Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner le département du Var à lui verser la somme de 90 150,30 euros, en remboursement des frais exposés pour la réalisation de travaux dans son logement de fonctions et en indemnisation de troubles de jouissance subis.
Par un jugement n° 2101880 du 14 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a condamné le département du Var à lui verser la somme de 18 809,31 euros, assortie des intérêts au taux légal et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 février, 30 octobre et 22 novembre 2024, le département du Var, représenté par Me Laridan, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 décembre 2023 en tant qu'il l'a condamné à verser la somme de 15 809,31 euros ;
2°) de rejeter la demande correspondante de M. A... ainsi que son appel incident ;
3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 4 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- toutes les créances matérielles antérieures au 31 décembre 2012 étaient prescrites lorsque M. A... a introduit sa demande ; le courrier du 22 novembre 2004 n'a pas interrompu la prescription ; il n'est pas établi qu'il l'aurait reçu ; en tout état de cause, en application des dispositions de la loi du 31 décembre 1968, il n'a pu l'interrompre que pour une nouvelle durée de quatre ans et non pour les dépenses qui lui sont postérieures ; les échanges de courriels au cours de l'année 2011 ne sont pas davantage interruptifs dès lors qu'ils ne constituent pas une demande et sont de toute façon antérieurs de plus de quatre ans à sa demande indemnitaire ; les courriels datant de 2014 et 2015 concernent un sinistre, et non les travaux en litige ; les travaux qu'il a lui-même entrepris ne sauraient avoir interrompu la prescription ;
- l'appel incident de M. A... est irrecevable dès lors que, discutant des montants des travaux retenus ou de l'ampleur de son préjudice de jouissance, il soulève un litige distinct de l'appel interjeté, qui ne porte que sur l'application des règles de prescription ;
- subsidiairement, les demandes indemnitaires de M. A... sont non fondées dans les moyens qu'elles soulèvent.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 septembre, 13 et 28 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Dragone, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour de condamner le département du Var à lui verser la somme de 90 150,30 euros, en remboursement des frais exposés pour la réalisation de travaux dans son logement de fonction et en indemnisation des troubles de jouissance subis ; il demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la collectivité au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève ;
- son appel incident est recevable, il porte sur le montant de l'indemnité allouée ;
- le département n'a effectué aucun travaux, et la réalité de ceux qu'il a lui-même entrepris n'est pas contestée ; outre les travaux de gros œuvre, les dépenses de réparation imputables au propriétaire doivent être admises ;
- sa famille a été logée dans une habitation indécente durant plus de 15 ans.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 2010-30 du 8 janvier 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Ratouit, substituant Me Laridan, représentant le département du Var.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... est ouvrier principal en poste au sein du centre départemental de l'enfance du Var au Pradet. A compter du 12 mai 2003, le président du conseil général lui a concédé, par nécessité absolue de service, une maison d'habitation d'une superficie de 98 m² située chemin San Peyre dans cette commune. Il a été mis fin à cette concession par arrêté du 8 mars 2017. En dernier lieu par courrier du 17 mars 2021, M. A... a demandé au département de le rembourser des frais qu'il indique avoir exposés pour la réalisation de travaux dans ce logement ainsi que de l'indemniser à raison de troubles de jouissance subis. Par un jugement du 14 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a condamné le département du Var à lui verser la somme de 18 809,31 euros à ces titres. Le département du Var relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser la somme de 15 809,31 euros en remboursement de travaux. Par la voie de l'appel incident, M. A... demande à ce que la condamnation soit portée à la somme totale de 90 150,30 euros.
Sur la prescription :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.
3. Les préjudices allégués par M. A..., correspondant au paiement de factures afférentes à des travaux incombant selon lui au département, étaient connus et pouvaient être exactement mesurés à la date d'émission desdites factures.
4. En l'espèce, le tribunal administratif a retenu un montant de travaux de 15 809,31 euros, correspondant à des factures datées des 12 février 2006, 7 février 2007, 8 juillet 2009 et 16 février 2011. Il résulte de l'instruction que M. A... s'est plaint à de multiples reprises, par l'intermédiaire de son épouse notamment, de l'état du logement qui lui était concédé, demandant à la collectivité d'effectuer des travaux. Pour autant, il n'a indiqué à son employeur qu'il avait lui-même réalisé ou fait réaliser des travaux, et exposé des frais à cet égard, qu'au cours d'échanges ayant eu lieu durant l'année 2011, et notamment par deux courriers électroniques des 8 août et 7 décembre 2011, évoquant un constat d'huissier, des factures et la réalisation de travaux incombant au propriétaire pour un montant de 60 000 euros. Aucun autre courrier n'a été formalisé à ce sujet dans les années suivantes si bien que les créances de M. A... correspondant à ces factures étaient en tout état de cause prescrites au profit du département depuis le 1er janvier 2016, en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 cité ci-dessus, lorsque l'intéressé a, pour la première fois, demandé un remboursement à ce titre, par courrier daté du 4 septembre 2017.
