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14/03/2025 | FRANCE | N°24MA00445

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 14 mars 2025, 24MA00445


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SARL Le Bateau Feu, la SCS Razzle et la SARL Razzle ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'établissement public du grand port maritime de Marseille à leur verser les sommes respectives de 948 617 euros, 3 849 176 euros et 555 000 euros.



Par un jugement n° 2108845 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.



Procédure devant la cour :



Par une requ

te et des mémoires, enregistrés les 22 février, 10 octobre et 18 novembre 2024, la SARL Le Bateau Feu, la SCS Razzle ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Le Bateau Feu, la SCS Razzle et la SARL Razzle ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'établissement public du grand port maritime de Marseille à leur verser les sommes respectives de 948 617 euros, 3 849 176 euros et 555 000 euros.

Par un jugement n° 2108845 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 février, 10 octobre et 18 novembre 2024, la SARL Le Bateau Feu, la SCS Razzle et la SARL Razzle, devenue SAS Razzle, représentées par Me Mandile, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 décembre 2023 ;

2°) de condamner l'établissement public du grand port maritime de Marseille à leur verser les sommes sollicitées devant le tribunal, outre une somme de 12 500 euros par mois depuis le mois de décembre 2022 au bénéfice de la SAS Razzle ;

3°) d'assortir les condamnations prononcées des intérêts au taux légal courant depuis leur demande préalable ainsi que de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de l'établissement public du grand port maritime de Marseille une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité de l'établissement public est engagée en raison de sa promesse non tenue, des informations erronées qu'il a délivrées et de son manque de diligence ;

- le navire Razzle a été accueilli dans l'enceinte du port à compter du mois de juin 2016 ; son implantation sur le quai de la Lave à l'Estaque a fait l'objet de nombreux échanges et d'un engagement de la part de l'établissement au cours de l'été de l'année 2017, émanant de plusieurs de ses agents ; une première convention d'occupation du domaine public devait être conclue durant la phase travaux, avant une seconde durant la phase d'exploitation ; cette initiative était soutenue par les acteurs locaux ;

- l'établissement a abandonné le projet en autorisant, à la fin de l'année 2017, l'occupation du domaine public sur un autre quai, dépourvu de tout équipement, empêchant la poursuite des travaux ; cette situation les a placées en difficultés financières et ne saurait leur être reprochée ;

- après qu'un arrêté municipal autorisant les travaux a été obtenu le 8 novembre 2019, l'établissement a renouvelé ses engagements, sans qu'ils ne soient suivis d'effets ; il n'a jamais été donné suite à leurs sollicitations, sans aucune explication ;

- la SAS Razzle, du fait des promesses faites, a été privée d'une partie du prêt qu'elle avait obtenu ; elle a également été privée des loyers qui devaient être acquittés par la SCS Razzle et doit s'acquitter d'une redevance auprès de la commune de Sète pour le stationnement du bateau ; la SCS Razzle a été privée du chiffre d'affaires escompté de son activité ; elle a perdu la caution de droit au bail ; ses associés ont perdu leur capital ; la SARL Le Bateau Feu doit, en qualité de caution, rembourser un prêt souscrit par la SCS Razzle, et a dû apporter des fonds à ses deux filiales via ses comptes courants d'associés en abandonnant une partie de sa créance.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 juin, 6 novembre et 5 décembre 2024, l'établissement public du grand port maritime de Marseille, représenté par la SCP Gobert et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge solidaire des requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, qu'il était envisagé d'appeler l'affaire au cours du 1er semestre 2025, et que l'instruction pourrait être close à partir du 20 décembre 2024 sans information préalable.

Par une ordonnance du 9 janvier 2025, la clôture immédiate de l'instruction a été prononcée en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté pour les requérantes a été enregistré le 17 février 2025 et non communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Mandile, représentant la SARL Le Bateau Feu, la SCS Razzle et la SAS Razzle, et de Me Olmier, substituant la SCP Gobert et Associés, représentant l'établissement public du grand port maritime de Marseille.

