Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2312239 du 20 juin 2024, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 novembre 2024 et 25 avril 2025, M. A..., représenté par Me Colas, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 juin 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois ou, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé de demande de titre de séjour avec autorisation de travail, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros hors taxes sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il entend reprendre l'entier bénéfice de ses écritures de première instance, concernant tant les moyens de légalité interne que les moyens de légalité externe soulevés ;
- le jugement est entaché d'une erreur de fait par omission entraînant une erreur manifeste d'appréciation sur sa situation médicale ;
- la décision méconnaît les dispositions des articles L. 425-9 et L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur sa situation personnelle.
La procédure a été communiquée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui, en sa qualité d'observateur, a produit des observations le 2 avril 2025.
La requête a été transmise au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. A... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 septembre 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau ;
- les observations de Me Colas, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant malien né le 24 juillet 1960 est entré sur le territoire français à la fin de l'année 2017 selon ses déclarations, a obtenu la délivrance d'un titre de séjour temporaire " vie privée et familiale " en raison de son état de santé, valable du 22 novembre 2021 au 21 novembre 2022. Le 26 septembre 2022, celui-ci a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Par un arrêté daté du 19 septembre 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône lui a opposé un refus, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office. Par un jugement du 20 juin 2024, dont M. A... fait appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande aux fins d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions précitées, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, au sens de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.
5. Par un avis du 7 avril 2023, sur lequel s'est fondé le préfet des Bouches-du-Rhône pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. A..., le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé au Mali, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, et que cet état de santé peut lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine. Compte tenu du sens de cet avis, il appartient à M. A... de produire des éléments pour remettre en cause cette présomption et, le cas échéant, au préfet de les contester, la conviction du juge se déterminant au vu de ces échanges contradictoires.
6. Il ressort des pièces médicales produites que M. A... souffre de plusieurs maladies, en particulier d'un diabète, d'une hyperthyroïdie en lien avec la maladie de Basedow et d'hypertension artérielle. Le certificat médical du 23 novembre 2022 adressé au médecin de l'OFII, et celui du 15 février 2023 du pôle d'endocrinologie, maladies métaboliques et de la nutrition (ENDO) de l'hôpital de la Conception à Marseille mentionnent un traitement médical constitué notamment de Diamicron, antidiabétique oral, Liptruzet, réducteur du risque d'accidents cardiovasculaires, Triatec, utilisé pour l'hypertension et Atorvastatine, utilisé pour son action hypocholestérolémiante, couplés à un suivi endocrinologique et biologique tous les trois mois et une surveillance de sa pathologie cardiovasculaire. Le certificat médical du 23 novembre 2022 précise en outre que la maladie de Basedow dont souffre le requérant est " en phase d'équilibre ", que son hypertension artérielle est " modérée " et que son diabète est bien contrôlé, soulignant toutefois un risque de récidive d'hyperthyroïdie " pouvant requérir une reprise de traitement par Thyrozol " et un risque cardiovasculaire très élevé. Par ailleurs, les certificats médicaux du 10 novembre 2023 de son médecin généraliste, et ceux du 20 décembre 2023 et du 19 juillet 2024 établis par une praticienne hospitalière du pôle ENDO suivant M. A... depuis janvier 2018, et qui, bien que postérieurs à l'arrêté en litige, se rapportent à une situation préexistante et peuvent être pris en compte pour apprécier l'état de santé du requérant, soulignent une reprise évolutive de son diabète, requérant une mise sous insulinothérapie à raison de quatre injections par jour sous Novorapid et Abasaglar, une récidive de la maladie de Basedow, traitée par le Thyrozol, médicament antithyroïdien, une intensification de son traitement contre l'hypertension composé de Cotriatec, Loxen et Kardegic, des surveillances endocrinologique et diabétologique mensuelles et un suivi cardiologique semestriel pour son hypertension artérielle et une suspicion de maladie coronarienne.
7. Pour contester l'appréciation portée par le collège de médecins, M. A... se prévaut de l'évolution récidivante de ses multiples pathologies nécessitant un suivi médical rapproché et un lourd traitement médicamenteux et de l'impossibilité de bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine.
8. Le requérant se prévaut à cet effet de l'annexe de l'arrêté du ministre de la santé et du développement social du Mali, en date du 26 août 2019, fixant la liste nationale des médicaments essentiels en dénomination commune internationale (DCI) dans ce pays, montrant qu'aucun des médicaments prescrits à M. A... n'y figure, à l'exception de la Nicardipine, substance active du Loxen, et de l'Atorvastatine, une des substances actives du Liptruzet. Le caractère probant de cette annexe ne saurait être sérieusement mis en cause par la liste des médicaments produite par l'OFII, datant de 2018 et concernant exclusivement la prise en charge des médicaments par le système d'assurance maladie obligatoire, sans apporter d'information sur leur disponibilité effective au Mali. M. A... produit également plusieurs attestations de laboratoires, datant de décembre 2023 et novembre 2024, confirmant l'absence de commercialisation au Mali de certains médicaments prescrits à M. A... et nécessaires au traitement de ses pathologies, notamment ceux dénommés Thyrozol ou Thiamazole, les molécules ramipril et hydrochlorothiazide constituant le médicament Cotriatec, et la substance active ézétimibe du Liptruzet. Ni le préfet ni l'OFII ne démontrent qu'il existerait des traitements substituables ou équivalents à ces médicaments au Mali, à l'exception du Carbimazole, médicament substituable au Thiamazol selon l'OFII, figurant sur la liste des médicaments essentiels fournie par M. A.... Par ailleurs, et alors que ni la liste produite par le requérant, ni celle versée aux débats par l'OFII ne répertorient le médicament ézétimibe, il ressort du certificat médical du 19 juillet 2024 précité que le Liptruzet contient cet agent hypocholestérolémiant, indispensable au traitement de sa maladie cardiovasculaire qui " n'est pas substituable ", ce qui n'est contredit ni par le préfet ni par l'OFII. De surcroît, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le suivi biologique du diabète dont a besoin M. A... serait effectivement assuré dans certains établissements au Mali, le requérant produisant, sans être contesté sur ce point, une fiche Profil diabète de l'Organisation mondiale de la santé de 2016 indiquant notamment que le test de glycémie HbA1c n'est pas disponible dans ce pays, et le certificat médical du 19 juillet 2024 émettant également des incertitudes sur sa disponibilité.
9. Dans ces conditions, et alors que le préfet se borne à se référer à l'avis du collège des médecins de l'OFII et que l'OFII ne contredit pas efficacement les éléments exposés au point précédent, M. A... doit être regardé comme établissant qu'il ne pourra pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine. Il est dès lors fondé à soutenir qu'en lui refusant le renouvellement d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il suit de là que la décision du 19 septembre 2023 est illégale et doit être annulée, de même que, par voie de conséquence, celles l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en l'absence d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, la délivrance à M. A... d'un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer ce titre de séjour dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de ce titre, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
12. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Colas, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Colas de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2312239 du 20 juin 2024 du tribunal administratif de Marseille et l'arrêté du 19 septembre 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. A... un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Colas, avocate de M. A..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Colas et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et à l'OFII.
Délibéré après l'audience du 26 juin 2025, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2025.
N° 24MA02746 2
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