Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 3 juillet 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé son admission au séjour, lui a retiré son attestation de demandeur d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2303943 du 10 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Mlik, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 10 octobre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 3 juillet 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente d'une nouvelle décision ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil qui s'engage, dans ce cas, à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, ou, en cas d'absence ou de retrait de l'aide juridictionnelle, au requérant.
Il soutient que :
- sa requête de première instance n'était pas tardive ;
- il n'est pas justifié de la délégation de signature au profit du signataire de l'arrêté en litige ;
- l'obligation de quitter le territoire en litige a été prise après méconnaissance du droit d'être entendu, protégé par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux ;
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé, le préfet ayant omis d'examiner la demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté en litige est entaché d'erreur de fait en considérant qu'aucune demande de titre de séjour n'avait été déposée ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au titre de sa vie privée et familiale ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La procédure a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a produit aucune écriture.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Rigaud a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant nigérian né en 1991, demande l'annulation du jugement du 10 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 3 juillet 2023 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui retirant son attestation de demandeur d'asile, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier, qui ne sont pas contestées par le préfet des Alpes-Maritimes, que l'arrêté en litige du 3 juillet 2023, a été remis à M. A... contre signature par les services postaux le 19 juillet 2023, lequel disposait d'un délai de quinze jours pour le contester conformément aux dispositions précitées de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La requête de M. A... enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nice le 2 août 2023, n'était donc pas tardive. Par suite, c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Nice a rejeté comme irrecevable la demande dont elle était saisie. Son jugement du 10 octobre 2023 doit, dès lors, être annulé.
4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nice.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. L'arrêté en litige a été signé pour le préfet des Alpes-Maritimes par Mme C... D..., cheffe du bureau des examens spécialisés. Par arrêté n° 2023-297 du 25 avril 2023, publié le lendemain au recueil des actes administratifs spécial n° 95-2023 de la préfecture des Alpes-Maritimes, accessible tant au juge qu'aux parties, Mme D... a reçu délégation de signature à l'effet de signer au nom du préfet des Alpes-Maritimes les refus de séjour et obligation de quitter le territoire français au titre de l'asile en vertu des décisions défavorables de l'OFPRA et de la CNDA, les décisions portant octroi d'un délai de départ volontaire et les décisions fixant le pays de renvoi. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté doit être écarté.
6. D'une part, aux termes de l'article R. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet. ". Aux termes de l'article R. 432-2 du même code : " La décision implicite de rejet mentionnée à l'article R. 432-1 naît au terme d'un délai de quatre mois. / Par dérogation au premier alinéa, ce délai est de quatre-vingt-dix jours lorsque l'étranger sollicite la délivrance d'un titre de séjour mentionné aux articles R. 421-23, R. 421-43, R. 421-47, R. 421-54, R. 421-54, R. 421-60, R. 422-5, R. 422-12, R. 426-14 et R. 426-17. / Par dérogation au premier alinéa ce délai est de soixante jours lorsque l'étranger sollicite la délivrance du titre de séjour mentionné à l'article R. 421-26. ".
7. Le silence gardé par le préfet sur une demande de titre de séjour fait en principe naître, au terme du délai mentionné au point 6, une décision implicite de rejet de cette demande. Il en va autrement lorsqu'il est établi que le dossier de la demande était incomplet, le silence gardé par l'administration valant alors refus implicite d'enregistrement de la demande, lequel ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir.
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 611-3, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. (...) ".
9. S'il ressort des pièces du dossier que M. A... a déposé une demande de titre de séjour en raison de son état de santé sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par un formulaire daté du 24 octobre 2022, il en résulte également que les services de la préfecture des Alpes-Maritimes ont informé le requérant que sa demande était incomplète et ne pouvait pas être instruite en l'état et qu'il lui appartenait de fournir les pièces précisées. M. A..., qui n'établit pas avoir répondu à ce courrier en complétant sa demande de titre de séjour, ne peut utilement soutenir que le préfet aurait dû examiner sa demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que l'arrêté en litige serait insuffisamment motivé à ce titre. Il en résulte également que le moyen tiré de ce que le motif tiré de l'absence de demande de titre de séjour sur ce fondement dans le délai prévu par les dispositions de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lequel se fonde cet arrêté serait entaché d'erreur de fait doit lui-aussi être écarté.
10. Si, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ",
il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union européenne. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
11. S'il n'est pas contesté que M. A... n'a pas été invité par l'administration à présenter, préalablement à l'édiction de l'arrêté contesté, ses observations écrites ou orales sur la perspective d'une mesure d'éloignement, il ne pouvait cependant ignorer, en sollicitant l'asile sur le territoire français, qu'en cas de rejet de sa demande, il serait susceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, et n'établit, ni même n'allègue, avoir sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ou avoir été empêché de s'exprimer avant que ne soit prise l'obligation de quitter le territoire français contestée. Par ailleurs et en tout état de cause, aucun des éléments avancés par l'intéressé, tiré sa vie privée et familiale sur le territoire français et des craintes qu'il allègue en cas de retour dans son pays d'origine, n'aurait été de nature à aboutir à un résultat différent de la procédure administrative dont il a fait l'objet. Par suite, le moyen tiré de la violation du droit d'être entendu doit être écarté.
12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
13. Si M. A... soutient entretenir depuis le mois de mars 2023 une relation sérieuse avec Mme E..., une ressortissante néerlandaise résidant en France, qu'ensemble ils projettent de conclure un pacte civil de solidarité, puis de se marier, et d'ouvrir un restaurant, il n'établit pas la réalité de ces allégations par les seules pièces produites tant en première instance qu'en appel, alors, au demeurant, que la relation alléguée présente, à la supposer établie, un caractère très récent. M. A... n'établit donc pas que l'arrêté en litige méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'il serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation à ce titre.
14. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
15. M. A... fait état de risques de persécutions et de mauvais traitements en raison de son positionnement politique en cas de retour dans son pays d'origine, comme en ont été victimes son père et un cousin. Toutefois, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé, par une décision du 14 décembre 2022, de reconnaître au requérant la qualité de réfugié ou de lui accorder la protection subsidiaire. Cette décision a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le 12 juin 2023, la Cour ayant estimé que les faits et éléments présentés ne permettaient pas de justifier que M. A... remplissait les conditions pour prétendre à une protection. Le requérant ne produit, pas plus en première instance qu'en appel, d'éléments permettant d'attester la réalité des risques qu'il dit encourir en cas de retour au Nigéria. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation à ce titre doivent être écartés.
16. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 3 juillet 2023 doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 3 juillet 2023 n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande M. A... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1 : Le jugement du tribunal administratif de Nice n° 2303943 du 10 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Nice ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Mlik et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 27 février 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme C. Fedi, présidente de chambre,
- Mme L. Rigaud, présidente-assesseure,
- M. J. Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2025.
N° 23MA026842