Une note en délibéré a été produite le 7 mars 2025 pour la SARL Le Bateau Feu, la SCS Razzle et la SAS Razzle par Me Mandile.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Le Bateau feu est à la tête d'un groupe de sociétés dont l'objet est le réaménagement de bateaux historiques et leur exploitation en tant qu'établissements de restauration, de festivités et de manifestations culturelles. Faisant partie de ce groupe, la SARL Razzle, devenue SAS Razzle à partir du 17 novembre 2022, est propriétaire du bateau phare dénommé " Le Razzle " qu'elle a acquis en Hollande et fait convoyer jusqu'au port de Marseille au mois de juin 2016. Elle l'a donné, par contrat du 1er avril 2017, en location à la SCS Razzle en vue de son exploitation. Les trois sociétés relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'établissement public du grand port maritime de Marseille à les indemniser des préjudices qu'elles soutiennent avoir subis du fait du non-respect par ce dernier de promesses qui leur auraient été faites quant à la signature d'une convention d'occupation du domaine public, de renseignements erronés qui leur auraient été fournis et de l'attentisme auquel elles auraient dû faire face.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Si la rupture unilatérale, par la personne publique, pour un motif d'intérêt général, des négociations préalables à la passation d'un contrat n'est pas de nature à engager sa responsabilité pour faute, cette responsabilité peut, toutefois, être mise en cause lorsque la personne publique, au cours des négociations, a incité son partenaire à engager des dépenses en lui donnant, à tort, l'assurance qu'un tel contrat serait signé, sous réserve que ce dernier n'ait pu légitimement ignorer le risque auquel il s'exposait. En revanche, alors même qu'une telle assurance aurait été donnée, elle ne peut créer aucun droit à la conclusion du contrat. La perte du bénéfice que le partenaire pressenti escomptait de l'opération ne saurait, dans cette hypothèse, constituer un préjudice indemnisable.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. / (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-1-4 du même code : " Lorsque la délivrance du titre mentionné à l'article L. 2122-1 intervient à la suite d'une manifestation d'intérêt spontanée, l'autorité compétente doit s'assurer au préalable par une publicité suffisante, de l'absence de toute autre manifestation d'intérêt concurrent ".

4. D'autre part, aux termes du 1er alinéa de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation, aujourd'hui repris aux articles L. 143-1 et L. 122-3 du même code : " Les travaux qui conduisent à la création, l'aménagement ou la modification d'un établissement recevant du public ne peuvent être exécutés qu'après autorisation délivrée par l'autorité administrative qui vérifie leur conformité aux règles prévues aux articles L. 111-7, L. 123-1 et L. 123-2 ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-8-2 du même code, aujourd'hui repris à son article L. 122-5 : " L'ouverture d'un établissement recevant du public est subordonnée à une autorisation délivrée par l'autorité administrative après contrôle du respect des dispositions de l'article L. 111-7 ". En application des articles R. 111-19-13, R. 111-19-29, R. 123-45 et R. 123-46 de ce code, dont les dispositions figurent aujourd'hui à ses articles R. 122-5, R. 122-7, R. 143-38 et R. 143-39, cette autorisation est délivrée, pour un établissement de 4ème catégorie tel le navire Razzle, par le maire, après visite et avis de la commission consultative de sécurité et d'accessibilité.

5. Il résulte de l'instruction qu'à la fin du mois de mars 2016, les représentants de la SARL Razzle ont contacté les services de l'établissement public du grand port maritime de Marseille afin de prévoir le stationnement sur un poste à quai du bateau " Le Razzle " pour y réaliser cinq mois de travaux. Ce stationnement, au poste à quai n° 171, a débuté à la fin du mois de juin 2016. L'amarrage du bateau pour son exploitation commerciale était alors prévu à Lyon. Toutefois, le projet a évolué au cours de l'année 2017, et une exploitation a été envisagée à Marseille, au quai de La Lave dans le quartier de l'Estaque, avec l'aval de principe de la maire d'arrondissement.

6. Par courrier électronique du 9 juin 2017, le commandant de port indiquait à ses interlocuteurs que l'établissement travaillait " pour que vous puissiez obtenir une convention d'occupation précaire dans les meilleurs délais ", et autorisait, dans l'attente, le mouvement du bateau vers le quai de la Lave pour les opérations techniques uniquement, liées notamment au passage de la commission de sécurité, sous statut " réparation navale ", sans réception de public. Toutefois, le navire n'a pas immédiatement été déplacé vers le quai de la Lave dès lors que le dossier d'autorisation de construire, d'aménager ou de modifier un établissement recevant du public n'a été déposé en mairie de Marseille par la SCS Razzle que le 19 juin 2017. Le transfert vers le quai de la Lave pour les opérations techniques, tel qu'envisagé par le courrier électronique du 9 juin 2017, était ainsi largement prématuré à cette date.

