Vu la requête, enregistrée le 9 février 1999 au greffe de la Cour, complétée par mémoires enregistrés le 9 février 1999 et les 3 mars 1999 et 11 avril 2002, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE, dont le siège est 51 rue du Commandant Derrien à Chalons-en-Champagne (51000), par Me Catherine Clément, avocat ; le CENTRE HOSPITALIER DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement en date du 17 novembre 1998 par lequel le Tribunal administratif de Chalons-en-Champagne l'a condamné à verser à M. et Mme Eric X, d'une part, respectivement les sommes de 120 000 F et 50 000 F en réparation du préjudice résultant de la contamination de M. X par le virus de l'hépatite C au cours d'une transfusion sanguine effectuée dans ledit centre, et, d'autre part, la somme de 5 000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux et cours administratives d'appel ;
2°) de déclarer irrecevable la requête des époux X ;
3°) de condamner les époux X à lui payer la somme de 5 000 F en application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ;
4°) d'appeler dans la procédure l'Etablissement français du sang ;
Il soutient que :
- le tribunal a méconnu les faits de l'espèce dès lors qu'il s'est passé près de 30 ans entre la transfusion incriminée et le diagnostic ;
- les éléments d'information donnés par l'expert ont été ignorés par le tribunal notamment pour ce qui concerne les autres facteurs de contamination de M. X ;
Vu la mise en demeure adressée le 30 novembre 2001 à Me Schidlowsky, en application de l'article R. 612-2 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2001, présenté pour M. et Mme Eric X par Me Schidlowsky, avocat ;
M. et Mme X demandent à la Cour :
1°) de confirmer le jugement entrepris ;
2°) de rejeter la requête du CENTRE HOSPITALIER DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE et de l'Etablissement français du sang ;
3°) de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE et l'Etablissement français du sang à leur verser la somme de 10 000 F sur la base de L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ;
4°) de condamner le centre hospitalier (Etablissement français du sang) aux dépens de l'instance et frais d'expertise ;
Les époux X soutiennent que :
- l'hépatite C n'est souvent détectée qu'à l'occasion d'une complication qui peut surgir dans une période pouvant aller jusqu'à 30 ans ;
- l'expertise a démontré le diagnostic de l'hépatite et la réalité de la transfusion sanguine ;
- le centre hospitalier avait une obligation contractuelle de fournir du sang exempt de tous vices pathogènes ;
- l'interrogatoire figurant au rapport d'expertise et auquel s'est soumis M. X ne révèle aucun autre facteur de risque de contamination par le VHC ;
- M. X doit se soumettre à des examens fréquents ;
- M. X doit suivre un traitement aux effets secondaires difficilement supportables ;
- le préjudice moral enduré et destiné à perdurer résulte d'une possible évolution vers une pathologie plus grave et du renoncement à avoir d'autres enfants ;
Vu le mémoire en défense et les mémoires complémentaires respectivement enregistrés au greffe de la Cour le 31 mai 2002 et les 18 février 2003, 2 février et 27 décembre 2004, présentés pour l'Etablissement français du sang dont le siège se trouve 6, rue Alexandre Cabanel à Paris par Me Prouvost ;
L'Etablissement français du sang, venant aux droits du poste de transfusion sanguine du CENTRE HOSPITALIER DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement entrepris ;
2°) de déclarer irrecevable la requête des époux X ;
3°) à titre subsidiaire, de revoir dans de plus justes proportions les sommes allouées à M. et Mme X ;
3°) de condamner les époux X à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner les époux X aux dépens de l'instance ;
L'Etablissement français du sang soutient que :
- sur la base du rapport d'expertise et selon la jurisprudence administrative, compte tenu du délai de 30 ans entre les transfusions opérées sur M. X et le constat de la contamination de celui-ci par le virus de l'hépatite, le lien de causalité est trop ténu pour que l'on puisse établir la réalité de ce dernier ;
- les autres modes de contamination représentent 63 % des cas ;
- la contamination par l'hépatite peut procéder d'autres causes, notamment d'infections nosocomiales (risque de 15%) ayant pu être contractées lors de l'hospitalisation de M. X en 1977 suite à un accident de la route ou encore suite au tatouage de M. X en 1996, date non certaine ;
- le questionnaire sur les habitudes de vie établi par l'expert, auquel a répondu M. X, ne permet certes pas d'identifier d'autres causes de contamination, mais les réponses fournies par M. X n'ont pas donné lieu à vérification par l'expert ;
- M. X ne présente aucun des signes cliniques graves révélateurs existant chez un porteur du virus de l'hépatite C ;
- les souffrances physiques et morales de M. X sont des complications résultant du traitement par interféron ;
- le taux d'incapacité permanente partielle est éventuellement fixé à 5% ;
- le pretium doloris est fixé à 1 sur une échelle de 1 à 7 ;
- le préjudice d'agrément est très modéré, M. X pouvant continuer à exercer des activités nécessitant un effort physique modéré ;
- le préjudice esthétique est nul ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
Vu le décret n° 99-1143 du 29 décembre 1999 relatif à l'établissement français du sang et aux activités de transfusion sanguine ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 janvier 2005 :
- le rapport de M. Dewulf, premier conseiller,
- les observations de Me Cunat pour la société d'avocats Ey Law Ernst et Young, avocat de l'Etablissement français du sang,
- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X a été opéré le 8 février 1963, à l'âge de cinq semaines, au CENTRE HOSPITALIER DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE pour cure de la sténose pylorique ; qu'au cours et à la suite de cette intervention, M. X a été transfusé à trois reprises ; qu'à l'occasion d'un don du sang en 1992, a été mise en évidence la contamination de celui-ci par le virus de l'hépatite C ;
Sur la responsabilité de l'Etablissement français du sang :
Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 susvisée : En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments successivement produits par ces parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ordonné par les premiers juges, d'une part, que le lien éventuel entre la transfusion de 1963 et la découverte de l'hépatite C, totalement silencieuse pendant 29 ans, n'est pas conforme à l'histoire naturelle de la maladie, d'autre part, que le délai de 30 ans est trop long pour retenir une imputabilité de ladite contamination à la transfusion sanguine avec un niveau de vraisemblance et de pertinence suffisant ; que M. X ne démontre pas qu'il existe un lien de causalité ayant un degré suffisamment élevé de vraisemblance entre les transfusions subies en 1963 et l'hépatite C dont il est atteint ; que, dès lors, les premiers juges ont commis une erreur de droit en considérant qu'existait un lien de causalité entre les perfusions pratiquées en 1963 et la contamination de M. X par le virus de l'hépatite C ; que, par suite, l'Etablissement français du sang est fondé à soutenir, d'une part, que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Chalons-en-Champagne a estimé que le préjudice résultant pour M. X de sa contamination par le virus de l'hépatite C était de nature à engager à son égard la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE, d'autre part, que la demande de M. et Mme X devant le Tribunal administratif de Chalons-en-Champagne doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etablissement français du sang, qui n'est pas, dans la présente instance, la parties perdante, soient condamnés à payer à M. et Mme X les sommes qu'ils demandent au titre des frais exposés par ceux-ci en appel et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'Etablissement français du sang sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement en date du 17 novembre 1998 du Tribunal administratif de Chalons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : La requête de M. et Mme X est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'Etablissement français du sang tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE, à l'Etablissement français du sang et à M. et Mme X.
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N° 99-00317