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24/05/2006 | FRANCE | N°05NC01280

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3eme chambre - formation a 3, 24 mai 2006, 05NC01280


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 23 septembre 2005, complétée par un mémoire enregistré le 31 mars 2006, présentée pour Mlle Myriam X, élisant domicile ..., par Me Boukara, avocat ;

Mlle X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 25 juillet 2005 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation du règlement intérieur du lycée René Cassin de Strasbourg, de la décision du conseil de discipline du 6 novembre 2004 prononçant son exclusion définitive du lycée, et de la d

écision du recteur de l'académie de Strasbourg en date du 15 décembre 2004 ayant...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 23 septembre 2005, complétée par un mémoire enregistré le 31 mars 2006, présentée pour Mlle Myriam X, élisant domicile ..., par Me Boukara, avocat ;

Mlle X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 25 juillet 2005 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation du règlement intérieur du lycée René Cassin de Strasbourg, de la décision du conseil de discipline du 6 novembre 2004 prononçant son exclusion définitive du lycée, et de la décision du recteur de l'académie de Strasbourg en date du 15 décembre 2004 ayant confirmé son exclusion définitive et, d'autre part, à enjoindre sous astreinte au proviseur de lycée René Cassin ou au recteur d'académie de l'accueillir au sein dudit établissement dans les mêmes conditions que les autres élèves ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susvisées ;

4°) de condamner solidairement l'Etat et le lycée René Cassin à lui payer une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le jugement n'a pas répondu à certains des moyens soulevés par la requérante ;

- le jugement est erroné en droit ;

- c'est à tort que le tribunal n'a pas fait droit à sa demande tendant à annuler le règlement intérieur au motif qu'il est entaché de plusieurs vices tant en ce qui concerne la légalité externe que la légalité interne ;

- il n'est, en effet, pas établi que le nouveau règlement intérieur ait été adopté dans les conditions prévues par le décret du 30 août 1985 et par l'article L. 421-14 du code de l'éducation ; il n'est pas non plus justifié que le nouveau règlement ait été communiqué au recteur ;

- enfin, le motif du jugement, qui estime que la restriction à tous les locaux scolaires est légale, n'est pas valable au regard de l'ensemble des textes qui protègent la liberté religieuse ainsi que la liberté d'expression ; la disposition incriminée du règlement intérieur porte aussi atteinte au droit au respect de la vie privée et à la liberté du choix de la tenue vestimentaire de l'élève ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la requérante n'était pas recevable à contester la décision d'exclusion définitive prise le 6 novembre 2004 par le conseil de discipline ; cette solution est contraire à l'article 13 de la convention européenne des droits de l'homme affirmant le droit à un recours effectif ;

- la décision du conseil de discipline est irrégulière car elle a été prise en violation de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation prévoyant un véritable dialogue avec l'élève ; en outre, les droits de la défense ont été méconnus, l'élève ayant été sanctionnée à raison de faits et de motifs qui n'étaient pas mentionnés dans la convocation du conseil de discipline ;

- la décision du conseil de discipline est entachée d'illégalité dans la mesure où contrairement à l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme relatif au droit au procès équitable, la sanction participe d'un processus et d'un traitement uniformes, décidés au niveau ministériel, sans considération des particularités de chaque affaire ; la légalité interne de la décision du conseil de discipline est affectée des mêmes vices que ceux affectant la décision par laquelle le recteur a confirmé l'exclusion définitive de la requérante ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision du recteur était suffisamment motivée au regard de la loi du 11 juillet 1979 ; en outre, le recteur n'a pas statué dans le délai d'un mois prévu par le décret du 18 décembre 1985 ;

- la décision du recteur en date du 15 décembre 2004 a également été prise en violation de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation et de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme ;

- la décision du recteur est entachée d'une inexactitude matérielle ;

- le recteur a méconnu le principe de la légalité des sanctions prévu à l'article 3 du décret du 30 août 1985, dès lors que la sanction de l'exclusion définitive ne figure pas parmi les sanctions prévues dans le règlement intérieur du lycée René Cassin ;

- la sanction attaquée porte atteinte à la vie privée et à la liberté de choix de la tenue vestimentaire, droits reconnus par les articles 4 et 5 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ; le fait pour l'administration de sanctionner la requérante à raison du port d'un foulard est un acte de discrimination prohibé par l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme alors que les élèves garçons peuvent sans difficulté porter des casquettes et des bandanas ;

