Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2023 par lequel le préfet du Var a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre audit préfet, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou, subsidiairement, la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, en application de l'article L. 911-3 du même code, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour et, enfin de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2303301 du 26 mars 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2024, Mme A... B..., représentée par Me Bochnakian, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 26 mars 2024 ;
2°) d'annuler cet arrêté du préfet du Var du 14 septembre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Var, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou, subsidiairement, la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter d'un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, en application de l'article L. 911-3 du même code, ou, à défaut, et sur le fondement de l'article L. 911-2 dudit code, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de cette même notification et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- alors qu'elle avait sollicité une admission exceptionnelle au séjour sous l'angle des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en qualité de salariée, le préfet du Var aurait dû apprécier sa situation en application du pouvoir discrétionnaire de régularisation dont il dispose sans texte ; le représentant de l'Etat a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'examen de son droit au séjour ;
- la Cour pourra lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sous l'angle de sa vie privée et familiale, de celles de l'article L. 423-23 du même code ainsi que des
stipulations 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet du Var qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 13 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 janvier 2025, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- l'accord du 4 décembre 2003 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne relatif aux échanges de jeunes professionnels ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- et les observations de Me Bochnakian, représentant Mme A... B....
Considérant ce qui suit :
1. Le 30 avril 2015, Mme A... B..., née le 1er juin 1988 et de nationalité tunisienne, s'est vue délivrer une autorisation de travail pour la conclusion d'un contrat à durée déterminée d'un an à effet au 12 mars 2016, auprès de la boulangerie " A... B... " dont son frère est le gérant et qu'il exploite à Toulon. Le 11 mars 2016, Mme A... B... est entrée sur le territoire français, sous couvert d'un visa long séjour, valant titre de séjour, valable du 11 février 2016 au 11 janvier 2017, en qualité de " jeune professionnelle ". Le 8 avril 2022, Mme A... B..., qui s'est maintenue sur le territoire français malgré l'expiration de ce visa et qui avait déjà essuyé deux refus, a sollicité du préfet du Var, pour la troisième fois, la délivrance d'un titre de séjour. Mme A... B... a complété son dossier par des courriers des 15 septembre 2022 et 12 avril 2023. Par un arrêté du 14 septembre 2023, le préfet du Var a de nouveau refusé de faire droit à cette demande et a fait obligation à Mme A... B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours avant de fixer le pays à destination duquel elle serait susceptible d'être éloignée à l'expiration de ce délai. Mme A... B... relève appel du jugement du 26 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant principalement à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le préfet du Var n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme A... B... avant de prendre l'arrêté en litige. Ce moyen doit dès lors être écarté.
3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 1er de l'accord franco-tunisien susvisé du 4 décembre 2003 relatif aux échanges de jeunes professionnels : " Les dispositions du présent Accord sont applicables à des ressortissants français ou tunisiens entrant dans la vie active ou ayant une expérience professionnelle et qui se rendent dans l'autre Etat pour approfondir leur connaissance et leur compréhension de l'Etat d'accueil et de sa langue, ainsi que pour améliorer leurs perspectives de carrière, grâce à une expérience de travail salarié dans un établissement à caractère sanitaire ou social, une entreprise agricole, artisanale, industrielle ou commerciale dudit Etat. / Ces ressortissants, ci-après dénommés "jeunes professionnels", sont autorisés à occuper un emploi dans les conditions fixées au présent Accord, sans que la situation du marché du travail de l'Etat d'accueil, dans la profession dont il s'agit, puisse être prise en considération. (...) ". Aux termes de l'article 3 de ce même accord : " La durée autorisée de l'emploi peut varier de trois à douze mois et faire éventuellement l'objet d'une prolongation de six mois. / Avant de quitter leur pays, les jeunes professionnels français et tunisiens doivent s'engager à ne pas poursuivre leur séjour dans l'Etat d'accueil à l'expiration de la période autorisée, ni à prendre un emploi autre que celui prévu aux termes des conditions de leur entrée dans l'Etat d'accueil. (...) ".
4. D'autre part, selon les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du
17 mars 1988 en matière de séjour et de travail : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention "salarié" (...) ". Aux termes de l'article 11 du même accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord ".
