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10/07/2025 | FRANCE | N°24MA02971

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 3ème chambre, 10 juillet 2025, 24MA02971


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 3 avril 2024 par lequel le préfet du Var lui a retiré sa carte de séjour pluriannuelle délivrée en tant que travailleur saisonnier et lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai.



Par un jugement n° 2401142 du 4 juillet 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 avril

2024 portant retrait du titre de séjour.



Procédure devant la Cour :



I- Par une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 3 avril 2024 par lequel le préfet du Var lui a retiré sa carte de séjour pluriannuelle délivrée en tant que travailleur saisonnier et lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai.

Par un jugement n° 2401142 du 4 juillet 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 avril 2024 portant retrait du titre de séjour.

Procédure devant la Cour :

I- Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2024 sous le numéro 24MA02971, M. C..., représenté par Me Ibrahim, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2401142 du 4 juillet 2024 du tribunal administratif de Toulon ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 avril 2024 du préfet du Var ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet a méconnu les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a méconnu l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'exercice de son pouvoir général de régularisation et dans l'appréciation des conséquences de l'arrêté sur sa situation personnelle.

La requête a été communiquée au préfet du Var qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Par une décision du 25 octobre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille a admis M. C... à l'aide juridictionnelle totale.

Par un courrier du 12 juin 2025, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation des décisions contenues dans l'arrêté du préfet du Var du 3 avril 2024 autres que celle portant retrait du titre de séjour, les conclusions de première instance dirigées contre ces décisions ayant été rejetées par un jugement du 12 avril 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulon qui n'a pas été contesté dans le délai de recours.

II. Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2024 sous le numéro 24MA02972, M. C..., représenté par Me Ibrahim, demande à la Cour :

1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2401142 du 4 juillet 2024 du tribunal administratif de Toulon sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;

2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;

- les moyens qu'il soulève sont sérieux.

La requête a été communiquée au préfet du Var qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Par une décision du 25 octobre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille a admis M. C... à l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Platillero a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant marocain, bénéficiait d'un titre de séjour délivré par le préfet du Vaucluse le 9 juillet 2021 et valable jusqu'au 8 juillet 2024, en qualité de travailleur saisonnier, sur le fondement de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Estimant qu'il ne remplissait plus les conditions tenant à l'obtention de ce titre, le préfet du Var, par un arrêté du 3 avril 2024, a retiré, en application de l'article L. 432-5 de ce code, le titre de séjour qui avait été délivré à l'intéressé et lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai. Par un jugement du 12 avril 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulon a renvoyé à une formation collégiale les conclusions de la demande de M. C... tendant à l'annulation de cet arrêté, dirigées contre la décision de retrait du titre de séjour, et rejeté les conclusions dirigées contre les autres décisions contenues dans ledit arrêté. Par un jugement du 4 juillet 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions de la demande de M. C... tendant à l'annulation de la décision du 3 avril 2024 portant retrait du titre de séjour. M. C... relève appel de ce jugement.

2. Les requêtes n° 24MA02971 et n° 24MA02972 présentées par M. C... sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la recevabilité :

