Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 15 mars 2023 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de renouveler sa carte de résident.
Par un jugement n° 2302409 du 16 octobre 2024, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à sa demande et a enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer une carte de résident dans un délai de deux mois.
Procédure devant la Cour
Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2024, le préfet des Alpes-Maritimes demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif ;
Il soutient que :
- même si les faits commis par M. B... n'entrent pas dans le cadre des dispositions de l'article L. 432-12, dans sa version applicable à la date de la décision en litige, la Cour ne peut ignorer la menace grave à l'ordre public que représente l'intéressé ;
- les faits commis par M. B..., qui a été condamné à une peine de six mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Nice le 21 juin 2021 pour des faits d'" agression sexuelle par une personne en état d'ivresse manifeste " caractérisent une menace pour l'ordre public ; ces faits ne sont pas isolés ainsi qu'en atteste le fichier " Traitement d'antécédents judiciaires " (TAJ).
Par un mémoire, enregistré le 21 février 2025, M. B... et l'association tutélaire des personnes protégées des Alpes-Maritimes, représentés par Me Trifi, concluent au rejet de la requête et demandent à la Cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à leur conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
- les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés ;
- la requête du préfet a été signée par une autorité incompétente ;
- la procédure est irrégulière en ce que le préfet s'est fondé sur la consultation des antécédents judiciaires sans procéder au préalable à la saisine du procureur de la République, ce vice ayant privé M. B... d'une garantie ;
- la décision du 15 mars 2023 est entachée d'erreur de droit, dès lors que les faits commis ne relèvent de ceux mentionnés à l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors applicable ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, dès lors que M. B... ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- elle est entachée d'un vice de procédure en l'absence de consultation de la commission du titre de séjour ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce que l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est applicable uniquement au retrait d'une carte de résident, et non au refus de renouvellement, strictement encadré par les articles L. 411-5 et L. 432-3 du même code ;
- elle méconnaît l'article L. 433-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Courbon, présidente assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré, présentée par M. B..., a été enregistrée le 6 mai 2025 et non communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant tunisien né le 22 septembre 1969, placé sous curatelle renforcée de l'association tutélaire des personnes protégées des Alpes-Maritimes, a bénéficié d'une carte de résident valable du 4 juin 2012 au 3 juin 2022, dont il a sollicité le renouvellement. Par décision en date du 15 mars 2023, le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de faire droit à sa demande et décidé de lui délivrer une carte de séjour temporaire. Le préfet des Alpes-Maritimes relève appel du jugement du 16 octobre 2024 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. B... une carte de résident.
Sur l'appel du préfet des Alpes-Maritimes :
2. D'une part, en vertu de l'article L. 433-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige, sous réserve des dispositions des articles L. 411-5 et L. 432-3 du même code, qui prévoient, respectivement, la péremption d'une carte de résident après plus de trois années d'absence du territoire français et l'impossibilité de délivrer une telle carte à un étranger en état de polygamie ou qui a été condamné pour avoir commis sur un mineur de quinze ans l'infraction de violences ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente, ou s'être rendu complice de celle-ci, une carte de résident est renouvelable de plein droit.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable : " Si un étranger qui ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application des articles L. 631-2 ou L. 631-3 est titulaire d'une carte de résident cette dernière peut lui être retirée s'il fait l'objet d'une condamnation définitive sur le fondement des articles 433-3,433-4, des deuxième à quatrième alinéas de l'article 433-5, du deuxième alinéa de l'article 433-5-1 ou de l'article 433-6 du code pénal. / Une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" lui est alors délivrée de plein droit. ".
4. Par la décision du 15 mars 2023, le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de renouveler la carte de résident dont M. B... était titulaire, qui expirait le 3 juin 2022, en se fondant sur l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pourtant relatif au retrait des cartes de résident. Il ressort des termes de cette décision que le préfet des Alpes-Maritimes a retenu que M. B... avait été définitivement condamné le 21 juin 2021 par le tribunal correctionnel de Nice pour des faits d'agression sexuelle par une personne en état d'ivresse manifeste. Toutefois, les faits commis par l'intéressé, pour graves qu'ils soient, n'entrent pas dans le champ des infractions, énumérées à cet article, pouvant justifier le retrait d'une carte de résident, à savoir les menaces et actes d'intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique (code pénal, art. 433-3), la soustraction et le détournement de biens contenus dans un dépôt public (code pénal, art. 433-4), l'outrage adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique ou à une personne chargée d'une mission de service public (code pénal, art. 433-5), l'outrage public vis-à-vis de l'hymne national ou du drapeau tricolore commis en réunion (code pénal, art. 433-5-1) et la rébellion (code pénal, art. 433-6). Au demeurant, M. B... n'entre pas davantage dans les prévisions des articles L. 432-10 et L. 432-11 du même code, alors en vigueur, autorisant le retrait d'une carte de résident, ni dans celles des articles L. 411-5 et L. 432-3 de ce code autorisant le non-renouvellement d'une telle carte, en vertu de l'article L. 433-2. Par suite c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la décision du 15 mars 2023 prise à l'encontre de M. B... était entachée d'erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Alpes-Maritimes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 15 mars 2023.
Sur les frais liés au litige :
6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Trifi, son conseil, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
D É C I D E:
Article 1er : La requête du préfet des Alpes-Maritimes est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Me Trifi, conseil de M. B... et de l'ATIAM, en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... B..., à l'association tutélaire des personnes protégées des Alpes-Maritimes et à Me Trifi.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Portail, président de chambre,
- Mme Courbon, présidente assesseure,
- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 mai 2025.
2
N° 24MA03102