- le tribunal a fait une inexacte application de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, lequel interdit seulement aux élèves de manifester ostensiblement leur appartenance religieuse, ce qui n'est pas le cas dans l'espèce ; conformément à l'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme, il y a lieu de vérifier si l'élève a adopté un comportement de nature revendicative avec la volonté de marquer son appartenance religieuse ; le port sans intention revendicative ni connotation religieuse du foulard, simple accessoire de mode, n'est pas prohibé par les textes ;

- l'interprétation de la loi du 15 mars 2004 comme interdisant par principe le port d'une tenue qui est la traduction d'une pratique, est contraire à l'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme ; la jurisprudence du Conseil d'Etat avait ainsi indiqué jusque-là que le principe de laïcité de l'enseignement public ne justifiait pas la restriction à la liberté d'expression des élèves et n'était pas incompatible avec le port de singes religieux ; la loi de 2004 est discriminatoire dans son objet et dans ses effets car elle vise particulièrement à interdire le port du foulard dit «islamique» ; en effet, la sanction est fondée sur le choix d'une tenue vestimentaire dont l'administration a déduit qu'elle était portée pour un motif religieux en raison de l'appartenance réelle ou supposée de la requérante à la communauté musulmane ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qui n'a pas examiné ce moyen, l'exclusion définitive de l'intéressée porte une grave atteinte à son droit à l'instruction tel que protégé par l'article 2 du protocole additionnel de la convention européenne des droits de l'homme, le 13ème alinéa du préambule de la constitution de 1946, ainsi que les articles L. 111-1, L. 141-1 et L. 141-2 du code de l'éducation ; aucune solution alternative permettant à la requérante d'accéder à une scolarité dans les mêmes conditions ou dans des conditions équivalentes que les autres élèves ne lui a été proposée ;

Vu la lettre du président de la 3ème chambre en date du 28 mars 2006 communiquant aux parties le moyen d'ordre public tiré de ce qu'un appelant est irrecevable à demander l'annulation d'un jugement dont le dispositif ne lui fait pas grief, quels que soient les motifs retenus par les premiers juges ;

Vu le mémoire, enregistré le 24 avril 2006, par lequel la requérante précise, en réponse à la communication du moyen d'ordre public susmentionné, qu'elle est recevable à critiquer le jugement en ce qu'il a limité la portée de l'annulation du règlement intérieur et qu'elle avait demandé l'annulation totale du règlement pour vice de forme ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2005, présenté par le Lycée René Cassin, représenté par le proviseur en exercice ;

Le Lycée René Cassin conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- les faits rapportés par la requérante sont inexacts ;

- les moyens relatifs à la légalité interne et externe du règlement intérieur ne sont pas fondés, celui-ci ayant été notamment pris conformément à la procédure réglementaire ;

- les moyens relatifs à la légalité externe de la décision d'exclusion définitive ne sont pas fondés ; la phase de dialogue préalable a bien été respectée ; les garanties de la procédure contradictoire devant le conseil de discipline ont également été respectées, étant précisé que la requérante et son défenseur étaient absents alors qu'ils étaient régulièrement convoqués ;

- contrairement à ce que soutient la requérante, la décision du recteur confirmant son exclusion définitive est légale dès lors que ladite sanction figure bien dans le règlement intérieur ;

- le règlement intérieur a été modifié conformément au jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 25 juillet 2005 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2006, présenté par le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Le ministre conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- les moyens tirés de l'illégalité externe du règlement intérieur ne peuvent qu'être écartés ; tant en première instance qu'en appel, la requérante ne fournit pas les précisions suffisantes permettant d'apprécier le bien-fondé ;

- comme l'a jugé à bon droit le tribunal, aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit à un établissement scolaire de réglementer la tenue des élèves au sein des locaux scolaires en vue de préserver l'ordre et notamment pour des raisons de sécurité, d'hygiène et de civilité ; l'interdiction de tout couvre-chef, y compris porté pour des motifs d'ordre religieux, dans les bâtiments scolaires et les salles de classe est légale ;

- les conclusions dirigées contre la décision du conseil de discipline sont irrecevables, comme l'a jugé à juste titre le tribunal, car la décision du recteur se substitue à la décision initiale ; en tout état de cause, le moyen tiré de l'absence de mise en oeuvre de la phase de dialogue prévue à l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation manque en fait ;

- le moyen tiré de ce que la décision du conseil de discipline est entachée d'irrégularité est inopérant puisque la décision du recteur prise après un examen complet de l'affaire par la commission académique s'est entièrement substituée à la décision du conseil de discipline ;

