Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... et Mme A... D... ont demandé, par deux requêtes introductives d'instance, au tribunal administratif de Nice d'annuler les arrêtés du 27 septembre 2023 par lesquels le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2305507, 2305508 du 20 mars 2024, le tribunal administratif de Nice a, après avoir joint les deux requêtes, rejeté les demandes de M. C... et de Mme D....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2024, Mme D... et M. C..., représentés par Me Almairac, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 mars 2024 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler les arrêtés du 27 septembre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de leur délivrer les titres de séjour demandés, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les arrêtés sont entachés d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen sérieux de leur situation ;
- ils méconnaissent les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ils méconnaissent les dispositions de la circulaire " Valls " ;
- ils ont été pris en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'arrêté notifié à Mme D... méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les arrêtés sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit de mémoire.
Mme D... et M. C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la cour a désigné Mme Rigaud, présidente assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Danveau.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant arménien né le 18 janvier 1982, et Mme D..., ressortissante ukrainienne née le 14 décembre 1978, sollicitent l'annulation du jugement du 20 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Nice leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour et leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Les décisions refusant à Mme D... et à M. C... la délivrance d'un titre de séjour et les obligeant à quitter le territoire français visent notamment les articles L. 423-23, L. 435-1 et le 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la convention internationale relative aux droits de l'enfant. En outre, ces décisions mentionnent de manière précise et circonstanciée la situation des requérants. Ainsi, le préfet desAlpes-Maritimes, qui n'avait pas à mentionner toutes les circonstances de fait relatives à leur situation, a cité les éléments pertinents dont il avait connaissance, à savoir notamment leur demande d'admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée familiale, leur vie en concubinage, la présence en France de leurs deux enfants scolarisés et de la mère de Mme D... titulaire d'une carte de résident, le rejet de leur demande d'asile respective par l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la cour nationale du droit d'asile (CNDA) et l'existence de précédentes mesures d'éloignement non exécutées. Ce faisant, la motivation des arrêtés en litige, qui s'apprécie indépendamment du bien-fondé des motifs retenus par le préfet des Alpes-Maritimes, apparaît suffisante tant en droit qu'en fait.
3. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que les requérants, entrés régulièrement pour un court séjour en France le 25 février 2018 et vivant en concubinage, se sont maintenus irrégulièrement sur le territoire français malgré une mesure d'éloignement édictée à leur encontre le 31 décembre 2019, suite au rejet de leur demande d'asile par l'OFPRA le 26 février 2019 et par la CNDA le 16 décembre 2019. Le couple a eu deux enfants, de nationalité ukrainienne, nés le 21 avril 2012, et actuellement scolarisés en France. Les requérants ne font toutefois état d'aucune circonstance caractérisant une insertion sociale ou professionnelle particulièrement notable, les pièces qu'ils produisent étant essentiellement constituées de justificatifs de la location d'un appartement à Cannes à partir de l'année 2020, de relevés de comptes bancaires distincts, d'avis d'imposition nuls et de demandes d'autorisation de travail présentées en janvier 2022, portant sur des emplois de cuisinière et de vendeur en contrats à durée indéterminée. Par ailleurs, la seule présence en France de la mère de Mme D..., titulaire d'un titre de séjour expirant le 15 décembre 2024, n'est pas suffisante pour leur conférer un droit au séjour. En se limitant à produire deux certificats de propriété de biens commerciaux situés à Marioupol en Ukraine, les requérants n'établissent pas qu'ils résidaient en Ukraine jusqu'en 2018 avant le déclenchement du conflit armé avec la Russie, alors qu'au demeurant les tampons apposés dans les passeports des intéressés ne révèlent aucun déplacement vers l'Ukraine, montrent que les concubins sont arrivés sur le territoire français en provenance d'Arménie et révèlent, pour M. C..., des passages fréquents dans son pays d'origine. Mme D..., ressortissante ukrainienne, et M. C..., ressortissant arménien, n'établissent pas davantage que la cellule familiale ne pourrait se reconstruire hors de France, notamment en Arménie, où sont nés leurs deux enfants qui pourraient y poursuivre leur scolarité et où résident les parents de M. C.... Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour en France des intéressés, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas porté une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale et n'a donc, par suite, méconnu ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prenant les décisions contestées. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage entaché ses décisions d'un défaut d'examen sérieux de leur situation et d'une erreur manifeste d'appréciation.
5. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / (...) ".
6. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de l'article L. 435-1 par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".
7. Compte tenu des éléments mentionnés au point 4 du présent arrêt, en considérant que Mme D... et M. C... ne justifiaient pas de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, à l'encontre des décisions en litige, des termes de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur, laquelle, relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, se borne à énoncer des orientations générales que le ministre de l'intérieur a adressées aux préfets pour les éclairer dans la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation.
9. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. Les arrêtés attaqués n'ont pas pour effet de contraindre Mme D... et M. C... à se séparer de leurs enfants. Si les requérants invoquent la scolarisation de leurs enfants mineurs en France, il n'est fait état d'aucune circonstance particulière faisant obstacle à la poursuite de leur scolarité dans un établissement d'enseignement situé dans un autre pays que la France, notamment en Arménie ainsi qu'il est dit au point 4. Les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que le préfet a pris l'arrêté contesté en méconnaissance des stipulations précitées de la convention internationale des droits de l'enfant.
11. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / (...) / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Selon les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, aux termes des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : " 1. Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (...). ".
12. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent utilement être soulevés au soutien de conclusions tendant à l'annulation des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français lesquelles n'ont ni pour objet, ni pour effet, de fixer le pays de destination.
13. Mme D..., qui doit cependant être regardée comme invoquant ce moyen à l'encontre de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement, fait valoir qu'en raison de la situation de guerre dans laquelle se trouve l'Ukraine, elle est exposée à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, la décision attaquée, qui n'a pas désigné comme pays de renvoi de l'intéressée l'Ukraine, où l'existence d'un conflit armé avec la Russie fait, en tout état de cause, actuellement obstacle à la mise à exécution de son éloignement dans ce pays, précise qu'elle a " l'obligation de quitter le territoire français (...) à destination de tout pays où elle est légalement admissible ", évoquant dans ses motifs l'Arménie, pays d'origine de son concubin et de naissance de ses deux enfants. Ainsi, et dès lors qu'il n'est pas établi qu'il existerait un obstacle à ce qu'elle rejoigne l'Arménie, où elle ne justifie, ni même n'allègue, être personnellement l'objet de persécutions, Mme D... n'est pas fondée à se prévaloir de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la convention de Genève et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... et M. C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande. Leurs conclusions à fin d'annulation doivent donc être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... et de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., à M. B... C..., à Me Almairac et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 28 avril 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Rigaud, présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Mahmouti, premier conseiller,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2025.
N° 24MA01724 2
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