Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 11 octobre 2021 par laquelle le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse sud-est l'a informée de ce qu'il serait mis fin au versement de la nouvelle bonification indiciaire à compter du 1er novembre 2021.
Par un jugement n° 2200213 du 10 novembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de Mme B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2024, Mme B..., représentée par Me Humbert-Simeone, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200213 du 10 novembre 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler la décision du 11 octobre 2021 prise par le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse sud-est ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de lui verser les rappels de rémunération correspondant à la nouvelle bonification indiciaire à compter du 1er novembre 2021, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir, en application des articles L. 911-1 à L. 911-3 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle méconnaît l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations avant sa notification ;
- cette décision, notifiée le 16 novembre 2021 pour une prise d'effet le
1er novembre 2021, est entachée d'une rétroactivité illégale ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de droit ;
- elle justifie exercer l'intégralité de ses fonctions dans le ressort du contrat local de sécurité de la ville de Marseille ;
- en outre, elle intervient dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Par une ordonnance du 17 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au
4 novembre 2024.
Un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2024 après clôture de l'instruction, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a pas été communiqué.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tenant à l'irrecevabilité des moyens de légalité externe soulevés par la requérante, tirés de ce que la décision du 11 octobre 2021 serait entachée d'un défaut de motivation, et de ce qu'elle serait intervenue en violation des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration relatives à la procédure contradictoire, dès lors que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, sont fondés sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa demande de première instance, qui se bornait à contester la légalité interne de la décision en litige.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 ;
- le décret n° 2001-1061 du 14 novembre 2001 ;
- l'arrêté du 4 décembre 2001 fixant par département les emplois éligibles à la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article
R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Martin.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., éducatrice de la protection judiciaire de la jeunesse, est affectée depuis le 1er septembre 2012 au sein de l'unité éducative en milieu ouvert (UEMO) Le Garlaban à Marseille. Par une décision du 11 octobre 2021, notifiée le 16 novembre 2021, le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse sud-est l'a informée de ce qu'il serait mis fin au versement de la nouvelle bonification indiciaire à compter du
1er novembre 2021, au motif que son unité d'affectation n'est pas située dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Par un jugement du 10 novembre 2023, dont
Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La requérante ne peut donc utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de droit.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :
3. Mme B... soutient, pour la première fois en appel, que la décision du 11 octobre 2021 serait entachée d'un défaut de motivation, et qu'elle serait intervenue en violation des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration relatives à la procédure contradictoire. Ces moyens ressortissent à la légalité externe de la décision attaquée et ne sont pas d'ordre public. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que les moyens soumis au tribunal administratif par la requérante étaient relatifs à la seule légalité interne de la décision attaquée. Par conséquent, les moyens précités, qui relèvent d'une cause juridique distincte de ceux soulevés en première instance, ne peuvent être invoqués pour la première fois en appel et doivent être écartés comme irrecevables.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée :
4. Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. Les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que des résultats collectifs des services (...) ". Aux termes de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales : " La nouvelle bonification indiciaire des fonctionnaires et des militaires instituée à compter
du 1er août 1990 est attribuée pour certains emplois comportant une responsabilité
ou une technicité particulières dans des conditions fixées par décret. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 14 novembre 2001 relatif à la nouvelle bonification indiciaire
au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice : " Une nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville (...) peut être versée mensuellement (...) aux fonctionnaires titulaires du ministère de la justice exerçant, dans le cadre de la politique de la ville, une des fonctions figurant en annexe au présent décret. ". Lesdites fonctions comprennent, selon l'annexe à ce décret en vigueur à compter du 1er janvier 2015 : " (...) Fonctions de catégories A, B, C de la protection judiciaire de la jeunesse : / 1. En centre de placement immédiat, en centre éducatif renforcé ou en foyer accueillant principalement des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville ; / 2. En centre d'action éducative situé dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ; / 3. Intervenant dans le ressort territorial d'un contrat local de sécurité ".