5. Il résulte de ce qui précède que le département du Var est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon l'a condamné à verser la somme de 15 809,31 euros en remboursement des frais engagés par M. A... entre 2006 et 2011.
Sur les conclusions d'appel incident :
6. En premier lieu, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 4 ci-dessus, l'ensemble des créances dont M. A... se prévaut correspondant à des factures acquittées durant l'année 2012 et antérieurement était prescrit, au plus tard depuis le 1er janvier 2017, lorsque la première demande de remboursement a été formalisée.
7. En deuxième lieu, s'agissant de la période postérieure, en application de l'article 4 du décret du 8 janvier 2010 : " Les concessions de logement accordées par nécessité absolue de service comportent, d'une part, la gratuité du logement nu dépourvu de biens meubles et, d'autre part, la fourniture à titre gratuit de l'électricité, du chauffage, du gaz et de l'eau, à l'exclusion de toute autre prestation qui fait l'objet d'un remboursement, à la valeur réelle, à l'établissement concerné ". Aux termes de l'article 13 du même décret : " Les dépenses d'investissement et de gros entretien afférentes aux logements concédés dans le patrimoine de l'établissement figurent au programme annuel de travaux de l'établissement. Le bilan d'exécution de ces dépenses ainsi que des dépenses d'entretien courant fait l'objet d'une présentation annuelle auprès de l'assemblée délibérante de l'établissement ". L'employeur public concédant à son agent un logement par nécessité absolue de service doit lui remettre un logement décent, en bon état d'usage et de réparation.
8. M. A... demande le remboursement d'un certain nombre de factures acquittées auprès de grandes surfaces de bricolage, au cours des années 2014, 2015 et 2017 sans indiquer précisément la nature des travaux engagés. S'il produit également deux factures émises les 12 février 2014 et 13 septembre 2016 par une entreprise " ETP " pour la réalisation de prestations de peinture et de carrelage, celles-ci ne mentionnent ni le lieu des travaux, ni le nom du client facturé. Enfin, si la facture émise par l'entreprise " Eco peinture " le 11 juin 2014 pour un montant de 5 823,60 euros comporte pour sa part lesdites mentions, elle porte sur des travaux de dépose de cloisons et remise en état de la " petite salle de bains " et de la cuisine, au sujet desquels aucune précision n'est donnée. Le tableau récapitulatif fourni par M. A... indique à cet égard qu'il s'agit de travaux dans les deux étages rendus nécessaires par l'humidité du logement. Toutefois, aucun élément du dossier ne permet de justifier de la nécessité de ces travaux au regard des obligations du département alors, d'une part, que les seuls échanges intervenus avec les services du département au cours de l'année 2014 produits aux débats sont relatifs à un dégât des eaux postérieur à ces travaux et, d'autre part, que le département justifie avoir fait procéder à la remise en peinture de la quasi-intégralité du logement au cours de l'année en 2012. Dès lors, l'ensemble des demandes de M. A... au titre des frais qu'il a engagés doit être rejeté.
9. En troisième lieu, le département du Var n'oppose pas l'exception de prescription à la créance dont M. A... entend se prévaloir au regard des troubles de jouissance dont il se plaint en raison des conditions de son logement. Or, il ressort d'un courrier adressé au département du Var que, dès la fin de l'année 2004, la famille de M. A... a signalé de graves problèmes d'humidité et d'isolation du logement concédé. La collectivité ne conteste pas sérieusement que le logement ne satisfaisait plus, à cette date, aux conditions de décence et de bon état d'usage requises. Elle ne justifie pourtant avoir entrepris les travaux nécessaires qu'à compter de la fin de l'année 2011, notamment en étanchant un mur de soubassement au mois d'octobre de cette année, puis en remplaçant l'intégralité des menuiseries extérieures, en reprenant l'enduit de façade et en remettant en peinture la quasi intégralité du logement au cours de l'année en 2012. Des travaux d'entretien de toiture ont été conduits en 2013, avant une réfection totale de celle-ci en 2014, des sinistres d'infiltration ayant été déclarés durant cette année. La remise en peinture correspondante a été effectuée au cours du premier semestre 2015. Il résulte de ces éléments que M. A... est fondé à demander l'indemnisation d'un préjudice de jouissance en raison des conditions d'habitation qui lui ont été réservées entre la fin de l'année 2004 et le début de l'année 2015. Aucune difficulté n'est en effet justifiée postérieurement à cette période. Si le département fait valoir que son agent se serait toutefois opposé à sa volonté de vendre ce bien et de mettre un terme à cette concession au cours des années en litige, il ne l'établit en tout état de cause pas par les pièces qu'il produit à l'instance. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. A... en lui allouant une somme de 3 000 euros à ce titre.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de son appel incident, que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif n'a pas fait plus amplement droit à sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de l'une quelconque des parties.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 18 809,31 euros que le département du Var a été condamné à verser en principal à M. A... par le jugement du tribunal administratif de Toulon du 14 décembre 2023 est ramenée à 3 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 14 décembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département du Var et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 28 février 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 mars 2025.
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N° 24MA00342
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