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25/04/2025 | FRANCE | N°24MA01314

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 25 avril 2025, 24MA01314


Vu les procédures suivantes :



I°)



Procédure contentieuse antérieure :



La société Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 11 janvier 2022 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur a prononcé à son encontre plusieurs amendes administratives au titre de manquements aux articles L. 3121-18, L. 3121-20, L. 3121-22, L. 3131-1 et L. 3132-2 du code du travail, pour un montant total de

83 200 euros.



Par un jugement n° 2200610 du 25 avril 2024, le tribunal administratif d...

Vu les procédures suivantes :

I°)

Procédure contentieuse antérieure :

La société Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 11 janvier 2022 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur a prononcé à son encontre plusieurs amendes administratives au titre de manquements aux articles L. 3121-18, L. 3121-20, L. 3121-22, L. 3131-1 et L. 3132-2 du code du travail, pour un montant total de 83 200 euros.

Par un jugement n° 2200610 du 25 avril 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire non communiqué, enregistrés les 28 mai 2024 et 14 février 2025 sous le n° 24MA01314, la société Distribution Casino France, représentée par Me Bouchez El Ghozi, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 avril 2024 ;

2°) d'annuler la décision du 11 janvier 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les pièces n° 17, 18, 19 et 21 annoncées jointes au mémoire de l'administration ne l'étaient pas ; le caractère contradictoire de la procédure a été méconnu ;

- le principe du contradictoire a été méconnu en amont de la prise de la décision attaquée ; la mention de la possibilité d'obtenir la communication du dossier est imprécise, le projet d'amende a été notifié plus d'un an après la transmission du rapport ;

- les dispositions des articles L. 8115-1, L. 8115-3 et L. 8115-4 du code du travail ont été méconnues ; le montant unitaire de l'amende doit être multiplié par le nombre de salariés concernés, et non par le nombre de fois où un même manquement est constaté pour un même salarié ;

- le montant unitaire de l'amende n'a pas été fixé conformément aux critères fixés par les dispositions de l'article L. 8115-4 du code du travail dès lors qu'il est identique pour chaque manquement, indépendamment de sa gravité propre ; il est disproportionné.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

II°)

Procédure contentieuse antérieure :

La société Distribution Casino France doit être regardée comme ayant demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le titre de perception émis le 10 mars 2022 à son encontre par le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur pour le recouvrement de la somme de 83 200 euros due au titre des amendes administratives prononcées le 11 janvier 2022, ensemble la décision du 4 juillet 2022 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2202424 du 5 décembre 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2025 sous le n° 25MA00111, la société Distribution Casino France, représentée par Me Bouchez El Ghozi, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 décembre 2024 ;

2°) d'annuler le titre de perception du 10 mars 2022 et la décision du 4 juillet 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la créance n'est pas certaine dès lors qu'elle est contestée dans le cadre de l'instance enregistrée sous le n° 24MA01314 ; toute autre interprétation, et les dispositions de l'article L. 8115-7 du code du travail, méconnaissent le droit au recours effectif garanti par les article 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de même que la présomption d'innocence garantie par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- pour les mêmes motifs qu'exposés dans l'instance enregistrée sous le n° 24MA01314, les dispositions des articles L. 8115-1, L. 8115-3 et L. 8115-4 du code du travail ont été méconnues dès lors que chaque manquement a été sanctionné, et le montant de chaque amende est disproportionné.