5. Il résulte des dispositions précitées de la loi du 18 janvier 1991 et du décret du 14 novembre 2001 que le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire n'est pas lié au corps d'appartenance ou au grade des fonctionnaires, mais aux emplois qu'ils occupent, compte tenu de la nature des fonctions attachées à ces emplois.
6. En premier lieu, Mme B..., qui soutient intervenir dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, doit être regardée comme se prévalant d'un droit au versement de la nouvelle bonification indiciaire en application du point 2 de l'annexe au décret du 14 novembre 2001. Toutefois, si l'UEMO Le Garlaban de Marseille peut être assimilée à des centres d'action éducative au sens du point 2 de l'annexe, la condition pour prétendre au bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire, tenant à l'exercice des fonctions d'éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse en centre d'action éducative situé, jusqu'au 1er janvier 2015, en zone urbaine sensible, et, après cette date, en quartier prioritaire de la politique de la ville, est d'application stricte. Alors que le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait valoir en première instance que l'UEMO d'affectation de Mme B... n'est pas située dans un quartier prioritaire de la politique de la ville et qu'il a produit, au soutien de cette affirmation, une capture d'écran du système d'information géographique de la politique de la ville, Mme B... ne produit aucun élément de nature à contredire une telle affirmation. Dans ces conditions qui n'établissent donc pas l'implantation, dans un tel quartier, de l'unité d'affectation de l'intéressée, celle-ci n'est pas fondée à soutenir qu'elle doit bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire sur le fondement du point 2 de l'annexe du décret du 14 novembre 2001.
7. En deuxième lieu, le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire instituée par les dispositions citées au point 4 du 3° de l'annexe au décret du 14 novembre 2001 relatif à la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice, dépend uniquement de l'exercice effectif des fonctions qui y ouvrent droit et, s'agissant des agents de la protection judiciaire de la jeunesse, en bénéficient ceux qui, indépendamment de leur lieu d'affectation, exercent leur mission, à titre principal, dans le ressort territorial d'un contrat local de sécurité.
8. Par ailleurs, les contrats locaux de sécurité, définis par la circulaire du
28 octobre 1997 NOR : INTK9700174, sont des outils d'une politique de sécurité s'appliquant en priorité aux quartiers sensibles, conclus sous l'impulsion du maire d'une ou plusieurs communes et du représentant de l'Etat dans le département, lorsque la délinquance est particulièrement sensible sur un territoire donné. En outre, en application des dispositions de l'article L. 132-4 du code de sécurité intérieure, dans leur version applicable au litige, le maire ou son représentant préside un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans les communes comprenant un quartier prioritaire de la politique de la ville. Enfin, aux termes de l'article D. 132-7 de ce même code : " Le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance constitue le cadre de concertation sur les priorités de la lutte contre l'insécurité et de la prévention de la délinquance dans la commune. / (...) / Il assure l'animation et le suivi du contrat local de sécurité lorsque le maire et le préfet de département, après consultation du procureur de la République et avis du conseil, ont estimé que l'intensité des problèmes de délinquance sur le territoire de la commune justifiait sa conclusion. ".
9. La circonstance que les contrats locaux de sécurité sont conclus en priorité dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville et sont animés, lorsqu'ils existent, par le contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance, n'a ni pour objet ni pour effet que tout quartier prioritaire politique de la ville soit couvert par un contrat local de sécurité.