- la décision du recteur n'entre pas dans le champ d'application de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme car le présent litige ne porte ni sur des droits et obligations de caractère civil ni sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale au sens de l'article 6 de la convention ;

- le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du recteur ne peut qu'être écarté dans la mesure où cette décision comporte les motifs de fait et de droit qui en constituent le fondement ; la circonstance que le recteur ait statué quelques jours au-delà du délai d'un mois prévu par le décret du 18 décembre 1985 est sans incidence sur la légalité de la décision car ce délai n'est pas imparti à l'administration à peine de nullité ;

- le principe de légalité des sanctions est respecté dès lors que le règlement intérieur prévoit que le conseil de discipline se prononce sur une proposition motivée d'exclusion présentée par le chef d'établissement ; au demeurant, le recteur a pris sa décision en se fondant sur la loi du 15 mars 2004 qui renvoie à la procédure disciplinaire régie par les décrets du 30 août et du 18 décembre 1985 ; or, l'article 3 du décret du 30 août 1985 prévoit effectivement l'exclusion définitive de l'établissement à titre de sanction disciplinaire ;

- aucune règle ne reconnaît aux élèves un droit absolu à s'habiller à leur guise ;

-les conditions dans lesquelles la requérante portait son couvre-chef et la circonstance qu'elle entendait le porter en permanence, y compris pendant les cours, c'est-à-dire au moment où les autres élèves sont têtes nues, faisaient bien de cette coiffe une tenue manifestant ostensiblement l'appartenance religieuse de la jeune fille ;

- le recteur a donné de la loi du 15 mars 2004 une interprétation conforme à celle de la circulaire ministérielle du 18 mai 2004 dont le Conseil d'Etat a reconnu la légalité ;

- le fait que la requérante n'ait adopté aucune attitude revendicative ou prosélyte est sans incidence sur la légalité de la sanction ;

- la sanction, qui n'a pas porté une atteinte excessive à la liberté de pensée, de conscience et de religion, n'a pas méconnu l'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme ni pris une mesure de discrimination fondée sur la religion ; la Cour européenne des droits de l'homme admet que le principe de laïcité pouvait justifier une limitation du droit d'exprimer ses convictions religieuses au sein des établissements publics d'enseignement ;

- la décision du recteur n'a pas porté atteinte au droit à l'instruction ; la requérante a elle-même refusé de se conformer aux règles applicables aux établissements publics d'enseignement publics, ce qui a rendu inéluctable son exclusion ; l'intéressée s'est vu proposer une rescolarisation dans un lycée public de son département dans la mesure où elle accepterait de se conformer aux dispositions de la loi de 2004 ou une inscription au centre national d'enseignement à distance ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

Vu le préambule de la constitution de 1946 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le pacte international des droits civils et politiques, notamment son article 18 ;

Vu la convention de New York sur les droits de l'enfant ;

Vu le décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement ;

Vu le décret n° 85-1348 du 18 décembre 1985 relatif aux procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées et les établissements d'éducation spéciale ;

Vu le code de l'éducation, notamment son article L. 141 ;5 ;1 issu de la loi n°2004 ;228 du 15 mars 2004 ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 mai 2006 :

- le rapport de M. Martinez, premier conseiller,

- les observations de Me De Montlibert, substituant Me Boukara, avocat de Mlle X,

- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;

Considérant que le conseil de discipline du Lycée René Cassin de Strasbourg a, lors de sa séance du 6 novembre 2004, prononcé la sanction de l'exclusion définitive de l'établissement de Mlle Myriam X, élève de terminale, pour ne pas avoir respecté la loi n° 2004 ;228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ; que, par une décision du 15 décembre 2004, prise après avis de la commission académique d'appel, le recteur de l'académie de Strasbourg a rejeté le recours administratif formé par l'intéressée et confirmé cette sanction ; que Mlle X relève appel du jugement du 25 juillet 2005 du Tribunal administratif de Strasbourg en tant, d'une part, qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du conseil de discipline en date du 6 novembre 2004 et de la décision du recteur en date du 15 décembre 2004 et, d'autre part, qu'il a seulement annulé partiellement le règlement intérieur de l'établissement ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que le Tribunal administratif de Strasbourg a écarté les moyens présentés par la requérante tirés, d'une part, de l'irrégularité de la procédure d'établissement du règlement intérieur et, d'autre part, de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme relatif au droit à la vie privée et de l'article 2 de son premier protocole additionnel relatif au droit à l'instruction aux motifs qu'ils n'étaient pas, tels qu'ils étaient articulés, assortis des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ledit jugement serait entaché sur ces points d'une omission à statuer ;

