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11/03/2025 | FRANCE | N°24MA01865

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 11 mars 2025, 24MA01865


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 1er mai 2024 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


> Par un jugement n° 2404400 du 18 juin 2024, la magistrate désignée du tribunal administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 1er mai 2024 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2404400 du 18 juin 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2024, M. B..., représenté par Me Ben Hassine, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 juin 2024 ;

2°) d'annuler cet arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 1er mai 2024 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour en France pour une durée de deux ans ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a déposé une demande de régularisation de sa situation sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'interdiction de retour a été prise en méconnaissance des articles L. 612-6 et L 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il présente des garanties de représentation, qu'il produit des pièces démontrant sa présence effective et la communauté de vie avec son épouse, qu'il n'a pas fait l'objet d'une mesure d'éloignement et ne présente pas de menace pour l'ordre public, n'ayant pas commis le recel de vol mentionné dans l'arrêté ;

- c'est, pour les mêmes raisons, à tort que le préfet n'a pas assorti d'un délai l'obligation de quitter le territoire français ;

- l'arrêté en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de l'ancienneté de son séjour en France et de sa vie commune avec son épouse depuis 2019.

La requête de M. B... a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- et les observations de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né en 1999 et de nationalité tunisienne, a été interpellé le 30 avril 2024 pour des faits de recel de vol de trottinette et placé en garde-à-vue. Par un arrêté du 1er mai 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour en France pour une durée de deux ans. Par un jugement du 18 juin 2024, dont M. B... relève appel, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande qui doit être regardée comme tendant à l'annulation de cet arrêté en ce qu'il lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire et lui a interdit le retour en France pour une durée de deux ans.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français et la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire :

2. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui".

3. Si M. B... affirme être entré en France le 9 janvier 2017, il ne produit à cet effet aucun document de nature à justifier de sa présence sur le territoire français avant l'année 2018, le passeport versé au dossier d'instance n'ayant été établi que le 17 octobre 2019. Les pièces produites à l'appui à son affirmation selon laquelle il mènerait depuis 2019 vie commune avec une ressortissante française avec laquelle il s'est marié le 9 décembre 2023 à La Ciotat, constituées pour les années 2019 et 2020 par des factures de téléphonie mobile, établies aux deux noms, comportent une adresse différente de celle à laquelle ont été adressés pour l'année 2020 les relevés de livret A de l'intéressé, se déclarant logé à ce titre chez un tiers. Si tant le jugement en assistance éducative du 8 mars 2022 que l'attestation de l'éducatrice spécialisée du département des Bouches-du-Rhône mentionnent que le couple mène vie commune depuis 2021, l'attestation de dépôt d'une demande d'aide médicale d'Etat du 22 novembre 2021 et le courrier de la caisse d'allocations familiales de décembre 2021, bien qu'envoyés à la même adresse que les factures de téléphonie mobile de 2019 et de 2020, n'ont été établis qu'au nom de M. B..., cependant que les relevés bancaires pour la période du 24 août au 23 décembre 2021, indiquent que l'intéressé loge chez une autre personne, à une troisième adresse, différente des précédentes. Cette même adresse figure sur les relevés bancaires produits par M. B... pour l'année 2022, au titre de laquelle l'intéressé ne verse au dossier que deux pièces établies également au nom de sa future épouse et à l'adresse d'établissement des factures de téléphonie mobile, savoir, d'une part, l'extrait du bulletin B 3 de son casier judiciaire du 30 juin 2022 et, d'autre part, le courrier de souscription d'un contrat de fourniture d'électricité du 22 septembre 2022. Mais si pour l'année 2023, le courrier de la société EDF du 20 février 2023 et les factures d'électricité d'avril à décembre 2023 portent les deux noms et la première adresse mentionnée sur les factures de téléphonie mobile, les factures du nouveau fournisseur de téléphonie mobile, au seul nom de M. B..., de janvier à novembre 2023, sont quant à elles établies à une adresse différente des trois précédentes, laquelle apparaît également sur la déclaration commune de revenus pour l'année 2023, mais encore sur les relevés bancaires de M. B... pour la période du 23 juillet au 23 décembre 2023 qui précisent néanmoins que cette adresse est celle d'une autre personne, présentant le même patronyme que le requérant. Le courrier de retard de paiement envoyé le 7 juillet 2023 à M. B... et sa future épouse, ainsi que la demande d'ajout d'une ligne sur un contrat d'abonnement téléphonique du 7 juin 2023 et une facture de téléphonie mobile du 1er juin 2023, mentionnent pour leur part une cinquième adresse, qui est celle renseignée par M. B... sur l'acte de mariage du 9 décembre 2023, et qui est distincte de celle déclarée à cette dernière date par son épouse. Dans ces conditions, si les pièces produites par M. B... au titre de l'année 2024 montrent une adresse commune et stable pour son couple, l'ensemble des autres pièces versées au dossier d'instance ne démontre pas une vie commune avant l'année 2024, en l'absence notamment de tout bail d'habitation. Compte tenu ainsi de la durée et des conditions de séjour de l'intéressé, qui n'allègue pas être dépourvu de toute attache familiale en Tunisie, et qui ne justifie pas davantage de son activité d'autoentrepreneur qu'il a invoquée auprès des services de police lors de sa garde-à-vue du 30 avril 2024, la mesure d'éloignement en litige n'a pas porté à son droit à mener une vie privée et familiale normale une atteinte excessive au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Son moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, articulé à l'encontre de l'arrêté litigieux pris en tous ses objets, ne peut donc être accueilli.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". L'article

L. 612-3 du même code précise que : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;(...)8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité (...) ".

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B..., qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, ainsi qu'il a été dit au point 3, aurait sollicité comme il le prétend la régularisation sur sa situation en présentant une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il suit de là que le préfet des Bouches-du-Rhône a pu légalement se fonder sur ce motif pour décider de ne pas accorder à M. B... un délai de départ volontaire, alors même que l'intéressé, à la date de l'arrêté en litige, pouvait présenter des garanties de représentation suffisantes.

6. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai, et à demander l'annulation du refus de lui accorder un délai de départ volontaire.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... dirigées contre l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

7. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...). L'article

L. 612-10 du même code dispose quant à lui que : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

8. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. B..., qui n'a jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement, est marié depuis le 9 décembre 2023 avec une ressortissante française. Il ne ressort pas en outre des pièces du dossier que l'interpellation et le placement en garde-à-vue de M. B... le 30 avril 2024 pour des faits de recel de vol de trottinette, qui n'ont été précédés d'aucune autre mise en cause pour de précédentes infractions, ni d'aucune condamnation, auraient été suivis de l'engagement de poursuites pénales. Dans ces conditions, en prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, qui a pour effet de séparer M. B... et son épouse pendant cette période, le préfet a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 1er mai 2024 en tant qu'il prononce à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement et cet arrêté dans cette mesure.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2404400 rendu le 18 juin 2024 par la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er mai 2024 du préfet des Bouches-du-Rhône lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Article 2 : L'arrêté du 1er mai 2024 du préfet des Bouches-du-Rhône est annulé en tant qu'il interdit à M. B... le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 25 février 2025, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2025.

N° 24MA018652


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA01865
Date de la décision : 11/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : BEN HASSINE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-11;24ma01865 ?
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