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29/05/2006 | FRANCE | N°05NC00299

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4eme chambre - formation a 3, 29 mai 2006, 05NC00299


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 11 mars 2005, complétée par un mémoire enregistré le 22 juin 2005, présentée pour M. Ali X élisant domicile ..., par la SCP Delgenes-Vaucois-Jiustine-Delgenes ; M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0401401 du 18 janvier 2005 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 29 décembre 2003 par laquelle le préfet des Ardennes a opposé un refus à sa demande de regroupement familial, ensemble la décision du 10 févrie

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Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 11 mars 2005, complétée par un mémoire enregistré le 22 juin 2005, présentée pour M. Ali X élisant domicile ..., par la SCP Delgenes-Vaucois-Jiustine-Delgenes ; M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0401401 du 18 janvier 2005 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 29 décembre 2003 par laquelle le préfet des Ardennes a opposé un refus à sa demande de regroupement familial, ensemble la décision du 10 février 2004 de rejet de son recours gracieux par le préfet des Ardennes et le rejet implicite de son recours hiérarchique du 6 mai 2004 auprès du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet des Ardennes de faire droit au regroupement familial en délivrant un titre de séjour à son épouse et à ses trois enfants ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions de l'autorité préfectorale ;

3°) d'enjoindre au préfet des Ardennes, sous astreinte, de faire droit au regroupement familial en délivrant un titre de séjour à son épouse et à ses trois enfants, à défaut d'instruire à nouveau la demande ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la décision de rejet du recours gracieux du 10 février 2004 n'est pas purement confirmative de la décision de rejet initiale du 29 décembre 2003, la première étant motivée par la nature des ressources et les conditions d'emploi, la seconde par l'absence de stabilité des ressources. Le requérant pouvait donc attaquer cette décision distincte du 10 février 2004, laquelle ne comporte pas la mention des voies et délais de recours ;

- les décisions du 29 décembre 2003 et du 10 février 2004 ne sont pas régulièrement motivées, ne faisant pas état du niveau des ressources de l'intéressé et de l'intérêt primordial des enfants ;

- les décisions attaquées sont entachées d'erreur de droit en tant qu'elles se fondent sur les conditions d'emploi du requérant et non sur ses seules conditions de ressources, qui sont en l'espèce stables et suffisantes dès lors que le requérant perçoit une pension de pré-retraite et une rente d'accident du travail dont le cumul dépasse le SMIC ;

- les décisions attaquées portent atteinte au droit du requérant de mener une vie familiale normale et à l'intérêt primordial des enfants protégé par les dispositions de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2005, présenté par le préfet des Ardennes qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- un seul recours hiérarchique ou gracieux conserve les délais de recours contre une décision ;

- la décision initiale de refus du 29 décembre 2003 indiquait avec précision les voies et délais de recours ;

- la décision du 10 février 2004 est simplement confirmative de la précédente, également fondée sur l'absence de garantie de stabilité des ressources de l'intéressé ;

- si la décision du 10 février 2004 devait être regardée comme distincte, il y aurait lieu de relever que le recours hiérarchique dirigé contre elle a été introduit le 11 mai 2004 après l'expiration du délai du recours contentieux ;

- la décision du 29 décembre 2003 est régulièrement motivée ;

- les conditions d'emploi ne sont invoquées que dans la mesure où elles traduisent l'instabilité des ressources de l'intéressé, lesquelles ne sont pas garanties dans le temps, avec sa mise à la retraite en 2006 ;

- M. X a délibérément constitué sa cellule familiale hors de France et a attendu trente ans pour entreprendre des démarches de rapprochement, lequel serait plus aisé s'il décidait de retourner au Maroc ;

- les enfants de M. X ayant toujours vécu au Maroc, leur intérêt primordial est plutôt d'y rester que de connaître un déracinement en venant en France ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 2006 :