La requête a été communiquée à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle effectué par l'inspectrice du travail dans l'établissement secondaire de la société Distribution Casino France situé au Beausset, il a été constaté qu'entre la fin de l'année 2019 et le milieu de l'année 2020, les durées maximales de travail quotidienne et hebdomadaire, absolue et moyenne, fixées par les articles L. 3121-18, L. 3121-20 et L. 3121-22 du code du travail n'avaient, à plusieurs reprises, pas été respectées pour plusieurs salariés de l'établissement, de même que les durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire fixées par les articles L. 3131-1 et L. 3132-2 du même code. Dans l'instance enregistrée sous le n° 24MA01314, la société Distribution Casino France relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon n° 2200610 du 25 avril 2024 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 janvier 2022 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur a prononcé à son encontre plusieurs amendes administratives à ce titre, pour un montant total de 83 200 euros. Dans l'instance enregistrée sous le n° 25MA00111, elle relève appel du jugement n° 2202424 du 5 décembre 2024, rendu par le même tribunal, rejetant sa demande tendant à l'annulation du titre de perception émis à son encontre le 10 mars 2022 pour le recouvrement de cette somme, ensemble la décision du 4 juillet 2022, rejetant son recours gracieux. Il y a lieu de joindre ces deux instances qui concernent la même créance pour y statuer par un même arrêt.

Sur la régularité du jugement n° 2200610 du 25 avril 2024 :

2. Les pièces n° 17, 18, 19 et 21, annoncées dans le bordereau de pièces jointes au mémoire de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur enregistré au greffe du tribunal administratif de Toulon le 4 juillet 2022, n'ont pas été produites par l'administration. Toutefois, les premiers juges n'ont de ce fait pas pu prendre en compte ces pièces pour se prononcer, de telle sorte qu'aucun manquement au caractère contradictoire de la procédure contentieuse ne peut en résulter. Le jugement attaqué n'est dès lors à cet égard pas irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement n° 2200610 du 25 avril 2024 :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : / 1° Aux dispositions relatives aux durées maximales du travail fixées aux articles L. 3121-18 à L. 3121-25 et aux mesures réglementaires prises pour leur application ; / 2° Aux dispositions relatives aux repos fixées aux articles L. 3131-1 à L. 3131-3 et L. 3132-2 et aux mesures réglementaires prises pour leur application ; / (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8115-5 du même code régissant la procédure d'infliction des amendes : " Avant toute décision, l'autorité administrative informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter, dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, ses observations ". Ce délai est fixé à un mois par l'article R. 8115-10 du même code notamment lorsque les amendes sont prononcées sur le fondement de l'article L. 8115-1.

4. En l'espèce, par courrier du 21 octobre 2021, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités a informé la société que, à l'issue du contrôle engagé le 7 février 2020 au sein du magasin situé au Beausset, l'analyse des enregistrements du temps de travail établis pour six salariés avait permis de constater que les durées maximales de travail quotidienne et hebdomadaire, absolue et moyenne, ainsi que les durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire fixées par les articles L. 3121-18, L. 3121-20, L. 3121-22, L. 3131-1 et L. 3132-2 du code du travail n'avaient, à plusieurs reprises, pas été respectées. Ce courrier comportait des tableaux indiquant précisément les semaines et les jours durant lesquels chaque manquement avait été constaté et le nom du salarié concerné, de même qu'il totalisait le nombre de manquements en cause. Il informait la requérante du montant unitaire de l'amende maximale encourue, de ce que " le dossier " pouvait lui être communiqué sur demande et de ce qu'un délai d'un mois lui était imparti pour formuler ses observations écrites ou orales. A la suite d'une demande formulée en ce sens par courrier du 17 novembre 2021, le rapport établi par l'inspectrice du travail le 28 octobre 2020, accompagné de ses annexes, a été transmis à la requérante par courrier du 23 novembre 2021. Elle a ensuite pu formuler ses observations par courrier du 22 décembre 2021, avant que le directeur n'arrête sa décision, le 11 janvier suivant. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le principe du contradictoire, dont le respect est en l'espèce exigé par les dispositions de l'article L. 8115-5 du code du travail, n'a pas été méconnu. Les circonstances, d'une part, que le directeur a engagé la procédure contradictoire presqu'un an après l'établissement de son rapport par l'inspectrice du travail, d'autre part, que le courrier du 21 octobre 2021 n'a pas comporté davantage de précisions quant à la teneur du dossier dont la requérante a au demeurant demandé et obtenu la communication, sont à cet égard sans incidence.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 8115-3 du code de travail : " Le montant maximal de l'amende est de 4 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. / (...) ". Aux termes de l'article L. 8115-4 du même code : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges ".