3. La requête présentée par M. C... est dirigée contre le seul jugement du 4 juillet 2024 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Var du 3 avril 2024, en tant qu'elles portaient sur la décision de retrait du titre de séjour. Ses conclusions tendant à l'annulation des autres décisions contenues dans cet arrêté, qui ont été rejetées par un jugement du 12 avril 2024 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulon qui n'a pas été contesté dans le délai de recours, sont ainsi irrecevables et doivent dès lors être rejetées.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce un emploi à caractère saisonnier, tel que défini au 3° de l'article L. 1242-2 du code du travail, et qui s'engage à maintenir sa résidence habituelle hors de France, se voit délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " d'une durée maximale de trois ans. / Cette carte peut être délivrée dès la première admission au séjour de l'étranger. / Elle autorise l'exercice d'une activité professionnelle et donne à son titulaire le droit de séjourner et de travailler en France pendant la ou les périodes qu'elle fixe et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de six mois par an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. " Aux termes de l'article L. 432-5 du même code : " Si l'étranger cesse de remplir l'une des conditions exigées pour la délivrance de la carte de séjour dont il est titulaire, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations, la carte de séjour peut lui être retirée par une décision motivée. La décision de retrait ne peut intervenir qu'après que l'intéressé a été mis à même de présenter ses observations dans les conditions prévues aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration. / N'est pas regardé comme ayant cessé de remplir la condition d'activité prévue aux articles L. 421-1, L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-21 l'étranger involontairement privé d'emploi au sens de ces mêmes articles. ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté, que, pour retirer la carte de séjour pluriannuelle dont M. C... était titulaire, le préfet du Var s'est fondé sur la circonstance que l'intéressé n'était pas muni d'une autorisation de travail délivrée par la plateforme nationale de la main d'œuvre étrangère, s'était maintenu sur le territoire français au-delà de la durée cumulée de six mois par an et n'était pas reparti vers son pays d'origine depuis son entrée en France en 2021. Cette décision de retrait du titre de séjour ayant pour effet, dès lors qu'elle était assortie d'une obligation de quitter le territoire français et n'était pas accompagnée de la délivrance d'un autre titre de séjour, de mettre fin au droit au séjour de M. C..., le préfet du Var, dans sa prise en compte de l'ensemble des circonstances relatives à la vie privée et familiale de l'intéressé, a estimé que celui-ci pouvait retourner dans son pays d'origine et revenir régulièrement sur le territoire français pour assurer la charge de ses enfants.

7. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'épouse de M. C..., lui-même présent en France depuis près de trois ans, avec laquelle il s'est marié au Maroc en 2015, est en situation régulière en France, où elle réside sous couvert d'une carte de résident de dix ans valable jusqu'en 2029, le préfet du Var ayant par ailleurs reconnu en première instance que l'intéressée était titulaire d'une telle carte depuis les années 2000. Le couple a trois enfants, nés en France en 2018, 2022 et 2023, et la réalité de leur vie commune, qui n'est d'ailleurs pas contestée par le préfet, est confirmée par une attestation du service social du département du Var, qui indique que le couple vit avec ses enfants à B... et que M. C... travaille et assure la subsistance de sa famille. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour de M. C... en France, et alors même qu'il se trouverait dans une catégorie d'étrangers pouvant prétendre au regroupement familial, la décision de retrait de son titre de séjour, assortie d'une obligation de quitter le territoire qui l'a privé de tout droit au séjour en France, prise pour les motifs mentionnés au point 6, a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. M. C... est dès lors fondé à soutenir que le préfet du Var a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales en prenant cette décision.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 avril 2024 par laquelle le préfet du Var lui a retiré sa carte de séjour pluriannuelle délivrée en tant que travailleur saisonnier. Ce jugement et cette décision doivent ainsi être annulés.

Sur la requête n° 24MA02972 :

9. Dès lors qu'elle se prononce sur les conclusions de M. C... tendant à l'annulation du jugement contesté, il n'y a pas lieu pour la Cour de statuer sur la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les frais liés au litige :

10. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Ibrahim, avocate de M. C..., au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve que cette avocate renonce à la perception de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 24MA02972 de M. C....

Article 2 : Le jugement n° 2401142 du 4 juillet 2024 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 3 : L'arrêté du 3 avril 2024 du préfet du Var est annulé, en tant qu'il retire le titre de séjour dont était bénéficiaire M. C....

Article 4 : L'Etat versera à Me Ibrahim, avocate de M. C..., sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 24MA02971 de M. C... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me Ibrahim et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Var.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2025.

2

N° 24MA02971 - 24MA02972


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA02971
Date de la décision : 10/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : IBRAHIM

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-10;24ma02971 ?
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