Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour le 16 janvier 2004, complété par mémoires enregistrés les 5 avril et 2 novembre 2004, présenté par le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE ; le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 18 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé, à la demande de M. Y, la décision de l'inspecteur d'académie de la Haute-Marne en date du 28 septembre 2001 autorisant l'inscription de la jeune Camille Y au centre national d'enseignement à distance (CNED) ;
2°) de rejeter la demande de M. Y ;
Il soutient que :
- la demande de première instance n'était pas recevable dès lors que la décision attaquée ne faisait pas grief à M. Y ; l'autorisation de l'inspecteur d'académie ne s'impose pas aux parents qui conservent leur pouvoir de décision dans le choix du mode d'instruction de leur enfant et sont libres de changer d'avis en demandant l'inscription de leur enfant dans un établissement scolaire ;
- M. Y n'a pas d'intérêt à agir contre cette autorisation ; en effet, la seule circonstance que les parents soient séparés et en désaccord sur le mode d'instruction ne suffit pas à permettre à l'un d'entre eux de contester l'autorisation donnée à l'autre ; ce désaccord relève de la compétence du juge des affaires familiales, qui aurait pu imposer aux parents l'inscription dans un établissement scolaire sans remettre en cause l'autorisation administrative ;
- la demande de première instance est en outre irrecevable au motif que l'autorisation de l'inspecteur, qui n'est en réalité qu'un avis, n'a pas de caractère décisionnel, le pouvoir de décision appartenant à la direction de l'établissement ;
- le jugement est entaché d'une erreur de droit car le tribunal administratif s'est mépris sur la portée des articles L. 122-1 et L. 131-2 du code de l'éducation ; la préférence accordée par la loi à la scolarisation au sein d'un établissement ne saurait remettre en cause le principe du libre choix des parents posé par l'article L. 131-2 précité et ne pouvait en l'espèce permettre à l'inspecteur d'académie d'interdire à la mère de donner à sa fille une instruction à domicile ou encore d'imposer une scolarisation au collège du secteur ;
- le tribunal administratif a également commis une erreur d'interprétation de l'article 2 du décret du 31 décembre 1979, en estimant que l'inscription au CNED avait un caractère dérogatoire obligeant à la limiter exclusivement aux candidats justifiant de motifs légitimes ou de difficultés objectives faisant obstacle à la fréquentation d'un établissement ;
- à titre très subsidiaire, c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'autorisation de l'administration était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les mémoires en défense, enregistrés les 17 mars, 22 septembre et 16 novembre 2004, présentés pour M. Paul Y par Me Delrez, avocat ;
M. Y conclut au rejet de la requête et à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- il exerce l'autorité parentale sur sa fille Camille et a intérêt à agir contre la décision administrative attaquée, laquelle fait obstacle à ce que sa fille poursuive une scolarité normale et bénéficie d'une bonne insertion dans la vie sociale ;
- la décision de l'inspecteur d'académie n'est pas un simple avis mais fait grief ;
- le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit s'agissant de l'interprétation des textes applicables mais a considéré à juste titre que la scolarisation à domicile est dérogatoire et fondée sur des motifs légitimes que l'inspecteur d'académie doit apprécier ;
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a considéré, eu égard aux motifs avancés pour l'inscription au CNED et compte tenu des possibilités de scolarisation au collège de Bourmont, que la décision de l'administration était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Vu le mémoire en intervention, enregistré le 31 mars 2004, présenté par Mme Marie-Pierre X, qui conclut dans le même sens que le ministre ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 mars 1882 ;
Vu la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 ;
Vu la loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998 ;
Vu le décret n° 79-1228 du 31 décembre 1979 ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 décembre 2004 :
- le rapport de M. Martinez, premier conseiller,
- les observations de M. Y,
- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'éducation : L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes français et étrangers entre six ans et seize ans. ; qu'aux termes de l'article L. 122-1 du code de l'éducation : (...) l'instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement ; qu'aux termes de l'article L. 131-2 du même code : l'instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l'un d'entre eux, ou toute personne de leur choix. ; qu'aux termes de l'article L. 131-5 dudit code : Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans l'établissement d'enseignement public ou privé, ou bien déclarer au maire et à l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale, qu'elles lui feront donner l'instruction dans la famille ; qu'aux termes de l'article L. 131-7 du même code : L'inspecteur d'académie invite les personnes responsables de l'enfant à se conformer à la loi et leur fait connaître les sanctions pénales encourues ; que selon les dispositions des articles 2 et 4 du décret n° 66-104 du 18 février 1966 et de l'article 9 du décret n° 96-465 du 29 mai 1996 relatif à l'organisation de la formation au collège, l'inspecteur d'académie est respectivement investi d'une mission de contrôle en matière d'inscription dans les écoles et d'un pouvoir d'affectation des élèves au sein des établissements de l'enseignement public ; qu'enfin, aux termes de l'article 2 du décret n° 79-1228 du 31 décembre 1979 modifié, alors en vigueur : Le centre