Sur les conclusions dirigées contre le règlement intérieur :

Considérant que devant le Tribunal administratif de Strasbourg, Mlle X a demandé, à titre principal, l'annulation du règlement intérieur dans sa rédaction issue de la délibération du conseil d'administration en date du 25 mai 2004 ; qu'elle a demandé, à titre subsidiaire, l'annulation du même règlement intérieur en tant qu'il contient la disposition relative à la tenue des élèves selon laquelle «le port de tout couvre-chef est interdit» ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces produites en première instance et en appel par le proviseur du Lycée René Cassin que les membres du conseil d'administration du Lycée René Cassin ont été avisés de la réunion du conseil d'administration prévue le 25 mai 2004 par une convocation en date du 14 mai précisant d'ailleurs, expressément, que l'ordre du jour comportait au point 4 un avenant au règlement intérieur concernant l'interdiction de tout couvre-chef dans l'établissement ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'autorité administrative établit, en produisant la liste d'émargement, le nom et le nombre des membres du conseil d'administration ayant pris part à ladite délibération ; qu'il suit de là que Mlle X n'est pas fondée à soutenir que la délibération du conseil d'administration en date du 27 mai 2004 portant adoption d'un nouveau règlement intérieur serait entachée d'irrégularité ; que, par ailleurs, la circonstance, au demeurant non établie, que le règlement intérieur n'aurait pas été transmis au recteur est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de la délibération susvisée ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation totale du règlement intérieur approuvé le 25 mai 2004 en écartant les moyens de légalité externe susmentionnés ;

Considérant, en second lieu, que l'intérêt à faire appel d'un jugement s'apprécie par rapport à son dispositif et non à ses motifs et qu'un appelant est irrecevable à demander l'annulation d'un jugement dont le dispositif ne lui fait pas grief quels que soient les motifs retenus par les premiers juges ;

Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé la disposition du règlement intérieur selon laquelle «le port de tout couvre-chef est interdit» et a ainsi accueilli la demande présentée à titre subsidiaire par Mlle X tendant à l'annulation partielle du règlement intérieur ; que, pour demander cependant l'annulation dudit jugement, la requérante soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que cette interdiction était illégale en ce qu'elle s'appliquait de façon générale dans tout l'établissement et non seulement à l'intérieur des bâtiments scolaires ; qu'elle fait valoir, à l'appui de ses conclusions, que la mesure d'interdiction ne saurait légalement s'appliquer à l'ensemble des bâtiments scolaires sauf à porter une atteinte excessive à la liberté religieuse, à la liberté d'expression reconnus aux élèves ainsi qu'à leur droit au respect de la vie privée et à la liberté du choix de la tenue vestimentaire ; qu'il s'ensuit que ces conclusions, qui ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement mais contre ses motifs, ne sont pas recevables ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du conseil de discipline en date du 6 novembre 2004 :

Considérant qu'en vertu des dispositions combinées de l'article 31 du décret susvisé du 30 août 1985 et de l'article 8 du décret susvisé du 18 décembre 1985, le recours présenté auprès du recteur à l'encontre des décisions du conseil de discipline doit être regardé comme un recours administratif constituant un préalable obligatoire à la saisine du juge administratif et à l'issue duquel le recteur, après avis de la commission académique d'appel, arrête définitivement la position de l'administration ; que sa décision, qui s'est substituée rétroactivement à celle du conseil de discipline, est seule susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir ; que, par suite, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, les conclusions de la requérante tendant à l'annulation de la décision du conseil de discipline en date du 6 novembre 2004 prononçant son exclusion définitive de l'établissement sont sans objet et doivent être rejetées comme irrecevables ; que si l'exercice du recours administratif obligatoire a pour but de permettre à l'autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l'intervention du juge, la décision prise sur ce recours n'en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité et au contrôle du juge de l'excès de pouvoir ; que, dès lors, la requérante ne saurait soutenir que la fin de non-recevoir relevée à son encontre par le tribunal administratif l'aurait privée de son droit à un recours effectif au sens des stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du recteur de l'académie de Strasbourg en date du 15 décembre 2004 :

Sur la légalité externe :

