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24/04/2025 | FRANCE | N°24MA03097

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 1ère chambre, 24 avril 2025, 24MA03097


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2024 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2411750 du 21 novembre 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a fai

t droit à sa demande.



Procédure devant la Cour



Par une requête, enregistrée le 12 d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2024 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2411750 du 21 novembre 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a fait droit à sa demande.

Procédure devant la Cour

Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- M. A... entre dans les prévisions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors, d'une part, qu'il ne dispose pas d'un droit au séjour en tant que ressortissant européen tel que prévu à l'article L. 233-1 du même code et, d'autre part, que son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société française ;

- cette menace résulte de ce qu'il a été interpellé les 5 septembre 2021, 26 janvier 2023 et 17 mars 2023 pour des faits de port sans motif d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, rébellion et violences avec arme sur personne dépositaire de l'autorité publique et de sa condamnation par la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour les faits du 17 mars 2023 à une peine de huit mois d'emprisonnement dont quatre mois avec sursis ;

- M. A... ne démontre pas être dépourvu d'attaches en Espagne où il a vécu jusqu'à l'âge de 17 ans.

Par un mémoire, enregistré le 7 février 2025, M. A..., représenté par Me Rikabi, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 mai 2023 qui a annulé une précédente obligation de quitter le territoire français, prononcée à son encontre le 6 mai 2023, fondée sur les mêmes motifs ;

- cette décision méconnaît l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que son comportement ne constitue pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société française et qu'il justifie de fortes attaches familiales en France ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il dispose d'un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français ;

- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il n'entre pas dans les cas dans lesquels un refus de délai de départ volontaire peut être édicté ;

- l'interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans n'est pas motivée ;

- cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- la décision fixant le pays de renvoi n'est pas motivée ;

- cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 février 2025.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon, présidente assesseure,

- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public,

- et les observations de Me Rikabi, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant espagnol né le 13 janvier 1993, est entré en France en 2010 selon ses déclarations. Il a obtenu un titre de séjour en qualité de membre de la famille d'un citoyen de l'Union européenne valable du 16 avril 2013 au 15 avril 2014, renouvelé en dernier lieu jusqu'au 17 mai 2020. Le 6 mai 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire sans délai, assortie d'une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans. Ces décisions ont été annulées par un jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 mai 2023. Par un arrêté du 2 octobre 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans. Le préfet des Bouches-du-Rhône relève appel du jugement du 21 novembre 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté.

Sur les conclusions de M. A... tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :

2. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 28 février 2025. Dans ces conditions, sa demande tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire est devenue sans objet.

Sur l'appel du préfet des Bouches-du-Rhône :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux citoyens de l'Union européenne : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 251-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1 les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1. ". Aux termes de l'article L. 234-1 de ce code : " Les citoyens de l'Union européenne mentionnés à l'article L. 233-1 qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. / Les ressortissants de pays tiers, membres de famille, acquièrent également un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français à condition qu'ils aient résidé en France de manière légale et ininterrompue pendant les cinq années précédentes avec le citoyen de l'Union européenne mentionné au premier alinéa. Une carte de séjour d'une durée de validité de dix ans renouvelable de plein droit leur est délivrée. ". Aux termes de l'article L. 234-2 du code : " Une absence du territoire français pendant une période de plus de deux années consécutives fait perdre à son titulaire le bénéfice du droit au séjour permanent. ".