national d'enseignement à distance a pour mission de dispenser et de promouvoir un enseignement à distance, notamment en faisant appel aux techniques modernes de communication. Cet enseignement s'adresse notamment à la population scolaire et aux personnes qui ne peuvent suivre une formation dans les établissements d'enseignement relevant du ressort territorial des académies ; qu'il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces dispositions que dès lors que les parents concernés décident, en vertu du choix qui leur est conféré par la loi, de solliciter l'inscription de leur enfant dans un établissement public d'enseignement, tel que le centre national d'enseignement à distance, établissement public national à caractère administratif soumis à la tutelle du ministre chargé de l'éducation, l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale, est compétent pour se prononcer sur cette demande et vérifier ainsi la légitimité des motifs avancés pour justifier une telle inscription au regard du principe selon lequel l'instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que saisi d'une demande d'inscription au centre national d'enseignement à distance (CNED) présentée par Mme X, mère de la jeune Camille Y, l'inspecteur d'académie de la Haute-Marne, directeur des services départementaux de l'éducation nationale, a fait droit à cette demande au titre de la rentée 1999-2000 ; qu'ayant été informé du conflit opposant les parents de la jeune Camille au sujet de son mode de scolarisation, l'inspecteur d'académie a renouvelé cette autorisation pour la rentrée 2000-2001 à titre conservatoire dans l'attente d'une éventuelle décision du juge des affaires familiales ; qu'en l'absence d'une décision du juge des affaires familiales qui avait été saisi à nouveau par l'administration, l'inspecteur d'académie de la Haute-Marne a alors, par un courrier en date du 28 septembre 2001, également adressé à la mère de l'enfant, indiqué à M. Y, père de la jeune Camille, qu'il autorisait l'inscription provisoire de sa fille au centre national d'enseignement à distance dans l'attente d'une décision du juge judiciaire chargé de régler le litige opposant l'intéressé à Mme X, mère de la jeune fille, au sujet du mode de scolarisation de celle-ci ;
Considérant, en premier lieu, que le ministre soutient en appel que, l'avis de l'inspecteur ne revêt aucun caractère décisoire car il ne s'impose ni au CNED, qui conserve le pouvoir de décision d'inscrire ou non l'élève, ni aux parents, qui ne sont pas liés par cette autorisation et conservent le pouvoir de choisir une inscription dans un établissement scolaire ; que cependant, l'acte pris par l'inspecteur d'académie, sur la base des dispositions précitées, emporte des effets juridiques en ce qu'il ouvre la possibilité d'une inscription dérogeant au mode de scolarisation prioritaire et doit être regardé comme une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
Considérant, en second lieu, que M. Y, père de l'enfant concerné et titulaire de l'autorité parentale, qui a ainsi la qualité de personne responsable de l'enfant au sens de l'article L. 131-4 du code de l'éducation, a intérêt à agir contre cette décision qui, faisant droit à une demande d'inscription formulée à titre personnel par son épouse, dont il est séparé, conditionne le mode de scolarisation de son enfant ;
Considérant qu'il suit de là que les fins de non-recevoir opposées en appel par le ministre chargé de l'éducation doivent être écartées ;
Sur la légalité :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande d'inscription formulée par la mère de l'intéressée était fondée, à titre principal, sur le motif tiré de l'éloignement de l'établissement d'enseignement par rapport à son domicile, lieu de résidence de l'enfant et, à titre complémentaire, sur le motif tiré de ce que la jeune Camille pratiquait de façon assidue l'équitation ; que, cependant, il n'est pas contesté que l'établissement d'enseignement concerné, distant de 16 kilomètres, est desservi par une ligne de ramassage scolaire éloignée de 3 kilomètres du domicile de l'élève, laquelle se rend d'ailleurs régulièrement au centre hippique situé à une dizaine de kilomètres dudit domicile ; qu'en outre, il n'est pas établi que la pratique sportive invoquée relève d'une pratique de haut-niveau ou puisse déboucher sur un projet professionnel ; que, dans ces conditions, l'autorité administrative n'a pu, sans erreur manifeste d'appréciation, estimer que ces motifs de fait étaient de nature à faire obstacle à ce que la jeune Camille puisse suivre une formation dans un établissement scolaire de l'académie et à justifier ainsi son inscription au centre national d'enseignement à distance ;
Considérant il est vrai que le ministre fait valoir qu'en raison du désaccord des parents au sujet du mode de scolarisation de leur fille, la décision attaquée était également fondée sur la nécessité de prendre une mesure conservatoire, en vue de préserver l'intérêt de l'enfant, dans l'attente d'une décision du juge des affaires familiales, seul compétent pour trancher le conflit survenu entre les parents ; que toutefois ce motif, eu égard notamment aux missions confiées au centre national d'enseignement à distance, n'est pas au nombre de ceux pouvant légalement fonder la décision de l'autorité administrative ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision susvisée en date du 28 septembre 2001 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. Y une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions précitées ;
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du ministre est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. Y une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE, à M. Y et à Mme X.
Copie pour information sera adressée au recteur de l'académie de Reims.
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N° 04-00035