- le rapport de M. Devillers, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Wallerich, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X, de nationalité marocaine, est entré en France en 1971 ; qu'il est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2009 ; qu'il s'est marié en 1976 ; que son épouse et ses trois enfants sont restés au Maroc ; qu'il a formé une demande de regroupement familial qui a été rejetée par le préfet des Ardennes le 29 décembre 2003, compte tenu de ses conditions d'emploi et de ressources ; qu'il a présenté à l'encontre de cette décision un recours gracieux qui a été rejeté par une décision expresse du 10 février 2004, puis un recours hiérarchique dont il a été accusé réception le 18 mars 2004 ; qu'il a formé un autre recours hiérarchique à l'encontre de la décision de rejet de son recours gracieux du 10 février 2004, dont il a été accusé réception le 4 mai 2004 ; que M. X a saisi le 6 septembre 2004 le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande d'annulation de l'ensemble des décisions rejetant ainsi, expressément ou implicitement, ses demandes de regroupement familial, que le tribunal a rejeté comme tardive et par suite irrecevable, les recours successifs, gracieux puis hiérarchiques n'ayant pu conserver le délai du recours contentieux contre la décision du 29 décembre 2003, notifiée le 30 décembre 2003 avec la mention des voies et délais de recours contentieux ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant qu'aux termes des dispositions, applicables au présent litige, de l'article 18 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 susvisée : «Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives…» ; qu'aux termes de l'article 19 du même texte : «Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat… Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa… Le défaut de délivrance d'un accusé de réception n'emporte pas l'inopposabilité des délais de recours à l'encontre de l'auteur de la demande lorsqu'une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant l'expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une décision implicite» ;

Considérant qu'il est contant que la préfecture n'a pas accusé réception du recours gracieux formé le 23 janvier 2004 par M. X à l'encontre de la décision précitée du 29 novembre 2003 ; que si ce recours a été rejeté par décision expresse du 10 février 2004, notifiée le 11 février 2004 avant l'expiration du délai imparti à l'administration pour statuer à nouveau sur la demande de regroupement familial introduite par l'intéressé, il ne résulte pas des pièces du dossier que cette notification aurait comporté l'indication des voies et délais de recours ; que par suite, à défaut d'avoir été régulièrement notifiée, la décision de rejet du recours gracieux de M. X n'a pu faire courir les délais de recours contentieux contre la décision du 29 décembre 2003 ; que c'est donc à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande dont il était saisi comme irrecevable ; qu'il y a lieu de l'annuler, d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

Sur la légalité des décisions attaquées et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de M. X :

Considérant qu'aux termes des dispositions alors applicables de l'article 29 de l'ordonnance susvisée n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : «… Le regroupement ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. Les ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel…» ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, M. X disposait mensuellement d'une allocation d'aide au retour à l'emploi d'environ 900 euros et d'une rente d'invalidité du travail d'environ 80 euros par mois, soit un montant total dont il n'est pas contesté par le préfet des Ardennes qu'il fut supérieur au SMIC applicable ; qu'il est constant que ces ressources de l'intéressé étaient garanties plus de deux années, jusqu'à son départ en retraite en février 2006, suivi du versement de la pension correspondante ; que dans ces conditions, le préfet des Ardennes n'a pu légalement opposer à M. X l'absence de stabilité de ses ressources pour lui refuser le bénéfice de l'autorisation de regroupement familial sollicitée ; que les décisions attaquées doivent donc être annulées ;

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. X :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : «Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public… prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution.» ;

Considérant que l'annulation de la décision du 29 décembre 2003 du préfet des Ardennes n'implique pas nécessairement que cette autorité autorise le regroupement familial de l'épouse et des trois enfants de M. X ; qu'il y a lieu, sans qu'il soit nécessaire dans les circonstances de l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte, d'ordonner au préfet des Ardennes de statuer à nouveau sur la demande de M. X dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à payer à M. X une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 18 janvier 2005 et les décisions du préfet des Ardennes en date des 29 décembre 2003 et 10 février 2004 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Ardennes de statuer à nouveau sur la demande de M. X dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à M. X sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Ali X, au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et au préfet des Ardennes.

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N° 05NC00299


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 05NC00299
Date de la décision : 29/05/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ROTH
Rapporteur ?: M. Pascal DEVILLERS
Rapporteur public ?: M. WALLERICH
Avocat(s) : DELGENES - VAUCOIS - JIUSTINE - DELGENES - SCP

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2006-05-29;05nc00299 ?
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