voie, se réfère, comme elle l'a fait devant les premiers juges et sans argumentation nouvelle, à une évaluation faite à partir de calculs théoriques et évaluatifs sans présenter d'éléments relatifs à la situation particulière des perturbations de cette ligne à la suite des désordres, objet du litige, et de nature à justifier ses prétentions ; qu'ainsi, elle ne peut être regardée comme établissant la réalité de ce préjudice ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions de la requête d‘appel de la S.N.C.F., ensemble les conclusions de l'appel incident de la S.A. S.N.C.T.P., ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens … ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la S.N.C.F. est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de la S.A. S.N.C.T.P. sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS, à la S.A. S.N.C.T.P. et à la société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics.
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N° 03NC00732