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 233-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les membres de famille ressortissants de pays tiers mentionnés à l'article L. 233-2 présentent dans les trois mois de leur entrée en France leur demande de titre de séjour avec leur passeport en cours de validité ainsi que les justificatifs établissant leur lien familial et garantissant le droit au séjour du citoyen de l'Union européenne accompagné ou rejoint. / Lorsque le citoyen de l'Union européenne qu'ils accompagnent ou rejoignent n'exerce pas d'activité professionnelle, ils justifient en outre des moyens dont celui-ci dispose pour assurer leur prise en charge financière et d'une assurance offrant les prestations mentionnées aux articles L. 160-8 et L. 160-9 du code de la sécurité sociale. / Ils reçoivent une carte de séjour portant la mention " Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union/ EEE/ Suisse-Toutes activités professionnelles ". Sa durée de validité est fixée à cinq ans, sauf si le citoyen de l'Union européenne qu'ils accompagnent ou rejoignent déclare vouloir séjourner pendant une durée inférieure à cinq ans. Dans cette situation, la durée de validité de la carte de séjour correspond à la durée du séjour envisagée. Pendant la période de validité de la carte de séjour et en cas de doute, l'autorité administrative peut, sans y procéder de façon systématique, vérifier que les conditions mentionnées aux articles L. 233-2 et R. 233-9 sont satisfaites. / La validité de la carte de séjour n'est pas affectée par des absences temporaires ne dépassant pas six mois par an, ni par des absences d'une durée plus longue pour l'accomplissement des obligations militaires ou par une absence de douze mois consécutifs pour une raison importante, telle qu'une grossesse, un accouchement, une maladie grave, des études, une formation professionnelle ou un détachement pour raisons professionnelles dans un autre Etat membre ou un Etat tiers. / Le renouvellement du titre de séjour doit être sollicité dans le délai de deux mois précédant sa date d'expiration. ".

5. Les dispositions de l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive du 29 avril 2004 dont elles assurent la transposition et qui visent à la reconnaissance d'un droit au séjour permanent en France des citoyens de l'Union et des membres de leur famille ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire national. Il résulte du paragraphe 1 de l'article 16 de cette directive, tel qu'interprété par l'arrêt C-424/10 et C-425/10 du 21 décembre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne, que le droit au séjour permanent, une fois qu'il a été obtenu, ne doit être soumis à aucune autre condition. Toutefois, la notion de séjour légal, qu'impliquent le terme " qui ont résidé de manière légale " doit s'entendre d'un séjour conforme aux conditions prévues par la directive et notamment celles énoncées à l'article 7 de celle-ci, reprises à l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., dont le père, ressortissant communautaire de nationalité espagnole, est titulaire d'un titre de séjour de dix ans portant la mention " Citoyen UE/ EEE/ Suisse-Séjour permanent-Toutes activités professionnelles ", a lui-même obtenu un titre de séjour portant la mention " Membre de famille d'un citoyen de l'Union/EEE/Suisse-Toutes activités professionnelles " valable du 13 mai 2014 au 12 mai 2015, puis du 18 mai 2015 au 17 mai 2020. Il doit donc être regardé comme justifiant, entre la date de son entrée en France et l'obligation de quitter le territoire français en litige, d'une résidence légale et ininterrompue en France pendant cinq ans, un tel titre de séjour étant délivré, en application de l'article R. 233-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux membres de la famille de ressortissants de l'Union européenne, au vu de justificatifs établissant leur lien familial et garantissant le droit au séjour du citoyen de l'Union européenne qu'ils accompagnent. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué par le préfet des Bouches-du-Rhône, que M. A... aurait été absent du territoire français pendant une période de plus de deux années consécutives, seule circonstance de nature à lui faire perdre le droit au séjour permanent ainsi acquis. Dans ces conditions, et alors même que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, M. A... ne pouvait, en vertu des dispositions combinées des articles L. 251-2 et L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Var n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 2 octobre 2024 par lequel il a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Sur les frais liés au litige :

8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Rikabi, conseil de M. A..., sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

D É C I D E:

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de M. A... tendant à son admission au bénéfice juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : La requête du préfet des Bouches-du-Rhône est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Rikabi la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... et à Me Mouaz Rikabi.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Portail, président de chambre,

- Mme Courbon, présidente assesseure,

- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 avril 2025.

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N° 24MA03097


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24MA03097
Date de la décision : 24/04/2025

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: M. QUENETTE
Avocat(s) : RIKABI

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-24;24ma03097 ?
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