7. Par courrier du 17 juillet 2017, le commandant de port confirmait que l'établissement n'était pas " opposé au principe de vous accorder " une telle convention " dans la mesure où vous obtiendriez préalablement toutes les autorisations nécessaires pour exploiter cet établissement sur le site de la part de la préfecture et de la mairie de Marseille ". L'instruction du dossier de demande d'autorisation de construire, d'aménager ou de modifier un établissement recevant du public ayant toutefois révélé des difficultés et se trouvant bloquée, l'établissement public du grand port maritime de Marseille a pour ce motif refusé de délivrer une autorisation d'occupation temporaire sur le quai de la Lave, par courrier du 10 décembre 2018. En outre, à cette date, la SARL Razzle restait devoir à l'établissement public du grand port maritime de Marseille une somme de 54 150,30 euros au titre de l'occupation du domaine public maritime. L'établissement a alors décidé de réduire sa créance de 50 % et de délivrer une nouvelle autorisation pour l'occupation d'un quai d'attente d'une durée d'un an, sous condition du règlement des sommes en cause avant le 31 décembre 2018. Il n'est pas contesté qu'aucun paiement n'est pourtant intervenu et que le navire a dès lors occupé sans droit ni titre le domaine public.

8. Alors même que les requérantes n'en seraient pas responsables, ce n'est que par un arrêté du 8 novembre 2019 que le maire de Marseille a autorisé les travaux de création de l'établissement recevant du public. A la suite de cette autorisation, le transfert effectif du bateau au quai de la Lave était nécessaire pour permettre la finalisation des travaux, la visite et l'avis de la commission de sécurité ainsi que l'autorisation d'ouverture. Les services du port ont alors à nouveau instruit la demande dont ils étaient saisis, en effectuant notamment les démarches de publicité prévues par l'article L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques, mais n'ont pris aucun engagement envers les sociétés du groupe de la SARL Le Bateau feu susceptible de leur donner la moindre assurance quant à la signature d'une convention d'occupation du domaine public. Ils ont par ailleurs à juste titre estimé qu'ils n'étaient pas tenus par la simple assurance de non-opposition au principe d'accorder une telle convention qui avait été donnée au mois de juillet 2017, dans des circonstances radicalement différentes, où la SARL Razzle n'avait pas accumulé une importante dette à son égard et ne s'était pas placée en position d'occupation sans droit ni titre du domaine public. Aucune convention d'occupation du domaine public n'a au final été proposée, sans qu'aucune faute ne puisse à ce titre être reprochée à l'établissement public du grand port maritime de Marseille.

9. Au demeurant, les dépenses que les requérantes allèguent avoir exposées à perte, au titre d'une caution de droit au bail en février 2016 pour la SCS Razzle, ou de prêts souscrits le 3 mai 2016 et le 31 mai 2017 pour le financement de travaux, sont antérieures même aux premiers échanges ayant eu lieu avec l'établissement public du grand port maritime de Marseille quant à la perspective de la signature d'une convention d'occupation du domaine public sur le quai de la Lave. La teneur de ces échanges ne peut dès lors en aucune manière être à l'origine de ces dépenses. Par ailleurs, les requérantes évoquent des préjudices liés à la perte des bénéfices escomptés de la conclusion d'une convention d'occupation, consistant en la perception de loyers pour la SAS Razzle ou en des bénéfices d'exploitation pour la SCS Razzle, lesquels ne sont, en vertu des principes rappelés ci-dessus au point 2, pas indemnisables. Il en est de même pour les dépenses acquittées afin de stationnement du navire à Sète, depuis le mois de décembre 2022, des pertes du capital de la SCS Razzle et des abandons de créance ou provisions sur compte courant d'associé que la SARL Le Bateau Feu a dû consentir au bénéfice de ses filiales.

10. Si les requérantes se plaignent par ailleurs d'avoir été placées dans une situation d'incertitude à la suite de leurs nombreuses sollicitations écrites formulées durant l'année 2020, lesquelles ont été laissées sans réponse jusqu'au départ du navire pour Sète au mois de janvier 2021, elles ne se prévalent d'aucun préjudice autre que ceux évoqués ci-dessus, qui serait spécifiquement lié à cette attente.

11. Les requérantes ne se prévalent enfin d'aucune information erronée qui leur aurait été fournie par les services de l'établissement public et qui serait susceptible d'engager la responsabilité de la personne publique.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'établissement public du grand port maritime de Marseille qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire des requérantes une somme de 2 000 euros à verser audit établissement sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Le Bateau Feu, la SCS Razzle et la SAS Razzle est rejetée.

Article 2 : La SARL Le Bateau Feu, la SCS Razzle et la SAS Razzle verseront solidairement une somme de 2 000 euros à l'établissement public du grand port maritime de Marseille au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Le Bateau Feu, à la SCS Razzle, à la SAS Razzle et à l'établissement public du grand port maritime de Marseille.

Délibéré après l'audience du 28 février 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2025.

2

N° 24MA00445

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00445
Date de la décision : 14/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Domaine - Domaine public - Régime - Occupation - Utilisations privatives du domaine - Contrats et concessions.

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Diverses sortes de contrats.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique - Promesses.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : MANDILE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-14;24ma00445 ?
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