Considérant, en premier lieu, que la décision du recteur, confirmant la sanction de l'exclusion définitive infligée à Mlle X par le conseil de discipline lors de sa séance du 6 novembre 2004, énumère les textes dont elle fait application et indique notamment que la requérante avait adopté, tant par ses déclarations que par son comportement, une position délibérément contraire à l'interdiction posée par la loi du 15 mars 2004 ; que la décision comporte ainsi les motifs de fait et de droit, qui sont indiqués avec une précision suffisante, qui en constituent le fondement ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de ladite décision ne peut qu'être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que le recteur n'a pas statué dans le délai d'un mois prévu par l'article 8 du décret précité du 18 décembre 1985 est sans incidence sur la légalité de sa décision, dès lors que ce délai n'est pas imparti à l'autorité administrative à peine de nullité ;

Considérant, en dernier lieu, que la requérante ne saurait utilement se prévaloir des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme relatives au droit au procès équitable, dès lors que le présent litige ne porte pas sur des droits et obligations de caractère civil au sens de ladite convention ; que la décision prise par le recteur à l'issue de la procédure disciplinaire, d'ailleurs dépourvue de tout caractère juridictionnel, ne saurait pas davantage être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale au sens de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité interne :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation issu de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 : «Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. / Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève» ; qu'aux termes de l'article 3 du décret du 30 août 1985 susvisé : «Le règlement intérieur adopté par le conseil d'administration définit les droits et les devoirs de chacun des membres de la communauté scolaire (…) Le règlement intérieur comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves. Les sanctions qui peuvent être prononcées à leur encontre vont de l'avertissement et du blâme à l'exclusion temporaire ou définitive de l'établissement ou de l'un de ses services annexes. La durée de l'exclusion temporaire ne peut excéder un mois. Des mesures de prévention, d'accompagnement, et de réparation peuvent être prévues par le règlement intérieur. Les sanctions peuvent être assorties d'un sursis total ou partiel. Il ne peut être prononcé de sanctions ni prescrit de mesure de prévention, de réparation et d'accompagnement que ne prévoirait pas le règlement intérieur.» ;

Considérant, en premier lieu, que l'article 3 du décret du 30 août 1985, sur lequel s'est expressément fondé le recteur, mentionne parmi les sanctions disciplinaires susceptibles d'être prononcées par l'autorité disciplinaire, l'exclusion définitive de l'établissement ou d'un de ses services annexes ; que le règlement intérieur du Lycée René Cassin, approuvé le 25 mai 2004, prévoit dans son chapitre V, auquel renvoie le chapitre VI relatif aux sanctions, que le conseil de discipline est saisi pour toute exclusion supérieure à huit jours et que cette sanction ne devient définitive qu'avec l'accord du recteur ; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la mesure d'exclusion définitive dont elle a fait l'objet n'aurait pas été prévue par le règlement intérieur de l'établissement considéré et n'est, par suite, pas fondée à se plaindre de ce que ledit moyen a été écarté par le jugement attaqué ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que Mlle X s'est présentée, lors de la rentrée scolaire 2004, au Lycée René Cassin de Strasbourg avec un foulard lui recouvrant entièrement la tête et dont il n'est pas sérieusement contesté qu'il revêtait par lui-même une connotation religieuse, qu'elle a remplacé par un chapeau, puis un béret ; que si la requérante prétend ne pas avoir eu l'intention d'afficher ses convictions religieuses mais seulement de se vêtir d'un accessoire de mode, les conditions dans lesquelles était porté en permanence ce couvre-chef, qui ne saurait être qualifié de discret, à l'intérieur des locaux scolaires, notamment pendant les cours, ainsi que l'intransigeance et la détermination par lesquelles elle a persisté dans son refus de renoncer à ces différentes coiffes, notamment au cours de la phase de dialogue prévue à l'article L. 141-5-1 précité, étaient de nature à faire regarder l'intéressée comme ayant manifesté ostensiblement son appartenance religieuse au sens de la loi du 15 mars 2004 précitée ; que bien qu'invitée par les autorités administratives à respecter l'interdiction légale, l'élève a constamment réaffirmé son intention de ne pas se départir de son couvre-chef ; qu'elle a ainsi délibérément refusé de se conformer aux prescriptions de la loi ; que, dès lors, la sanction de l'exclusion définitive qui lui a été infligée était légalement justifiée par les faits ainsi relevés à son encontre ; que la circonstance, en l'admettant même établie, que le port de la coiffe litigieuse ne s'est accompagnée d'aucun acte revendicatif ou de prosélytisme et n'aurait pas entraîné de troubles à l'ordre public est sans influence sur la légalité de la sanction ; qu'il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, en confirmant, après un examen particulier des circonstances de l'affaire, la sanction disciplinaire contestée, le recteur de l'académie de Strasbourg n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 141-5-1 précité du code de l'éducation ;