5. Enfin, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou
"vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
6. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 435-1 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée.
Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien du
17 mars 1988 prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions précitées à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
7. En l'espèce, alors que c'est à bon droit que, après en avoir dûment informé les parties conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les premiers juges ont substitué le pouvoir discrétionnaire de régularisation du préfet aux dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'agissant de la demande de délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ", Mme A... B... persiste à soutenir devant la Cour que le préfet du Var aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'exercer ce pouvoir. Toutefois, l'appelante ne fait valoir aucun élément de fait ou de droit nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation des premiers juges sur ce moyen. Il y a donc lieu d'écarter ce moyen repris en cause d'appel par adoption des motifs retenus à bon droit et avec suffisamment de précision par lesdits juges aux points 4 à 9 de leur jugement attaqué.
8. En troisième lieu, Mme A... B... ne peut utilement, pour contester l'appréciation à laquelle s'est livrée le préfet du Var, se prévaloir de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors, d'une part, que celle-ci ne revêt pas un caractère réglementaire et, d'autre part, que les critères de régularisation y figurant ne présentent pas le caractère de lignes directrices susceptibles d'être invoquées mais constituent de simples orientations pour l'exercice, par le préfet, de son pouvoir de régularisation.
9. En quatrième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. "
10. Si Mme A... B... soutient être entrée en France le 11 mars 2016 et y travailler depuis lors, il est constant qu'elle a détourné l'objet du visa qui lui avait été délivré en qualité de " jeune professionnelle " et qu'elle a en toute connaissance de cause illégalement signé des contrats de travail. Elle s'est en outre irrégulièrement maintenue sur le territoire français alors même que le préfet du Var avait pris à son encontre deux précédentes mesures d'éloignement, par des arrêtés des 16 novembre 2017 et 14 novembre 2019, dont la légalité a été confirmée, pour le premier, par un jugement n° 1704597 du tribunal administratif de Toulon du 2 mars 2018 devenu définitif, et, pour le second, par un arrêt n° 20MA01304 de la Cour du 21 septembre 2020, devenu irrévocable. Si, à l'appui de sa troisième demande de titre de séjour, Mme A... B... se prévaut de son mariage avec un compatriote, le 21 mai 2022, à Toulon, et de la naissance, le 2 avril 2023, dans cette même ville, d'une enfant, à supposer même que, comme elle l'affirme sans en justifier, son époux réside régulièrement sur le territoire français, cette situation présente un caractère trop récent pour établir qu'elle aurait transféré en France le centre de sa vie privée et familiale. D'ailleurs, l'appelante ne fait état d'aucune circonstance qui s'opposerait à ce qu'elle puisse poursuivre avec son époux et leur enfant leur vie familiale dans leur pays d'origine, ou tout autre pays de leur choix. Enfin, malgré la présence de son père et de l'un de ses frères sur le territoire français, il ressort des propres déclarations de l'appelante aux services préfectoraux que sa mère, ses trois autres frères et ses deux sœurs vivent toujours en Tunisie, pays dans lequel elle-même a vécu jusqu'à l'âge de plus de vingt-sept ans. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le préfet du Var n'a pas porté au droit de Mme A... B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris son arrêté contesté. Le représentant de l'Etat n'a donc méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'a pas davantage entaché cet arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation personnelle de l'appelante.
Il s'ensuit que l'ensemble de ces moyens doit être écarté.
11. En cinquième et dernier lieu, les circonstances évoquées par Mme A... B... et exposées au point précédent du présent arrêt ne constituent pas des motifs exceptionnels et ne relèvent pas non plus de considérations humanitaires au sens des dispositions de l'article
L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, en refusant de l'admettre exceptionnellement au séjour sur le fondement de ces dernières dispositions, au titre de sa vie privée et familiale, le préfet du Var n'a pas commis d'erreur de droit, ni entaché son appréciation d'une erreur manifeste. Ces moyens doivent dès lors être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
13. Le présent arrêt, qui rejette l'ensemble des conclusions à fin d'annulation présentées par Mme A... B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par conséquent, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent également être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de Mme A... B... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, où siégeaient :
- M. Duchon-Doris, président de la Cour,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2025.
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No 24MA00935