La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/06/2025 | FRANCE | N°24MA02610

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 17 juin 2025, 24MA02610


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder au réexamen de sa situation, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans un

délai de deux semaines à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder au réexamen de sa situation, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux semaines à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2405473 du 4 octobre 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nice a :

- admis à titre provisoire M. A... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

- annulé l'arrêté du 1er octobre 2024 du préfet des Alpes-Maritimes ;

- enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A... B... dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement et de le munir, dans l'attente de ce réexamen et dans le délai de quinze jours suivant la notification du jugement, d'une autorisation provisoire de séjour ;

- mis à la charge de l'État la somme de 900 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

- rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 octobre 2024, le préfet des Alpes-Maritimes demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice.

Il soutient que :

- M. A... B... constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société au sens des dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la mesure d'éloignement n'a vocation à être exécutée qu'à l'issue de la peine actuellement en cours d'exécution ;

- l'arrêté ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée à M. A... B... qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 ;

- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties le jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Danveau.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant de nationalité portugaise né le 29 décembre 1993, s'est vu notifier un arrêté du 1er octobre 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an. Par un jugement du 4 octobre 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté. Le préfet des Alpes-Maritimes relève appel de ce jugement.

Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. D'une part, aux termes de l'article 27 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union européenne et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres : " 1. (...) les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union ou d'un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. (...) / 2. Les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu concerné. L'existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures. Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues. (...) ". Aux termes de l'article 28 de la même directive : " 1. Avant de prendre une décision d'éloignement du territoire pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique, l'État membre d'accueil tient compte notamment de la durée du séjour de l'intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l'État membre d'accueil et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. (...) ". Aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".

3. Les dispositions du 2° de l'article L. 251-1 citées au point précédent doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 précitée et notamment de ses articles 27 et 28. Il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

4. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a été condamné le 28 janvier 2016 par le tribunal correctionnel de Nice à une peine de trois ans d'emprisonnement pour des faits de destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes. Il a ensuite été condamné par un jugement du 20 juin 2016 du même tribunal à une peine de six mois d'emprisonnement pour des faits de détention non autorisée de stupéfiants et de recel de biens. Il a, de nouveau, été condamné par le tribunal correctionnel de Nice le 5 septembre 2018 à une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, le 5 février 2020 à une peine de quatre mois d'emprisonnement pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis de conduire et refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, puis le 25 juin 2020, à une peine de huit mois d'emprisonnement pour des faits de même nature de conduite d'un véhicule sans permis en récidive. Il a par ailleurs été reconnu coupable le 5 août 2024 par le tribunal correctionnel de Grasse de conduite d'un véhicule sans assurance en récidive en ayant fait usage de stupéfiants, et a été condamné à une peine d'emprisonnement de cinq mois. Au cours de sa dernière incarcération, il a bénéficié, à compter du 1er octobre 2024, d'une libération conditionnelle. Par ailleurs, le fichier des antécédents judiciaires produit par le préfet fait apparaître que M. A... B..., qui ne conteste pas la matérialité de ces infractions, a été mis en cause à de nombreuses reprises, notamment en juin 2011 et novembre 2013 pour des faits de vol, en juin 2013 pour des menaces de mort, en janvier 2023 pour des faits de vol par effraction, en mai 2023 pour des faits de violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, et en janvier et avril 2024 pour des faits d'usage illicite de stupéfiants et de circulation sans permis et avec un véhicule non assuré.

6. En outre, si M. A... B... déclare résider habituellement en France depuis 2007, il ne l'établit pas par la seule attestation rédigée par sa mère. S'il se prévaut par ailleurs d'un concubinage avec une ressortissante française souffrant de plusieurs maladies, avec qui il a eu un enfant né le 4 août 2019, l'attestation d'hébergement de cette dernière du 19 septembre 2024, accompagnée d'un bail conclu sur la période du 24 septembre 2024 au 14 juin 2025, ainsi que l'ordonnance judiciaire de libération conditionnelle fixant la résidence de M. A... B... à ce domicile à compter du 1er octobre 2024 ne permettent pas d'établir la réalité, l'ancienneté et la stabilité d'une communauté de vie. Les attestations de sa mère, de la mère de sa concubine et d'une amie sont insuffisantes pour démontrer l'intensité des liens entretenus avec sa compagne et son enfant. Le contrat à durée indéterminée conclu le 30 août 2023 avec la société JLP Plascassier, accompagné de trois bulletins de paie, ainsi que la promesse d'embauche du 1er août 2024 de la société Super Viandes concernant tous deux des emplois de vendeur, ne permettent pas de justifier d'une particulière intégration socio-professionnelle, alors qu'il a fait l'objet de nombreuses condamnations pénales depuis 2016 et de peines d'emprisonnement fermes d'une durée totale de quatre ans et onze mois. Enfin, s'il se prévaut de la présence en France de sa mère et du décès de son père, il n'établit pas être dépourvu d'attaches personnelles et familiales au Portugal.

7. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de l'absence de preuve d'une résidence habituelle en France depuis 2007, au demeurant ponctuée par plusieurs peines d'emprisonnement, de la nature des faits pour lesquels l'intéressé a été condamné et de leur réitération, de l'absence d'intégration socio-professionnelle en France, le préfet des Alpes-Maritimes, en estimant que la présence de M. A... B... sur le territoire français constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, n'a pas fait une inexacte application des dispositions du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 1er octobre 2024 au motif qu'il aurait méconnu ces dispositions et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... B... tant devant le tribunal administratif de Nice que devant la cour.

Sur les autres moyens de la demande :

9. Le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait insuffisamment motivée est dépourvu de toute précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

10. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 5 à 7, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.

11. M. A... B... soutient que la décision d'éloignement est incompatible avec ses obligations pénales. Toutefois, la circonstance que la juge de l'application des peines lui ait octroyé une mesure de libération sous contrainte à compte du 1er octobre 2024 jusqu'au terme de sa peine prévu le 27 octobre suivant est en elle-même sans incidence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français et ne méconnaît pas le principe de séparation des pouvoirs garanti par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

12. Aux termes de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. ".

13. Eu égard à l'ensemble des circonstances, mentionnées ci-dessus, et notamment à celles caractérisant la menace à l'ordre public que représente M. A... B... et à l'absence d'éléments probants sur sa vie commune avec sa concubine, ses relations avec son enfant et son insertion dans la société française, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas pris une mesure disproportionnée en fixant à une année la durée de l'interdiction de circulation sur le territoire français qu'il a édictée.

14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, alors que le droit à la libre circulation des ressortissants européens peut connaître des restrictions notamment lorsque le comportement de l'intéressé représente une menace suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas méconnu les stipulations de l'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 45 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les dispositions de l'article 27 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen du 29 avril 2004.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Alpes-Maritimes est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 1er octobre 2024 par lequel il a fait obligation à M. A... B... de quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Nice.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2405473 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nice du 4 octobre 2024 est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... B... présentée devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2025, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 juin 2025.

N° 24MA02610 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA02610
Date de la décision : 17/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-17;24ma02610 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award