10. Mme B... soutient que ses fonctions d'éducateur au sein de l'UEMO Le Garlaban à Marseille lui ouvrent droit au bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire en application des dispositions du 3 de l'annexe au décret du 14 novembre 2001 dès lors qu'elle intervient exclusivement dans le ressort territorial du contrat local de sécurité de la commune de Marseille. Toutefois, alors que le garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir, dans ses écritures de première instance, que l'intéressée n'exerce pas ses fonctions dans le ressort territorial d'un contrat local de sécurité, le seul document intitulé " contrat local de sécurité - Transports CLSPD Ville de Marseille ", non signé et portant en page 3 la mention " Version 1 - 5 7/07/2009 ", ne suffit pas à établir qu'à compter du
1er novembre 2021, Mme B... aurait accompli à titre principal son activité dans le ressort territorial d'un ou plusieurs contrats locaux de sécurité en vigueur. De même, tant le rapport de la stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance produit au dossier, s'agissant d'un dispositif qui couvre la période 2017 - 2020 antérieure à la date de la décision attaquée, que le projet pédagogique de l'UEMO, sont dépourvus de tout élément permettant d'établir que Mme B... accomplirait son activité à titre principal dans le ressort territorial d'un ou plusieurs contrats locaux de sécurité depuis le 1er novembre 2021. Par suite, le moyen tiré de ce que Mme B... remplissait les conditions fixées par les dispositions du point 3 de l'annexe au décret du 14 novembre 2001 relatif à la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice doit être écarté.
11. En revanche, et en troisième lieu, aux termes de l'article L. 221-8 du code des relations entre le public et l'administration : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d'autres formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l'objet au moment où elle est notifiée ". Il résulte de ces dispositions que les décisions individuelles défavorables doivent entrer en vigueur à la date de leur notification aux personnes concernées.
12. En l'espèce, la décision attaquée, qui a pour effet de mettre fin au versement de la nouvelle bonification indiciaire au bénéfice de Mme B... à compter du
1er novembre 2021, a été notifiée à l'intéressée le 16 novembre 2021 selon la mention manuscrite portée sur cette décision, le garde des sceaux, ministre de la justice ayant
lui-même expressément relevé, dans ses écritures de première instance, que la décision en litige a été notifiée le 16 novembre 2021. Dans ces conditions, en l'absence de disposition contraire, l'administration ne pouvait conférer à cette décision, qui n'était pas nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent et ne présentait pas non plus le caractère d'une mesure de régularisation, une portée rétroactive. Par suite, Mme B... est recevable et fondée à soutenir, pour la première fois en appel, que la décision attaquée est entachée d'une rétroactivité illégale. Toutefois, une telle illégalité a pour seul effet d'entraîner son annulation en tant qu'elle fixe son entrée en vigueur à une date antérieure au 16 novembre 2021.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 11 octobre 2021 mettant fin au versement de la nouvelle bonification indiciaire en tant qu'elle fixe une date d'entrée en vigueur antérieure au 16 novembre 2021. Le jugement attaqué doit, dès lors, être annulé dans cette mesure.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. L'annulation, par le présent arrêt, de la décision du 11 octobre 2021 en tant qu'elle met fin à l'attribution de la nouvelle bonification indiciaire à Mme B... sur la période du 1er novembre au 16 novembre 2021 implique qu'il soit fait injonction à l'administration d'attribuer à l'appelante une nouvelle bonification indiciaire de vingt points, par application des dispositions de l'arrêté du 4 décembre 2001 fixant par département les emplois éligibles à la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice, et de procéder, sur cette période, au calcul et à la liquidation au profit de l'intéressée des sommes correspondantes, sous réserve qu'elles ne lui aient pas été d'ores et déjà versées, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire au cas d'espèce de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à
Mme B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2200213 du 10 novembre 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il n'a pas fait droit à la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 11 octobre 2021 mettant fin au versement de la nouvelle bonification indiciaire, en tant qu'elle fixe son entrée en vigueur à une date antérieure au 16 novembre 2021.
Article 2 : La décision du 11 octobre 2021 du directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse sud-est est annulée en tant qu'elle fixe son entrée en vigueur à une date antérieure au 16 novembre 2021.
Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de verser à Mme B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, un rappel des sommes qui lui sont dues au titre de la nouvelle bonification indiciaire pour la période du 1er novembre 2021 au 16 novembre 2021, selon les modalités fixées au point 14.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Mme B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 8 juillet 2025, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 16 juillet 2025.
N° 24MA00047 2