Considérant, en troisième lieu, que la décision du recteur en date du 15 décembre 2004 s'étant, ainsi qu'il a été dit plus haut, substituée à la décision du conseil de discipline, la requérante ne saurait utilement exciper à l'encontre de la décision rectorale, des vices qui entacheraient selon elle la régularité de la décision du conseil de discipline ;

Considérant, en quatrième lieu, que la décision d'exclusion querellée a été régulièrement prise en application des dispositions précitées de la loi du 15 mars 2004 ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, du 13ème alinéa du préambule de la constitution de 1946 et l' article 2 de la constitution du 4 octobre 1958 sont inopérants ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : «1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique ... la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. - 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui» ; que selon l'article 14 de la même convention : «La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation» ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'interdiction édictée par la loi du 15 mars 2004 et mise en oeuvre par la décision du recteur susmentionnée, ne porte pas à la liberté de pensée, de conscience et de religion une atteinte excessive, au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans les établissements scolaires publics ; que la sanction de l'exclusion définitive de l'établissement scolaire qui a été prononcée à l'encontre de Mlle X pour ne pas s'être conformée à l'interdiction légale précitée n'a pas davantage entraîné, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte excessive à cette liberté ; que ladite sanction, qui constitue l'application d'une règle de portée générale visant à assurer le respect du principe de laïcité sans discrimination entre les confessions des élèves, ne peut non plus être regardée comme une mesure de discrimination fondée sur la religion ; que, dès lors, en prenant la décision attaquée, le recteur de l'académie de Strasbourg n'a pas méconnu les articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en sixième lieu, que la décision du recteur n'a pas porté atteinte à la dignité de la personne de la requérante ;

Considérant, en septième lieu, que si la requérante invoque la liberté de choix de la tenue vestimentaire reconnue aux élèves, la sanction prise par le recteur n'a pas porté une atteinte excessive au respect de sa vie privée garanti par les stipulations de l' article 8 convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; qu'à supposer que la requérante ait entendu exciper, à l'encontre de la décision du recteur, de l'illégalité du règlement intérieur du Lycée René Cassin en tant qu'il aurait instauré une interdiction trop générale du port de tout couvre-chef, le moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant, dès lors que la sanction prononcée par le recteur est fondée sur la méconnaissance de l'interdiction posée par la loi du 15 mars 2004 susmentionnée ;

Considérant, en dernier lieu, que les stipulations de l'article 2 du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme selon lesquelles «nul ne peut être privé du droit à l'instruction», ne sauraient faire obstacle au prononcé de sanctions disciplinaires y compris l'exclusion à titre définitif à l'encontre d'élèves refusant d'observer les règles régissant le fonctionnement des établissements publics d'enseignement ; que, dans les circonstances de l'espèce, alors qu'au demeurant l'administration a mis en place un dispositif de suivi pédagogique au cours de la phase de dialogue et recherché d'autres modalités de scolarisation de l'intéressée notamment auprès du centre national d'enseignement à distance, la mesure contestée n'a pas porté au droit de l'élève à l'instruction et au droit des parents d'assurer l'éducation de leurs enfants selon leurs convictions religieuses une atteinte excessive au regard de l'objectif d'intérêt général visant à assurer le respect du principe de laïcité dans les établissements publics d'enseignement ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle X n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, rejeté sa demande dirigée contre la décision du conseil de discipline du Lycée René Cassin en date du 6 novembre 2004 prononçant son exclusion définitive et la décision du recteur de l'académie de Strasbourg en date du 15 décembre 2004 confirmant cette sanction et, d'autre part, annulé le règlement intérieur de l'établissement en tant seulement qu'il comportait la disposition selon laquelle «le port de tout couvre-chef est interdit» ;

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la requérante, n'appelle aucune des mesures d'exécution prévues aux articles L. 911 à L. 911 ;3 du code de justice administrative ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mlle X ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par Mlle X doivent, dès lors, et en tout état de cause, être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mlle X est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mlle Myriam X, au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et au Lycée René Cassin.

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N° 05NC01280


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 05NC01280
Date de la décision : 24/05/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LEDUCQ
Rapporteur ?: M. José MARTINEZ
Rapporteur public ?: M. TREAND
Avocat(s) : BOUKARA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2006-05-24;05nc01280 ?
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