6. Les dispositions des articles L. 8115-1, L. 8115-3 et L. 8115-4 du code du travail permettent à l'autorité administrative de sanctionner, de manière distincte, d'un avertissement ou d'une amende d'un montant maximal de 4 000 euros par travailleur concerné chaque manquement constaté aux dispositions mentionnées aux 1° à 5° de l'article L. 8115-1, en prenant en compte, conformément à l'article L. 8115-4, les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. C'est, par suite, sans erreur de droit que le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités a sanctionné d'une amende chaque manquement commis aux dispositions en cause, c'est-à-dire, chaque dépassement du temps de travail maximal quotidien ou hebdomadaire, absolu ou moyen, et chaque non-respect de la durée minimale de repos quotidien ou hebdomadaire constaté au détriment d'un salarié.

7. En troisième lieu, la requérante n'allègue pas que certains des manquements en litige seraient d'une gravité plus importante que d'autres, auraient été commis dans des circonstances différentes, ou présenteraient de quelconques caractéristiques particulières par rapport aux autres, eu égard aux critères à prendre en compte pour fixer le montant de l'amende aux termes de l'article L. 8115-4 du code du travail. Dès lors, il ne résulte pas de ce que le montant unitaire de chaque amende prononcée a été fixé de façon identique, à 800 euros, pour l'ensemble des manquements, que ces critères n'auraient pas été respectés et les dispositions de l'article L. 8115-4 du code du travail méconnues. Le moyen tiré de la disproportion des amendes, qui n'est pas assorti d'autres précisions, doit dès lors être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement n° 2202424 du 5 décembre 2024 :

8. Aux termes de l'article L. 8115-7 du code du travail, applicable à la créance en cause : " Les amendes sont recouvrées selon les modalités prévues pour les créances de l'Etat étrangères à l'impôt et au domaine. L'opposition à l'exécution ou l'opposition aux poursuites n'a pas pour effet de suspendre l'action en recouvrement de la créance ". En application de l'article R. 8115-4 du même code, les articles 112 à 124 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique sont applicables au recouvrement de l'amende, à l'exception du quatrième alinéa de son article 117 qui prévoit que les contestations du titre de perception ont pour effet de suspendre le recouvrement de la créance.

9. Il résulte de ces dispositions que le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités pouvait mettre en recouvrement la somme en cause en émettant le titre de perception litigieux, alors même qu'une instance était en cours quant à la légalité de la décision du 11 janvier 2022 constatant la créance et que cette dernière n'était ainsi pas définitive. La requérante ne saurait en tout état de cause prétendre que ces dispositions méconnaissent à cet égard les principes de présomption d'innocence et de droit au recours, garantis constitutionnellement et conventionnellement, dès lors, d'une part, que la décision constatant la créance n'intervient que lorsque l'autorité administrative estime établi, aux termes d'une procédure contradictoire, que l'employeur a contrevenu à l'une des obligations auxquelles renvoient les dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail, d'autre part, qu'il n'est pas fait obstacle à la possibilité, pour l'entreprise à l'encontre de laquelle une telle sanction est prononcée, d'introduire, devant le juge des référés, une demande de suspension de la sanction sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative et, qu'enfin, tout recouvrement est réversible dans l'hypothèse où une illégalité serait ultérieurement constatée.

10. Les moyens présentés à l'encontre du titre de perception, tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 8115-1, L. 8115-3 et L. 8115-4 du code du travail et de l'absence de proportion de la sanction doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 6 et 7 ci-dessus.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Distribution Casino France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances.

D É C I D E :

Article 1er : Les requêtes de la société Distribution Casino France sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Distribution Casino France et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2025.

2

N° 24MA01314, 25MA00111

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA01314
Date de la décision : 25/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Répression - Domaine de la répression administrative - Régime de la sanction administrative.

Travail et emploi - Conditions de travail.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : AARPI JEANTET ET ASSOCIES;AARPI JEANTET ET ASSOCIES;AARPI JEANTET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-25;24ma01314 ?
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